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Du cul, du vomi, du gossip… salut les boomers !
Famille Rienacacher ou comment mettre en scène sa vie privée sur les réseaux ? (4/4)
Enquête (CC BY-NC-ND) : Olivier Bailly
Illustration (CC BY-NC-ND) : Sarah Fabre
Enquête (CC BY-NC-ND) : Chloé Andries
Publié le
Dans les épisodes précédents, les parents commencent sérieusement à flipper. Leur fille est-elle harcelée ? A-t-on piraté le compte de Mamy ? Piètres surfers, fins limiers, Safia et Christophe (les parents donc) filent sur TikTok pour trouver la solution… Voici le dernier épisode.
Vous avez loupé les premiers épisodes ? C’est par ici. Cette fiction en 4 volets est basée sur une collecte d’informations (1000 questionnaires, des entretiens, des docs, toussa). Vous trouverez deux niveaux de lecture. Le premier est constitué par le texte central, qui raconte l’aventure de la famille. Le second est constitué par les notes (ces petits numéros dans le texte), qui distillent des infos tout au long de l’histoire.
Abry → Emma
Safia et Christophe viennent de se créer un compte TikTok. Leur pseudo : « Chrissaff ». Ils cherchent Emma, Abry, et la fameuse Mimi_prank qui harcèle Emma et vole l’identité de mamy !
Rien. Personne. Pourtant, ils le savent, leurs gamins passent leur vie sur TikTok. Une heure par jour en semaine, deux heures le week-end, d’après leurs propres aveux. Autant dire 4h depuis le confinement…
Pendant 20 bonnes minutes, ils regardent des vidéos, ou plutôt, ils errent parmi les petits films que leur propose l’algorithme. À chaque fois, des vidéos selfies de 15 secondes max, faites de chorégraphies, de blagues pas drôles (mais après tout, qui sont-ils pour juger l’humour ?).
Ils regardent les vidéos « Pour moi », une sélection proposée par l’algorithme, censée s’affiner au fil de tes visionnages.
— (CHRISTOPHE) Ah tiens, même Elio Di Rupo fait des choré’sur TikTok, nan mais sans déconner !
— (SAFIA) Arrête là, reste concentré, merde.
Des bruits de clé. La porte s’ouvre. Abry rentre enfin.
— (CHRISTOPHE) T’étais où ? Ca va ?
— (ABRY) Bah vous le savez, où j’étais, parait que vous me fliquez, sympa la famille, merci.
— (SAFIA) Raah c’est bon. On était inquiets. Mais on a tracé celle qui balance les secrets. Tu connais Mimi_Prank ?
— (ABRY) Euh non, attends (gêné). Mais vous foutez quoi en fait ? Vous êtes sur TikTok ? Ah naaaan, comment c’est trop cringe)…
— (CHRISTOPHE) Ça te regarde ? Non mais toi aussi tu me filmes, maintenant ?
— (ABRY) Je fais du dossier, ouais.
Abry file dans sa chambre. Arrivé à l’étage, il dégaine son téléphone. Et publie la nouvelle vidéo de mimie_prank sur TikTok. C’est vrai que ça fonctionne bien. 57 987 abonnés. Avant de virer fantôme, Y’a même Maliciadorable qui vient de faire un duo.
Il ’whatsappe’sa soeur.
Abry → Emma
Retour dans le salon. Safia et Christophe sont toujours sur TikTok.
Ça y est, en quatrième vitesse, ils découvrent un monde fait de challenges, de défis, et commencent à checker les hashtags les plus en vue. L’algorithme a visiblement capté qu’ils habitaient en Belgique, mais n’est pas encore totalement au point.
Tiens, c’est quoi ce hashtag #PRANK ?
Abry → Emma
Quelques minutes passent.
Bip. Bip. Bip. Les smartphones bipent tous en même temps.
Jeannine Rienacacher a posté sur Facebook et sur Instagram :
Sur TikTok, Safia tape de nouveau « Mimi_Prank ». Cette fois, elle trouve un profil. « 87 000 abonnés ».
– (SAFIA) : Putain, Christophe.
Ledit profil a déjà posté une dizaine de vidéos…
Principaux protagonistes - ou méga dindons - de ces vidéos sur-commentées par une armée de TikTokers : Safia et Christophe. Ils se sont bien faits rouler dans la farine du web.
C’est ça le problème avec la jeunesse. Tu crois qu’elle se noie, mais c’est toi qui coules…
Épilogue
Abry → Emma
Cette fiction sur base de faits réels est l’une des facettes de notre grande enquête participative sur l’hypersurveillance à la belge. Souscrivez à notre période d’essai si votre curiosité est éveillée.
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Un parent sur 10 est sur TikTok. Pour surfer ou surveiller ? (Source : questionnaire Médor – publication à venir le 8 novembre)
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Les ados se savent sous surveillance. Et savent aussi l’éviter. La moitié a déjà surfé la nuit, un sur trois a plusieurs comptes, et un sur cinq a même un deuxième téléphone ! (Source : questionnaire Médor – publication à venir le 8 novembre)
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« Dans votre questionnaire, les filles publient plus de vidéos. Des études confirment qu’elles investissent de manière générale leur représentation. Elles utilisent plus les app’avec mises en scène du corps comme Snap ou TikTok. Les garçons eux jouent sur Twitch ou Discord avec un avatar. Ils ne s’exposent pas. Les filles sont très vite jugées. Ce peut être violent. Elle doivent être constamment dans le rapport de validation de leur physique. » (Extrait de l’interview de Laura Merla, sociologue de la famille à l’UCL, à paraître la semaine du 8 novembre)
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« Chaque jour, je me dis, allez je vais sur TikTok juste un quart d’heure. Et je me retrouve trois heures plus tard, à me dire : non mais j’ai encore regardé des vidéos non stop. » (Alice, 16 ans, usagère de TikTok)
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Jusqu’ici, vous vous vantiez peut-être de connaître l’adjectif « malaisant », ce mot à la mode signifiant : « Qui met mal à l’aise, qui crée un malaise, une gêne. » ? Le terme est même rentré dans le Petit Robert en 2019. Sauf que justement : maintenant que c’est écrit dans le dico, ça devient trop « cringe » de dire « malaisant ». Bref, cringe, c’est le nouveau malaisant.
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« TikTok, c’est un réseau social où les possiblités de storytelling, de montage, de narration, sont très développées et intuitives. Il existe énormément de filtres, on peut se créer n’importe quel décor en 2 clics, etc. TikTok, c’est donc un espace idéal pour une génération qui a pris l’habitude de tout filmer, de documenter sa vie, de la mettre en scène. Le principe du journal intime, de la petite trace du quotidien, revient très souvent. » Extrait d’une interview d’Elisabeth Meur-Poniris, formatrice en éducation aux médias auprès d’adolescents et familles.
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Cette Liégeoise compte 2,7 millions d’abonnés. Selon Le Soir du 29 juillet 2021, elle fait partie des "pointures belges" de l’application. Chez Médor, on n’a toujours pas bien compris ce qui faisait la force de ses posts. Mais on n’a certainement pas la ref.
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On dit "faire un prank", ou même "pranker". En gros, faire une farce à quelqu’un, le mettre en boîte, le piéger et… rire à ses dépens. Tapez #prank sur Insta, Youtube ou TikTok et vous comprendrez illico l’ampleur du phénomène… Mais pas de panique : finalement, ils n’ont rien inventé ces jeunes… Souvenez-vous de Marcel Béliveau.
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