Dyle : Protégez-nous, enfin !

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Rue du Monument, à Ottignies. Quand il pleut fort, comme ce 25 octobre, les habitants sortent les sacs de sable.

Et un, et deux, et huit. La Dyle déborde régulièrement. Surtout à Wavre. Jusqu’à présent, un drame humain avec victimes ou blessés graves a pu être évité. Et de manière assez incroyable, on bâtit encore près de la rivière, même en zone inondable.

Dans la vallée de la Dyle, après les inondations de juillet 2021, deux sentiments étaient perceptibles auprès de la population de cette partie centrale du Brabant wallon. « Encore ! » et « Plus fort ! ». Car ici, sur le tronçon le plus critique de cet affluent de l’Escaut, les gens savaient que l’eau reviendrait. Parce qu’une crue en cache toujours une autre. Alors, Louise, qui tient un magasin au centre de Wavre, elle a fait ce qu’elle avait fait en 2010 : vider, colmater, encaisser les pertes. Thomas, lui, il s’est décidé à déménager. Il habitait juste en face du lotissement Les Jardins de l’Orne, à Mont-Saint-Guibert, construit en zone à risque là où il y avait une papèterie. Cette impression qu’on se fout décidément de sa gueule. Que ceux qui bâtissent se moquent de ceux qui étaient là avant.

Agriculteurs à Ottignies, Claire et Dominique ont ressorti leurs photos d’archives pour expliquer aux journalistes à quel point la vie a changé en bas quand les zonings économiques ont gonflé en haut, à Louvain-La-Neuve. Le bon sens fermier : l’eau tombée du ciel, ben, elle glisse sur le béton des parkings et le bitume des routes. C’est pas compliqué, tout de même…

«  Votre maison, c’est votre capital  »

«  Je n’oublierai jamais le 15 juillet 2021, mon jour d’anniversaire, souffle Etienne Detrie, 63 ans, qui est propriétaire au Quai des Tanneries, à Wavre-centre. Je suis allé au Brico acheter des blocs de parpaing, que je coupais chaque fois en deux. Avec mon fils et des copains, on les plaçait sous les meubles et grâce à ça, on les surélevait. Du mobilier de ferme, ça pèse une tonne. Moi, j’ai plus l’âge ni la santé pour faire ça seul. Quand les meubles ont touché le plafond et que l’eau continuait à monter à toute vitesse, j’ai dit à tout le monde d’évacuer. Vers 4 heures du matin, j’ai voulu voir l’état de la maison. J’ai longé le mur, je me suis attaché, mais il était impossible d’avancer tellement le courant était fort. Une voisine m’a permis de dormir sur son canapé. Le lendemain, j’ai erré dans la voiture. C’est votre maison, c’est votre capital, et puis il y a tout qui s’en va.  »

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Etienne Detrie habite quai des Tanneries, à Wavre. Sa perte financière nette, cette fois-ci : 20 000 euros.

Etienne est fonctionnaire et photographe amateur. Il prend la pose devant le batardeau qu’il s’est acheté avec une prime de la commune. Il a reçu 1 000 euros. Il a dû mettre 200 euros de sa poche pour acquérir une double barrière métallique à installer juste derrière la porte d’entrée et aussi à l’arrière de la maison. «  Ça fonctionne jusqu’à 40 centimètres, glisse-t-il. Ce dispositif m’aidera à l’avenir en début d’inondation. Mais le 15 juillet 2021, il y a eu 1 mètre 20 d’eau dans mon salon et il n’aurait servi à rien  ». Aux yeux de nombreux riverains wallons de la Dyle, qui a détruit massivement sans faire de morts, il y a deux ans, les pouvoirs publics ne prennent aucune mesure d’ampleur. Ils offrent un bon pour un batardeau. Ils prévoient des barques. Ils acheminent des sacs de sable. C’est tout. Prenez un cachet, faites gaffe à vous et on en reparle à la prochaine vague.

