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Le mystère court toujours.

Vies secrètes et mort étrange d’Etienne Gailly

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Famille de Philippe Gailly. Tous droits réservés.

Il y a 70 ans, le Belge Etienne Gailly s’apprête à gagner le marathon des JO de Londres. Au dernier tour de piste, il se fait dépasser deux fois et s’effondre derrière la ligne. Une défaite magnifique, une médaille de bronze. Mais l’homme a été plus que cet athlète d’une course : agent secret et parachutiste en 40-45, engagé sans peur durant la guerre de Corée, présent en 1960 au Congo dans un rôle trouble.

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À propos d’Etienne Gailly, un chroniqueur de Spirou a écrit qu’il était « un ascète, un homme qui ne vit que pour son devoir de soldat et son apostolat sportif ». En 1948, le marathonien belge loupa l’or de peu aux Jeux olympiques de Londres (à gauche : une figurine d’époque éditée par la chocolaterie Aiglon). En parallèle, Gailly s’engagea très jeune dans une carrière de l’ombre (ci-dessus : son engagement signé en 1944 au service de la Sûreté de l’État).
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Londres, 7 août 1948.

« Notre cœur saigne. La blessure faite par le drame du marathon n’est pas près de se fermer. C’est en vain que nous tentons de chasser de nos yeux la vision de cette arrivée de marathon au stade de Wembley avec son atroce dénouement. Que l’on n’aille pas croire que la dérobade de la “Victoire” qui s’était offerte au lieutenant Etienne Gailly suffit à justifier notre amertume. Ce que nous ressentons comme vive douleur, c’est le souvenir de ce calvaire. Il faut l’avoir vu accomplir cet effroyable chemin de croix que fut pour lui le dernier tour de piste. »

L’envoyé spécial du quotidien Le Soir convoque tout le lyrisme de sa plume pour décrire la scène, mais cela suffit-il à raconter l’extraordinaire défaite du lieutenant Gailly ? Les images de l’époque viennent à la rescousse. On y voit un stade de Wembley comble. Un officiel montre le chemin à un long corps désarticulé, dossard 252, qui surgit d’un couloir sous la foule. C’est Etienne Gailly et son mètre 78. Trois secondes plus tard, l’Argentin Delfo Cabrera déboule, foulée nette et rythmée. Gailly se retourne. Dans une course grotesque, pénible. Bête traquée. Il est dépassé. Doit encore effectuer un tour de piste. Le Britannique Tom Richards fond sur lui et le dou­ble également. Le Belge s’arrête, marche. Repart. Franchit la ligne. 2 h 35’ 33’’. S’effondre.

L’athlète est entré dans Wembley couvert d’un or, qui s’est subitement transformé en bronze, pierre philosophale inversée, alchimie maudite du marathon, épreuve née au pays de la tragédie.

L’explication de la défaillance ? La légende sportive brouille les pistes. « J’ai eu une sorte de crampe à l’estomac », déclarera-t-il à la presse deux jours plus tard. Dans le tunnel du stade, il ressent une oppression, comme « pris d’une formidable migraine ». Le contrecoup d’un dopage ? Difficilement envisageable : le lieutenant Gailly est un modèle de droiture et de rigueur éthique. Autre hypothèse : son entraîneur, Marcel Alavoine, qui entraîne aussi Gaston Reiff, médaillé d’or du 5 000 mètres quelques jours plus tôt, l’aurait enduit d’une huile spéciale pour le protéger de la pluie londonienne, craignant qu’il prenne froid. Mais le marathon de Londres se révélera être une fournaise longue de plus de deux heures. Sauf dans le tunnel de Wembley. Le passage du chaud au froid aurait été fatal pour Gailly.

Le second fils d’Etienne, Philippe Gailly, avance une explication bien plus simple : l’inexpérience. Gailly avait beau avoir reconnu le parcours quelques jours auparavant, remporté le semi-marathon Malines-Bruxelles, une flopée de cross en Belgique et impressionné son entraîneur par ses performances sur 35 kilomètres, il courait ce jour-là son premier marathon. « À l’époque, la stratégie était sommaire. Il fallait passer les kilomètres à tel chrono, et c’est tout. Mon père visait les 2 h 35 et, au final, il a fait 2 h 35. »

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Etienne Gailly lors du raid motocycliste des paras-commandos, Bruxelles-Kamina, janvier 1951.
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Gailly s’excuse auprès du coach Alavoine et le jure : il lui revaudra ça. Il y aura d’autres marathons. Promis. Et dès le lendemain, il reprend un entraînement léger. Dans la tête du lieutenant, et de son entraîneur, l’objectif de Londres 1948, c’était surtout de se préparer au marathon des JO d’Helsinki en 1952. Gailly aura alors 30 ans, et plus d’expérience.

