Tu n’as pas 86 de QI ? Paie ta logopédie !
Épisode 1/3 : D’abord, trouver la logopède. Ensuite, se demander comment la payer.
Salia, 7 ans, est atteinte de trisomie 21. Elle est suivie par la logopède Caroline Théate, qui la soutient, notamment, dans son parcours scolaire. Mais ces séances ne sont pas remboursées, à cause de son handicap. La loi est claire : en dessous d’un certain QI, l’aide financière s’arrête. Une règle injuste ? Médor a suivi Salia pour comprendre. Une mini-série en trois épisodes.
« Bonjour Salia, bonjour Salia, bonjour Salia, c’est l’heure de se dire bonjour… » : c’est par cette chanson que démarre chaque séance de logopédie avec Caroline Théate. Nous sommes au printemps 2017. Puis, Salia s’installe sur la petite table en bois au milieu du bureau de la logopède. Des photos et des dessins d’enfants décorent les murs de cette large pièce ensoleillée. Sur un ton bienveillant et entraînant, Caroline lui demande de ses nouvelles. Salia s’empresse de lui parler de Plume, son cheval de l’hippothérapie.
Cette petite fille de 4 ans, au caractère bien trempé, est atteinte de trisomie 21. « Salia, elle aime ou elle n’aime pas », dit Rida, son père. Heureusement, elle adore Caroline, sa logopède. Rida et Cynthia conduisent leur fille chez elle deux fois par semaine pour une séance de 30 minutes. Ils passent plus du double en voiture pour les trajets aller et retour. La famille habite à Wanze, dans la province de Liège, et la logopède travaille à Orp-Jauche, dans le Brabant wallon, à quelque 30 km de chez eux.
En plus du temps et du carburant, ils paient les séances au prix plein. Selon la nomenclature de l’INAMI, datant de 1983 et mise à jour en 2013, l’assurance n’intervient pas si le patient a un trouble important de l’audition, un trouble psychiatrique ou un QI inférieur à 86. Pour Salia, c’est ce dernier critère qui pêche : la moyenne du QI parmi les enfants porteurs du syndrome de Down (trisomie 21) varie entre 30-35 et 65-70, avec une moyenne située à 40-45. Salia est donc, par défaut, exclue du système de remboursement. Pourtant, Salia n’a jamais passé de test.
Cette réglementation pousse les parents d’enfants porteurs de handicaps à se tourner d’emblée vers l’enseignement spécialisé. Et à ne même pas tenter l’inclusion, pourtant prônée par le Pacte d’Excellence. A moins qu’ils aient les moyens financiers de choisir. Sinon, ils peuvent faire appel à un centre de réadaptation ambulatoire (C.R.A.), qui propose un suivi en logopédie partiellement ou totalement remboursé. Les C.R.A. dépendent des entités fédérées, mais leur répartition géographique est inégale et les places sont limitées (jusqu’à deux ans d’attente). Dans les deux cas, la famille ne choisit pas son thérapeute. Or, ce choix est capital puisqu’il permet que l’enfant soit suivi à long terme et qu’un lien de confiance soit établi.
Si les parents choisissent l’enseignement spécialisé, l’enfant doit attendre jusqu’à sa première rentrée scolaire pour bénéficier d’une ou un logopède « remboursé ». Or, dans une multitude de cas, dont ceux des enfants atteints de trisomie 21, un suivi en logopédie précoce est recommandé. Dès les premiers mois, les professionnels peuvent déjà travailler la déglutition, le sourire, les babillages… Sans ces exercices, l’acquisition des compétences langagières nécessaires à l’épanouissement de l’enfant et à son intégration scolaire peut être retardée.
Le nœud se situe là pour Cynthia et Rida : ils ont inscrit Salia dans l’enseignement ordinaire et ils ont choisi leur thérapeute. Leur fille vit et s’amuse avec des personnes sans handicap. Pourquoi cette intégration devrait-elle se limiter à la sphère privée ? Et ils ont confiance en ses capacités d’apprentissage, à condition que les enseignants lui prêtent suffisamment d’attention et qu’ils ne s’attendent pas à ce qu’elle avance au même rythme que les autres élèves. Alors, ils se plient en quatre depuis des années pour couvrir les frais de logopédie, qui s’additionnent aux autres soins et activités de leur fille. Il n’est pas rare qu’ils doivent débourser jusqu’à 700 euros par mois pour Salia. Les diverses allocations perçues ne suffisent pas.