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De 1996 à 2021, soit en 25 ans, Wavre a connu 8 crues importantes et destructrices, où le niveau de la Dyle a atteint ou dépassé les 2 mètres et où son débit a été de 15 à 20 m³ par seconde. En temps normal, la rivière est à peine profonde de 50 à 60 centimètres et charrie environ 2 m³ d’eau par seconde. L’inondation de 2021 a établi un nouveau record : près des 4 mètres et un débit fou de 50 m³/seconde. Un total de 60 rues ont été inondées. Quelque 2 000 biens immobiliers ont été touchés. «  Des solutions existent mais elles restent dans les cartons, a déclaré le conseiller communal d’opposition Benoit Thoreau (Les Engagés) lors d’un échange organisé par « Les grands-parents pour le climat », en avril 2022. Clairement, les flots ont dépassé les zones d’aléa d’inondation répertoriées sur le Géoportail de la Région wallonne.  » Même le Géoportail a sauté.

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Le jour où Etienne Detrie était censé souffler ses bougies d’anniversaire, le ressenti des habitants de la vallée a été spécial. En BéWé comme en province de Liège, il pleut alors sans arrêt depuis plusieurs jours. Les images de la Vesdre et de l’Ourthe sont terribles. Là-bas, les rues sont transformées en rivières, des maisons sont éventrées et des dizaines de personnes sont portées disparues. À Court-Saint-Etienne et Ottignies, situées en aval, comme à Wavre, les égouts se bouchent progressivement et l’eau s’accumule dans les rues. Cela dit, vers 16 heures, il y a 30 centimètres d’inondation tout au plus dans le centre de Wavre. Quand le ciel s’arrête de pleuvoir, au cours de la soirée, les Brabançons se disent qu’ils sont passés entre les gouttes.

C’est pourtant après l’averse que les eaux remplissent le bas de la vallée. Vers 1 heure du matin, le 16 juillet, 10 centimètres d’eau s’ajoutent tous les quarts d’heure. Au petit matin, il n’y a plus qu’un océan. «  Après l’inondation du 14 novembre 2010, raconte Etienne, j’ai eu un échange avec le bourgmestre de l’époque, Charles Michel, devenu entretemps Premier ministre puis Président du Conseil européen. Il m’avait dit : ‘Mais vous savez, vous habitez dans une vallée. Une vallée, ça veut bien dire ce que ça veut dire’. Rien n’a changé depuis. Ni avec lui, ni avec les bourgmestres suivants.  »

« Ce serait bien d’avoir un plan, non ? »

Etienne l’avoue. Ça le crispe un peu, d’avoir à avaler les bonnes paroles. Comme le jeudi 19 octobre dernier, à la maison communale d’Ottignies. Ce soir-là, le gouverneur socialiste d’une province très libérale, Gilles Mahieu, ancien conseiller stratégique d’Elio Di Rupo, présentait ses nouvelles idées pour améliorer la gestion de crise sur son territoire. Rien de percutant, si ce n’est l’initiative louable de se tourner vers les habitants et l’appel à se réseauter en cas d’urgence via l’application fédérale BE-Alert. Outre la trentaine d’invités obligés, une dizaine d’habitants avait fait le déplacement. Avant de rentrer au bercail avec une couverture d’urgence glissé sous blister, ils ont eu droit à cette question étonnante d’un échevin PS d’Ottignies/Louvain-La-Neuve au maître de cérémonie :

- Monsieur le Gouverneur, vous ne pensez pas qu’il serait bien d’avoir un plan anti-inondation qui associerait toutes les communes (de la vallée) ?

Poser la question, c’était y répondre. Il n’y en a pas, et apparemment personne n’y avait pensé.

Du béton à profusion…

De 1996 à 2021, soit durant la période où la Dyle est sortie de son lit à huit reprises, chacune des communes wallonnes les plus exposées aux crues a connu une forte bétonisation. Les chiffres le montrent clairement. La hausse du nombre de surfaces bâties a été de 32 % à Wavre et Ottignies/Louvain-La-Neuve, de 29 % à Court-Saint-Etienne, de 36 % à Mont-Saint-Guibert et de 32 % aussi à Genappe, où la Dyle prend sa source. C’est une croissance très significative car l’urbanisation avait déjà été très forte avant 1996.

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… Et des cultures qui dégoulinent

Autre souci, les rares espaces verts qui résistent dans la vallée échappent difficilement à l’agriculture intensive. Deux exemples parmi d’autres :

  • Le cœur de ville, à Ottignies, est « surplombé » à Céroux-Mousty par plusieurs hectares de culture du maïs, de la betterave ou de la pomme de terre, les trois premiers choix en Brabant wallon, avec le blé.
  • Même chose à Limal, réputé comme le poumon vert de Wavre.