Mais il se trompe. Il n’aura pas de seconde chance. La Belgique s’est engagée pour soutenir la Corée du Sud, en pleine guerre face aux communistes du Nord. Gailly part aux côtés des 3 000 autres volontaires belges. Le 30 octobre 1951, alors qu’il effectue une reconnaissance, un piège éclate sous son pied à Hak-Tang-Ni. Il est opéré d’urgence sur le front, sans anesthésie, puis rapatrié. Il retournera se battre en Corée mais sa carrière sportive est finie.

Un héros trop discret

Flash-back. Bruxelles, 26 décembre 1942.

Etienne Gailly prend la décision de sa vie. Vêtu d’une gabardine couleur nuit, d’un sac à provisions et, sans un document de voyage en poche, il quitte sa maison du boulevard Charlemagne et ses études de sciences commerciales à Saint-Louis pour rejoindre les forces belges libres en Grande-Bretagne. Ce n’est pas sa première tentative de fuir la Belgique occupée. En plein hiver, il effectue, seul, un périple de 1 500 kilomètres, via la France et la Catalogne, avec une périlleuse traversée à pied des Pyrénées. Ce parcours est un des rares moyens pour rejoindre Londres et les autorités belges en exil. Avant de partir, Gailly s’est entraîné au cross-country pour dompter le massif. Le jeune homme, né le 26 novembre 1922 à Beringen, a le cuir dur, malgré ses frêles 65 kilos, et parvient en Espagne, où il est arrêté comme clandestin et fera six mois de prison à Lerida. Jean Meurer rencontrera Gailly en cellule. Selon lui, la détermination d’Etienne à rejoindre Londres, c’est à l’arrestation de son père par les nazis qu’il la doit. Etienne a été taillé dans un marbre patriotique, humble et catholique.

En décembre 1943, un an après son départ, Gailly arrive à Londres et rejoint la section belge de la Royal Air Force. Très vite, il se porte volontaire pour une mission spéciale et devient agent de renseignement et d’action, au début 1944, au sein du service Bayard. Son nom de code est loin des pseudos de superhéros : Crêpe. Il apprend à sauter en parachute et à télégraphier en Morse. Le 30 juillet, il écrit une lettre déchirante à son père. « Dans quelques heures je pars en mission ; je souhaite que tu ne doives pas lire ce mot. » Il lui demande d’acheter un cadeau pour la communion de sa sœur Rose-Marie et se réjouit de servir « chrétiennement » sa patrie. Quelques jours plus tard, « Crêpe » saute derrière les lignes ennemies et atterrit dans la vallée de l’Ourthe. Faux agent des RTT, ce « marconiste » (radiophoniste) localise le moindre déplacement d’armes ou travail de fortification des Allemands.

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Famille de Philippe Gailly. Tous droits réservés

En mai 45, Gailly est censé être muté pour de bon à la Sûreté de l’État. Mais son régiment d’alors n’est pas consulté et la mutation est annulée.

L’agent Crêpe devient sous-lieutenant et parachutiste hors pair. Seuls points faibles : une élocution un peu difficile et une « réserve, timidité et modestie excessives », écrit en 1947 son commandant du régiment des parachutistes. Lorsque la guerre de Corée éclate en juin 1950, le lieutenant, farouchement anticommuniste, s’engage face aux forces soviétiques. Il s’y rend une première fois. Et saute sur cette mine qui explose tous ses espoirs d’athlète de haut niveau. Rapatrié en Belgique, Etienne Gailly repart bientôt en Corée. Son frère, Pierre, également militaire de carrière, l’accompagne. Le 30 mars 1953, vers midi, l’avion de Pierre mène une opération de reconnaissance au-dessus d’une zone « no man’s land ». Il est abattu par un tir ennemi. Le lendemain matin, son frère Etienne part, avec une patrouille de 10 volontaires, tenter de le sauver. Le groupe se rapproche au plus près de la carcasse de l’avion, encore fumante. Aucune trace de vie. Etienne revient. Pierre est mort.

