L’école du coin c’est bien… mais peut-être pas pour mon gamin ?

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Amélie Carpentier. CC BY-NC-ND.

En théorie, la mixité sociale, ils sont pour. Mais quand il s’agit de choisir une école pour leur enfant (et oui, malgré le confinement, cela reste une préoccupation stressante), ça se complique. Depuis que nous avons lancé notre série sur les inégalités scolaires, beaucoup de parents qui se disent « privilégiés » se confient. Entre leurs belles idées et la pratique, il y a parfois de l’espace pour de sérieuses prises de tête…

« Le niveau scolaire n’était pas super », « dans la cour de récré, les élèves parlaient turc », « il y avait une certaine violence entre les professeurs et les élèves ». Ces rumeurs sortent de la bouche de mes parents. Il y a 20 ans, ils m’inscrivaient dans une école à pédagogie active du haut de Schaerbeek alors que je vivais dans le bas de Saint-Josse-Ten-Noode. 30 minutes à pied, 7 arrêts de bus. « Nous adorons notre quartier, mais nous cherchions une école à pédagogie alternative et on ne la trouvait pas ici. En plus, des amis avaient déjà essayé les écoles du quartier et n’étaient pas convaincus du niveau… »

Mes parents ont reçu une éducation scolaire stricte. Ils ont passé des nuits à remettre en question cette rigidité. En bons représentants de la génération post soixante-huitarde, ils ont donc été conquis par la pédagogie Freinet et son programme prônant la « libre expression des enfants ». La réputation des écoles du quartier a achevé de les convaincre de m’inscrire dans cette école plus élitiste, mais loin de chez nous.

Ce choix est loin d’être rare, encore aujourd’hui. La mobilité domicile-école est particulièrement élevée à Bruxelles. En 2013, trois sociologues, Rudi Janssens, Joost Vaesen et Benjamin Wayens, en ont fait le constat dans la revue « Brussels Studies » :

Voici deux parents que j’ai rencontrés, et leurs points de vue. Clémence et Annabelle, au capital social et culturel important, favorables à la mixité sociale et qui vivent dans des quartiers populaires. Elles, elles ont inscrit leurs enfants dans l’école du quartier, avec une majorité d’élèves d’origine immigrée. Cette décision leur semble évidente, vu la proximité géographique de ces établissements et leurs convictions politiques. Mais, dans les faits, ce n’est pas si simple d’envoyer son enfant dans une école dont on peut craindre que le niveau soit trop « faible ».


Clémence, mère de Léa (5 ans) : « Ma fille va dans une petite école à discrimination positive de Schaerbeek. A quelques mètres de celle-ci, se situe l’école élitiste qui me fait de l’œil chaque année. D’un côté, les parents immigrés et de l’autre, les bobos schaerbeekois. Si je fais plutôt partie du second groupe, ma fille va dans la première école. »

Pour Clémence, ce choix d’école était une évidence : « Je veux que ma fille fréquente dans la cour de récré les enfants qu’elle rencontre dans le quartier. Avec mon mari, nous avons choisi l’école au fond de notre jardin. Même pas besoin de traverser la rue. Un établissement d’à peine deux ans, avec du matériel neuf, un grand jardin et un corps enseignant motivé. Cette décision, très pratique, tombait sous le sens. »
Seulement, dès l’inscription de Léa, elle entend des rumeurs, « celle de l’élève montrée du doigt parce qu’elle ne parlait pas turc et puis celle du petit garçon embêté à cause de son sandwich au jambon »… « Rien de tout cela ne s’est passé. Et notre fille se plaît dans cette école. » Malgré tout, ces bruits appuient sur les doutes de Clémence. D’autant qu’elle en discute avec d’autres parents, dont l’enfant va justement dans l’autre école de la rue, et qu’ils l’encouragent à les rejoindre.
Avec les parents de son école, elle a peu de contact. « Lorsque Léa me demande d’inviter certains de ses amis à jouer à la maison, il arrive souvent que mon invitation reste sans réponse auprès de leurs parents. » Clémence crée difficilement des liens avec les autres mères. Elles semblent déjà toutes se connaître. A part quelques échanges cordiaux à la sortie des classes, elle se sent isolée.

Des propos qui résonnent avec le vécu d’Annabelle, mère de Nino (13 ans), qui habite dans le quartier Anneessens (Bruxelles), non pas par choix mais en raison des loyers accessibles. Après avoir vécu dans six pays, elle cherchait une école avec un public socialement mélangé. Seulement, elle n’a pas trouvé et a inscrit son fils dans une école près de leur maison avec un public minoritairement défavorisé et de confession musulmane. La règle : « L’école doit être accessible à vélo ». Elle rejoint Clémence dans la difficulté de nouer des relations avec les autres parents.


Concernant le niveau scolaire, Clémence développe : « Je suis contre l’élitisme et je conçois que les écoles, telles que celle de ma fille, doivent faire face à beaucoup de challenges, mais je ne peux m’empêcher de constater que cette école ne pousse pas ses élèves. Il n’est pas rare que j’observe un décalage entre ma fille et d’autres enfants de mon entourage qui ont son âge, dans la maîtrise de la langue par exemple. »


A la peur du niveau scolaire, des réponses peuvent être apportées. Virginie Dupont, docteure en sciences de l’éducation à l’ULG, a mené une étude en s’appuyant sur les données PISA (2003), une enquête réalisée tous les trois ans auprès de jeunes de 15 ans et qui mesure les performances des systèmes éducatifs des pays de l’OCDE. Cette année-là, en plus des évaluations cognitives, les élèves devaient répondre à un questionnaire contextuel (aspirations professionnelles, « attitudes et intérêts vis-à-vis des mathématiques »,…).

Suite à ces analyses, Virginie Dupont théorise le « big-fish-little-pond effect » (l’effet du gros poisson dans le petit étang) :

Le cap des secondaires

« Au fil du temps, conclut Clémence, mes réflexions s’intensifient. Je reste sur mes positions idéologiques, mais la communication entre parents me manque et le niveau scolaire me fait douter. En tant que mère qui veut la meilleure éducation pour son enfant, j’éprouve mes convictions avec ce choix de scolarité. Peut-être que le passage en primaire sera déterminant… »

Pour l’entrée en secondaire, Annabelle a inscrit Nino à l’Athénée Charles Janssens, une école réputée d’Ixelles. « Mon fils s’ennuyait en classe. Je n’ai pas besoin qu’il devienne ingénieur ou médecin, mais qu’il s’épanouisse. Dans cette école, j’ai enfin trouvé la mixité sociale équilibrée que je cherchais depuis la crèche. »


L’enseignement belge détient le record européen de la ségrégation sociale. L’écart entre les performances des enfants de familles aisées et défavorisées est plus élevé chez nous qu’ailleurs en Europe. D’après les témoignages récoltés, si les parents les plus nantis sont prêts à jouer le jeu de la mixité sociale pour les maternelles et les primaires, dès les secondaires, la crainte de ne pas avoir le niveau pour les études supérieures refait surface.


Au fil de la discussion, j’en reviens à mon parcours scolaire et je réalise qu’à l’époque - cela remonte déjà à 20 ans - je n’ai créé aucune relation avec les jeunes de mon quartier. Mes parents réagissent : « C’est dommage, peut-être que nous aurions pu faire des efforts… C’est comme si on n’avait pas totalement participé au jeu de la mixité sociale. »
Pour en revenir à ma scolarité dans cette école élitiste, j’en ai franchement bavé. Peut-être que nager dans le petit étang de mon quartier ne m’aurait pas fait de tort.

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