Le budget de la famille repose sur les revenus du père. Rida travaille de nuit à l’aéroport de Charleroi, il remplit les réservoirs des avions de kérosène. Pour joindre les deux bouts, il entraîne aussi régulièrement une équipe de foot locale. Sa femme, Cynthia, a arrêté son travail de vendeuse depuis la naissance de Salia et s’occupe de leurs deux filles.
Qui cherche, trouve ?
Le parcours en logopédie avec une professionnelle indépendante commence dès le premier anniversaire de Salia. Les parents sont ravis, ils s’émerveillent des progrès de leur fille. Mais, quelques mois plus tard, la logopède déménage à Bruxelles. C’est trop loin pour eux. La quête d’une nouvelle thérapeute commence. « Notre fille a des besoins spécifiques. Tous les logopèdes ne connaissent pas les particularités des enfants porteurs du syndrome de Down, comme le fait que leur mâchoire est décalée », explique Rida.
Du côté des logopèdes, ils ratissent toujours et décident d’espacer les séances à une fois par mois pour diminuer les dépenses.
Mai 2015, Salia souffle ses deux bougies. Cynthia et Rida entreprennent la recherche d’une école maternelle. À en perdre le compte, ils visitent les écoles de leur région. Ils poussent même jusqu’à Arlon, à la frontière du Luxembourg, prêts à parcourir plus de 200 km aller-retour par jour. Ils sont déterminés à trouver une école ordinaire prête à accueillir leur fille. Un an plus tard, ils ont enfin une école ! Un établissement communal, proche de chez eux, dont la direction et l’enseignante maternelle montrent toute leur motivation pour accueillir Salia. En septembre 2017, elle fait sa rentrée scolaire, couettes sur la tête et cartable rose sur le dos. Les parents versent une petite larme et donnent à sa maîtresse un dossier soigneusement préparé expliquant les spécificités de Salia. L’institutrice les remercie et les rassure : elle a fait des recherches de son côté.
Salia aime l’école et la routine qu’elle implique : faire le même chemin, retrouver les mêmes copains et la même institutrice. Quand Salia crie, frappe ou se jette de sa chaise, l’enseignante sait qu’elle ne doit pas la gronder. Elle lui parle et elle essaye de comprendre la source de sa colère.
200 euros par mois
Fin 2017, alors que Salia termine sa deuxième maternelle, les parents trouvent enfin les coordonnées de Caroline Théate. Ils se rendent à son cabinet. Cette logopède met les parents au cœur de son intervention qu’elle structure en micro-objectifs. Elle leur demande la raison de leur venue, Cynthia et Rida répondent : « Nous voulons qu’elle arrive à s’exprimer, peu importe qu’elle dise des phrases complètes. » Soulagés, ils reprennent la voiture et reviendront la semaine suivante
Rida et Cynthia continuent de débourser 200 euros par mois pour couvrir les frais de logopédie. Caroline Théate est conventionnée ; ses honoraires s’élèvent à 24,06 euros la demi-heure. Avec une intervention de l’assurance, à laquelle ils n’ont pas droit, ils ne devraient payer que 5 euros. En plus des prestations, ils ont dû acheter une deuxième voiture, nécessaire pour tous ces déplacements. Et ils préparent également l’arrivée de leur troisième enfant, un petit garçon, qui devrait naître bientôt.
A l’école, tout était bien parti mais les choses se gâtent. L’institutrice de Salia tombe malade. Une remplaçante arrive, une jeune femme qui n’a pas choisi d’accueillir Salia dans sa classe. Rida et Cynthia sont sceptiques, elle ne leur a posé aucune question sur leur fille. Salia est perturbée, elle s’était attachée.
Heureusement, le suivi avec la logopède se poursuit. Salia adore Caroline. La logopède, elle, ne cache pas son admiration pour Rida et Cynthia. « Ces parents ont des ressources de malade. Ils préfèrent faire tous ces kilomètres plutôt que d’aller chez la logopède de leur village. Je les vois, ils sont sur tellement de fronts. Mon rôle est de les guider. » D’ailleurs, elle se familiarise avec Salia et elle remarque son potentiel : peut-être devrait-elle passer un test de QI ?