Dans sa petite maison de Schaffen, pas très loin de la base aérienne où il a effectué tous ses sauts, Félicien Gillet, compagnon des Gailly en Corée, se souvient, du haut de ses 88 ans, de cette scène de guerre. « Le corps de Pierre devait être à 500 ou 600 mètres de nos premières lignes. Il y avait des documents dans l’avion abattu. J’ai dû tirer des bombes incendiaires sur la carcasse, avec un mortier [NDLR : Plusieurs versions de l’histoire existent. L’une raconte que la patrouille vers l’avion n’a pas été autorisée. Une autre signale qu’Etienne Gailly a reçu l’ordre de tirer sur l’avion au mortier, et une troisième, racontée par Jef Vanderlinden, qui était dans la patrouille avec Gailly, indique que l’avion a plutôt été détruit par l’aviation américaine]. Je n’ai jamais vu la douleur sur le visage d’Etien­ne. À 4 h du matin, il était toujours debout, inspectant la première ligne. Il avait une mémoire terrible : il se souvenait de tous les numéros de matricule. » La mort de son frère semble, dans les récits accompagnant les médailles glanées par Gailly, décupler son agressivité face à l’ennemi. Un jour de mai, dans une patrouille de reconnaissance, le lieutenant laisse « calmement s’approcher une trentaine de Chinois à moins de vingt mètres » avant d’en abattre plusieurs de « rafales de carabine ».

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Pierre et Etienne Gailly, 9 décembre 1950.
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La guerre de Corée prend fin en juillet 1953. Etienne Gailly gagne ses galons de capitaine et prend une décision surprenante l’année suivante : il quitte l’armée. « Il n’avait qu’un problème, déclare Pierre Desprechins, ancien parachutiste, il n’aimait vraiment pas les Allemands. » On est aux premières foulées de la construction européenne. À l’époque, la création d’une Communauté européenne de défense regroupant notamment l’Allemagne de l’Ouest, la France, l’Italie et le Benelux était à l’agenda. Gailly ne veut pas de cette Europe et part pour le Congo.

Du Kasaï à Genval

Etienne Gailly a tellement peu raconté sa vie à ses enfants qu’ils ont dû en reconstituer le puzzle avec des bribes de souvenirs. L’ex-para débarque à Kindu-Port-Empain, le long de la rivière Lualaba (qui devint plus tard le fleuve Zaïre, puis Congo). Selon Philippe Gailly, son fils, il y travaille pour une société de transport, la Transkat, qui achemine des minerais, des produits agricoles ou des matériaux de construction. Surtout, il y rencontre l’amour, sous les traits d’une institutrice, Marie-José Degive (elle trouve son prénom trop pompeux et préfère qu’on l’appelle Josée). Ils se marient. En 1956, un premier garçon naît. Il s’appellera Pierre, du nom de cet oncle mort à la guerre et qu’en famille, on disait le plus sympa et le plus souriant.

Deux ans plus tard, c’est au tour de Philippe de voir le jour. Etienne Gailly est devenu directeur commercial de la Brasserie du Kasaï. Sa carrière coloniale prend fin avec l’indépendance. En 1960, la famille rentre en Belgique. Etienne travaille comme économiste au sein de la société de financement Offinac, gérée par un membre de sa famille. Les Gailly s’installent au 162, avenue des Combattants à Genval. L’adresse accueille une petite impasse où vit déjà la famille Vanhacter/Guns. Ayant des enfants du même âge, les deux tribus deviennent proches et les enfants, amis. Etienne Gailly rassemblait les garçons pour aller au mouvement de jeunesse. « En route, mauvaises troupes ! » La voisine Jeanine Guns se souvient d’un homme discret, voire secret. Il est très peu présent, passe à peine la tête aux fêtes de famille. Elle évoque un type « en parfait équilibre avec son épouse mais absent ». Une autre connaissance parle d’un homme dont le contact n’était pas facile. Ses fils devinent ses exploits passés par les réactions extérieures. « Un jour, il y a eu une course dans le village et on a demandé à mon père de donner le départ, explique Philippe. Il n’a pas voulu. C’est ma mère qui a dû y aller ! »

Philippe ne se souvient pas d’avoir entendu son père prononcer un seul « moi je ». L’homme est austère mais aimant. Il suit la scolarité de ses enfants. Et ses enfants ne parviennent pas à suivre la foulée paternelle ! Car malgré son accident en Corée, l’homme court toujours.

