Rendeux, terre promise

Flamands en Ardenne. Episode 1/3

Entre le premier et le deuxième confinement, c’est une véritable ruée immobilière qui s’est abattue sur l’Ardenne wallonne. En son épicentre : Rendeux. 2600 habitants. En 2020, une maison sur deux a été achetée par des Flamands. Première étape du périple de Médor et d’Apache dans cette commune, le village de Marcourt. Sa promesse : « Ici, on ne risque pas de s’ennuyer ».

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Lionel Jusseret

Marcourt, ses anciennes fermes de pierre rénovées, son petit pont au-dessus de l’Ourthe, sa « Maison espagnole », magnifique bâtisse à colombages du 17ème.

Plus bucolique que cela, c’est compliqué. Il est 11 heures, le soleil tape. Nicole De Moor est à pied d’oeuvre au syndicat d’initiative du village, qui fait partie de la commune de Rendeux.

Un habitant débarque pour acheter des sacs poubelles et euh, ben, un Orval tiens. À 3,50€ la bouteille, faudrait pas se priver. Nicole De Moor nous parle de Théroigne De Méricourt (1762-1817), née au village avant de devenir femme politique lors de la Révolution française et de mourir internée dans un asile.

Mais il n’y a pas que l’histoire qui compte à Marcourt et un autre client interrompt l’explication de Nicole De Moor pour demander, euh, non pas un Orval. Une bière, ça suffira.

De weg ?

Le syndicat fait office du tourisme, dépôt de cartes de randonnées, bar, toilettes publiques, comptoir à pots de miel produit dans le village. Le syndicat ouvre sept jours sur sept, car le passage ne manque pas ici. Et le passage, en général, il se fait en néerlandais. Il y a quelques minutes, un père et sa fille ont parqué leur voiture rouge, gagné la terrasse du syndicat et demandé à Nicole : « On peut parler en néerlandais ? » Oui, ça devrait aller. « Kun je ons de weg vertellen naar de beverwandeling ? »

Nicole répond, plutôt à l’aise, qu’il faut monter plus haut, et que c’est fléché après. En plus des vues imprenables sur l’Ourthe, de petits zestes d’Histoire, y a donc des castors dans le coin. Et le service, que ce soit les cartes de randonnée ou le gai savoir de Nicole, est bilingue.

« 90 % des gens qui passent ici, ce sont des néerlandophones. Moi, j’ai appris la langue à l’école secondaire, je baragouine, eux ne sont pas non plus toujours à l’aise en français, mais on part toujours du principe qu’on va se comprendre ».

Qu’est-ce qui les attire tant ici ? « La nature, l’espace et, surtout, ici, on ne s’ennuie pas. » Nicole, qui travaille depuis cinq ans à Marcourt, montre la place en contrebas de l’église, quelques tonnelles, des bancs pliables.

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Nicole de Moor

On ne dirait pas, mais chaque mercredi d’été, plus de 1500 personnes participent au marché, visitent les 35 exposants et éclusent de la bière et du fromage du coin. Dans la foule, des locaux, mais aussi beaucoup de seconds résidents, des Flamands qui ont décidé de venir vivre dans la région, des touristes installés dans les campings ou les dizaines de gîtes du coin.

« Ça marche du tonnerre », s’exclame Nicole. Dans son calendrier, elle pointe les activités de la commune de Rendeux, chacune comme un argument pour dépayser les touristes. « Rien qu’à Marcourt, en plus du marché, on a la kermesse, la fête des vins, même si ça, c’est plutôt les locaux qui s’y rendent, et les concours de pêche. Puis il y a aussi les balades aux champignons, les promenades en VTT. Et tout ce qu’il se passe dans les autres villages, à Rendeux-centre, à Ronzon, à Beffe. »

Sans oublier les jeux écossais à La Golette, au mois de mai.

Nicole nous envoie gravir la colline d’en face. Là-haut, la chapelle et l’ermitage Saint-Thibault s’extirpent de la forêt. En chemin, on comprend qu’il vaut mieux dire « Hallo » que « Bonjour » pour prendre langue avec les autres marcheurs. Idem au Proxy Delhaize du coin, « l’endroit idéal » pour se rendre compte de l’omniprésence de néerlandophones dans la région.

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On est quand même est loin de l’effervescence du centre de Durbuy ou de La-Roche-en-Ardennes (Rendeux se trouve entre les deux) devenus des lieux bondés où les fêtes sont désormais un peu « moins authentiques », estime Nicole.

Pendant qu’on crapahute dans la forêt, Cédric Lerusse, le Bourgmestre de Rendeux (MR, mais à la tête d’une majorité appelée Gestion citoyenne) jardine dans la ferme-maison qu’il a achetée au début des années 2000. Architecte communal à La Roche, il estime avoir eu de la chance de pouvoir acheter à l’époque. « Aujourd’hui, je ne pourrais plus me le permettre. » Lerusse se rappelle de Rendeux avant.