Ces terres rarement ménagées sont vite gorgées d’eau en cas de grosses intempéries et elles durcissent tout aussi vite lors des épisodes de plus en plus fréquents de sécheresse, comme en 2020 ou en 2022. Les pluies ont du mal à pénétrer la couche supérieure et des coulées de boue en découlent. En Brabant wallon, il n’y a pas que le béton et le bitume qui accentuent les débits. Les surfaces agricoles, aussi.

Après le choc de l’été 2021, quelques voix politiques se sont élevées en Wallonie pour réclamer une anticipation du « Stop Béton » imaginé à l’échelle européenne pour répondre au danger climatique. En théorie, il empêche toute construction sur une terre verte à partir de 2050 (lire aussi notre BD sur ce thème dans le n°31 de Médor). Mais dans le sous-bassin versant de la Dyle, qui se jette dans le Rupel puis l’Escaut au nord de Malines, aucun des gros projets immobiliers engagés ou à l’agenda n’a été remis en question.

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Le nouveau stade de hockey et un quartier résidentiel voisin seront en zone inondable.

Au contraire, des choix emblématiques renforcent l’impression que tout est possible dans cette banlieue sud-est de Bruxelles. Au centre d’Ottignies, le groupe Matexi sollicite en ce moment le droit de construire un ensemble de 80 appartements aux abords de la rue du Monument, « la » voirie touchée par toutes les inondations récentes. À Wavre, où les collines environnantes ont été remplies de quatre façades, de lotissements résidentiels et d’extensions de zonings en moins de dix ans, c’est désormais la partie basse de la ville qui est soumise aux pelleteuses.

Le 18 octobre, le coup d’envoi des travaux de construction d’un grand stade régional de hockey a été donné là où la Dyle s’était étendue il y a un peu plus de deux ans. Dans le même périmètre inondable est prévu un méga projet résidentiel - Rive Verte - qui n’a pas été ajusté suite aux inondations. Coorganisatrice de la Coupe du monde 2026 de hockey, avec les Pays-Bas, la Belgique devrait y prévoir quelques matchs. Les pieds dans l’eau ?

Après, c’est l’expropriation

En réalité, c’est la rivalité croissante entre deux villes proches et dont aucune n’a pu ravir à l’autre le statut de capitale effective du Brabant wallon qui nourrit cette surenchère immobilière. Après qu’Ottignies/Louvain-La-Neuve ait inauguré un stade indoor d’athlétisme, en avril 2019, Wavre a joué la carte du hockey. Quand Wavre a étendu ses zonings économiques, Ottignies/LLN en a fait de même. Idem en ce qui concerne les surfaces commerciales et l’immobilier résidentiel. Sans oublier ceci : implanté à Ottignies, le principal hub hospitalier de la province va migrer sur les hauteurs de… Wavre, d’où il risque de grossir les flux d’eau vers le centre-ville.

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Le moindre espace vert sur les collines nord et sud de Wavre est loti. Ici : le Val Vena.

Notre rescapé de l’été 2021, Etienne Detrie, demande qu’on analyse ce qui a été réussi en Flandre, à moins de vingt kilomètres. «  Moi, je voudrais qu’on réagisse enfin et qu’on fasse pareil qu’à Louvain, dit-il. Eux, ils se protègent et ça marche. Ils n’ont pas été affectés par les inondations de juillet 2021. Nous, quand un orage est annoncé à la télé, on ne dort plus. On vérifie, on surveille. J’ai des voisins qui se lèvent la nuit et qui vont voir la rivière pendant la nuit. Il y a un monsieur qui habite plus loin dans ma rue, je le vois, il prend une pelle et il va déboucher les avaloirs lui-même. On en est là… Oui, j’ai peur pour la suite. Est-ce qu’on va encore vouloir m’assurer ? Si oui, à quelles conditions ? Ma maison a perdu un tiers de sa valeur parce que la Région wallonne la classe désormais dans la zone orange. Si un jour je passe en zone rouge, c’est l’expropriation.  »

Dans notre prochain épisode, rendez-vous avec un spécialiste de la fusion des communes et des mœurs politiques en Brabant wallon. Et voyage immersif de l’autre côté de la frontière linguistique.

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