Entre jogging et vente de produits financiers, cette vie belge d’une famille « moyenne » prend fin de manière abrupte. Le 21 octobre 1971, Etienne Gailly est victime d’un accident. Au moment où l’ex-militaire traverse la route, une voiture qui effectue une manœuvre de dépassement le percute. La Dernière Heure titre : « La mort tragique du héros de Wembley ». Le portrait officiel du perdant magnifique Etienne Gailly prend fin ici. Mais une autre histoire est peut-être à écrire.

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Novembre 1969.
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Décembre 1969.
Famille de Philippe Gailly. CC BY-NC-ND
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Famille de Philippe Gailly. Tous droits réservés

Quel rôle au Congo ?

L’église est pleine. Les derniers arrivés sont restés sur le parvis. Des militaires, partout. Fidélité aux principes, souvenirs émouvants, caractère d’une incroyable fermeté. L’hommage funèbre du général Guérisse à Etienne Gailly déborde de superlatifs. Mais le héros de guerre, le parachutiste surdoué, part avec ses zones d’ombre. Ou au moins ses silences.

En 1960, après avoir ramené sa famille, Gailly est reparti au Congo. Pourquoi ? Ses enfants ne savent pas trop ce qu’il a pu y faire. À la même époque, Félicien Gillet, compagnon d’armes sur le front de Corée, est aussi au Congo. Le pays est en proie à de graves troubles, à la suite de l’indépendance. Gillet participe aux évacuations des Belges. Il se rappelle très bien avoir vu, l’espace de quelques instants, Etienne Gailly à la base militaire de Kamina (Katanga). Mais Etienne est en civil. « Il connaissait bien le Congo, il donnait des renseignements pour aller chercher des civils, les évacuer. » La discussion ne dure pas. Les détails manquent.

Ancien parachutiste de la Croix-Rouge, Pierre Coppens avance une piste. En 1964, au début de sa formation de parachutiste à Moorsele, Gailly lui donna un fameux coup de pouce, en lui payant les 4 000 francs belges de frais d’inscription. En échange, Coppens l’aida à repeindre un appartement qu’il détenait près du rond-point Schuman. Depuis des années, Coppens se passionne pour les soubresauts de l’indépendance congolaise, mais aussi pour l’attaque qui abattit, en Zambie, l’avion de Dag Hammar-
skjöld, secrétaire général des Nations unies. « Une des personnes suspectées d’avoir tiré sur l’avion, c’est Jan Van Risseghem, un ami intime et pilote hors pair qui dirigeait la petite flotte aérienne des sécessionnistes katangais. Or, après, Jan a été pilote à la base de Moorsele et Gailly le connaissait bien. »

Rien qui implique Gailly directement dans les événements de l’époque, tout au plus un réseau d’amitiés logiques, au vu des liens étroits tissés dans la petite communauté des paras. Coppens échafaude une autre piste : Gailly serait revenu en Belgique en 1961, en même temps que le fameux colonel Weber, conseiller militaire de Moïse Tshombe, désormais président du Katanga, mais aussi conseiller du roi Baudouin et acteur clé de la sécession katangaise. Weber est souvent cité dans les recherches sur l’assassinat de Patrice Lu-
mumba. Mais là encore, Coppens et les souve­nirs parlent au grand conditionnel – et ceux qui auraient pu savoir ont disparu.

Autre source de l’époque, le « padre » Michel Quertemont, aumônier d’une unité parachutiste de l’armée, connaît bien les anciens du Congo qui ont pu jouer un rôle dans la sécession katangaise ou la sécession kasaïenne. Pour lui, Gailly n’a pas trempé dans ces événements. D’autres réponses s’égarent dans les souvenirs des anciens. Soixante ans, c’est loin. Reste que plusieurs parachutistes nous ont glissé que Gailly, éternel mutique, dégageait l’aura d’un « homme qui en savait trop ». Philippe, son fils, nous a confié avoir, lui aussi, entendu de nombreuses fois cette phrase, même dans la bouche de civils, sans avoir jamais su ce qu’elle cachait.