« Dans les années 70-80, il y avait trois ou quatre seconds résidents ici, pour quatre-vingts habitations. C’était des Liégeois. Ils côtoyaient beaucoup d’anciens qui sont décédés, ou des agriculteurs qui avaient encore quelques bêtes. Mais des Liégeois, on n’en a plus. Depuis les années 80 et 90, les Néerlandais et les Flamands sont arrivés. »

Le bourgmestre fait le décompte sur sa terrasse, potager et vue sur la vallée en arrière-plan : Rendeux, c’est 2600 habitants permanents, 300 demandeurs d’asile au centre d’accueil Croix-Rouge Couleurs du monde, et plus ou moins 900 résidences secondaires.

« Je ne peux pas dire exactement combien elles accueillent de personnes, mais ceux qui achètent, ce sont plutôt des Flamands dans les 40-50 ans, souvent des familles. Donc si on compte environ 3 personnes par famille, ça fait 2700 résidents secondaires. Et on a 3000 places d’hébergements en plus dans les campings, les gîtes, les chambres d’hôtes. »

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Cédric Lerusse

Dans l’histoire d’amour entre les Flamands et l’Ardenne, certains vont jusqu’au mariage à temps plein. Ou « l’émigration », comme disent Els et Patsy. Voyageuses avides, ces Anversoises, la cinquantaine, ont longtemps pensé acheter une baie en Nouvelle-Zélande.

En 2008, elles visent plus local, et investissent dans un terrain d’1,9 hectare à Marcourt. L’idée était de revendre, après plus-value. Un peu avant le premier confinement, en 2020, elles choisissent de bâtir.

Une architecte liégeoise s’y met. Bardage en bois, discussions fermes avec la province pour trouver le bon endroit où placer la maison sur le terrain. La maison est prête avant le deuxième confinement. Vient ensuite l’intégration.

« Quand on a déménagé, 10 hommes de la commune de Rendeux sont venus nous aider. En quinze minutes, tout était dans notre maison. On a plus eu qu’à faire des pains-saucisses pour remercier. »

Au tout début, un homme les remorque en tracteur alors que leur voiture est bloquée dans le chemin de terre qui monte jusqu’au terrain. Sans dire un mot, il repart. « En regardant où il allait, on s’est rendu compte que c’était notre voisin. » Patsy interrompt la discussion quelques secondes pour enlever le masque beauté qu’elle vient de faire à sa maman, qui passe souvent quelques jours avec elle.

Quand elles parlent d’émigration, Patsy, manager de contrats de sous-traitants chez DuPont, et Els, directrice artistique freelance, ont choisi la formule « intégration » plutôt qu’isolement.

Elles ont rejoint le comité des fêtes du village, invitent désormais les voisins pour l’apéro. « On avait tous les habitants à notre crémaillère. Depuis que j’habite ici, j’ai changé. En Flandre, j’étais toujours stressée. Le télétravail nous a permis de nous installer ici tout en étant à 1h30 d’Anvers si on doit y passer une journée pour rencontrer quelqu’un. »

La friterie tourne

Catherine De Coninck (55 ans) et Hugo Verhoeve (56) ont un parcours encore plus original. Jusqu’à la fin 2019, ils tenaient à bout de bras une exploitation laitière, avec 80 vaches, à Nazareth, près de Gand (Flandre-Orientale).

Ils avaient un bail à ferme auprès du CPAS de Gand, mais le gouvernement flamand menaçait de réduire le terrain pour des aménagements forestiers. « Après cinq ans de négociations, mon époux a dit aux autorités : soit vous prenez tout, soit vous ne prenez rien. »

Catherine repère sur Internet une petite annonce pour un camping à Walcourt, au sud de Charleroi. Ils visitent le lieu avec leur fils, qui, finaud, leur dit de ne pas acheter. Il n’y a pas de cours d’eau qui passe par le terrain. Un agent immobilier les rencarde vers un petit joyau.

À Marcourt, bien sûr, le long de l’Ourthe. Les propriétaires, originaires de Bredene, voulaient revendre. « 57 caravanes, 8 emplacements de tentes, une cantine, une friture : on a directement vu le potentiel. Surtout la friterie, car quand il y a moins de monde au camping, elle, elle tourne toujours. »

Le 21 février 2020, les éleveurs de Nazareth arrivent sur leur nouvelle terre promise. Trois semaines après, le confinement démarre. Pas si grave pour Catherine et son mari : les grands espaces un peu vides, ils en ont eu l’habitude à la ferme.

Mais pour Rendeux, le confinement, c’est le calme avant la tempête. Car trouver une maison à Rendeux devient de plus en plus difficile pour les locaux.

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  1. « Pouvez-vous nous dire le chemin vers la balade des castors ? »

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