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Etienne et Josée. Pont d’Espagne. 12 septembre 1970.
Famille de Philippe Gailly. CC BY-NC-ND

La mort au tournant

Mais il n’y a pas que l’épisode congolais d’Etienne Gailly qui interpelle. À son retour, il est « économiste ». Il s’absente très souvent. Parfois une semaine. Son épouse, Josée, se confie peu aux amies, mais se dit souvent inquiète de ne pas savoir où est Etienne. Puis vient son décès.

Le 21 octobre 1971, il visite ses parents à Nivelles et y laisse sa voiture. Il sera percuté le long de la chaussée de Bruxelles, à hauteur de Baulers. La voisine Jeannine se souvient que Josée n’a pas pu voir sa dépouille parce qu’elle était trop abîmée. Selon elle, sa montre aurait été retrouvée à 200, 300 mètres de l’impact. Etienne est mort à environ quatre kilomètres de sa voiture. Que faisait-il à pied, si loin du domicile de ses parents ? Il courait ? Improbable à cette heure, selon ses fils. Il courait toujours très tôt le matin. Sa sœur, Anne-Marie Gailly, raconte à Philippe et à Pierre que leur père aurait quitté la maison de ses parents vers 16 h, vêtu comme à l’accoutumée de son complet veston, version « col-cravate ». Toujours selon elle, lors de l’accident (vers 19 h), il portait sa « tenue kaki » (pantalon et chemise kaki) du week-end. Enfin, et c’est là le détail le plus troublant : selon plusieurs intervenants du dossier, dont Philippe Gailly, un test d’alcoolémie est réalisé… sur la personne renversée et il est positif. Etienne Gailly a bu. Or, il ne buvait jamais. Ce trait de caractère a été confirmé par tous nos témoins de cette époque. Com­ment expliquer ce soudain attrait pour l’alcool ? L’a-t-on fait boire ? Pour répondre à ces questions, le témoignage de son épouse, Josée Degive, aurait été précieux.

Quinze jours après le décès d’Etienne, Josée écrit un bref mot à ses deux enfants : « Pardonnez-moi. » Le lendemain, Pierre et Philippe retrouvent son corps, gavé de médicaments. Un oncle jette aussitôt le mot, pour que le curé ne rechigne pas à organiser les funérailles. Josée était décrite comme une femme courageuse, avenante, très active entre la gym du soir et les activités philanthropiques du week-end. Anne Manneback, une de ses meilleures amies, se rappelle un ultime tour du lac de Genval avec Josée. Avec le décès de son époux, elle n’allait pas bien, se sentant seule face à ses responsabilités, craignant que ses beaux-parents ne lui prennent ses enfants. De là à penser au suicide ? Anne ne l’avait jamais envisagé. Mais comment prévoir le pire ?

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Etienne. Anne-Marie et Pierre Gailly. Louvain. 1951.
Famille de Philippe Gailly. Tous droits réservés

Anne-Marie Gailly, sœur d’Etienne, va promettre à ses deux neveux orphelins de faire la lumière sur ces décès. Elle pense que quelque chose ne tourne pas rond. Elle ne pourra pas mener ses investigations au bout. Le 16 juin 1974, elle effectue un saut en parachute à Saint-Étienne-de-Saint-Geoirs, près de Grenoble. Se jetant du Cessna à 1 500 mètres, elle actionne son dorsal à 800 mètres. Qui ne s’ouvre pas. Elle ne parvient pas à ouvrir son ventral « pour une raison inconnue », comme le mentionne l’article de presse de l’époque. Les fils d’Etienne ont tenté de prendre la relève des recherches. Pierre dès les années 80, et Philippe plus récemment. Quitte à se heurter à un « mur de silence éreintant » et à des personnes, dont d’anciens militaires, qui leur conseillent de « penser à l’avenir plutôt que de ressasser le passé ». Valait-il mieux que personne ne fouille ? En bout d’écriture, la Sûreté de l’État, via sa porte-parole, a répondu à nos questions : Gailly n’a travaillé ni pour la Sûreté de l’État ni pour la Sûreté coloniale. Les autres Gailly, l’agent Crêpe, le capitaine courageux, le marathonien de bronze, le marchand de bière colonial, le parachutiste effréné, « l’homme qui en savait trop » ont gardé pour eux les coulisses de leur vie. Une vie bien plus intense qu’un dernier tour de piste.

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