Rendeux, terre conquise ?

Flamands en Ardenne. Episode 2/3

Prise d’assaut par des investisseurs en quête d’un coin de paradis, la commune ardennaise a vu le prix de son immobilier augmenter. Victimes collatérales, les jeunes ménages, qui galèrent à acheter une maison dans l’entité.

Mars 2020. Catherine De Coninck et Hugo Verhoeve sont coincés, en plein confinement, avec leur nouvelle acquisition sur les bras. Un camping, Le Passage, idéalement situé le long de l’Ourthe, à Rendeux, près de la route qui relie les deux poumons touristiques du nord de l’Ardenne belge : Durbuy et La Roche-en-Ardenne.

Ces deux anciens éleveurs ont quitté la Flandre orientale pour s’installer ici il y a quelques semaines (cfr épisode 1). Les locations d’avril et d’été semblent bien compromises mais au moins, ils ont de l’espace. Pas comme des milliers de Belges et a fortiori de Flamands, coincés chez eux devant Netflix et le Codeco.

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Lionel Jusseret

Le prix demandé, voire plus

En Flandre, beaucoup jurent qu’ils ne se feront pas avoir deux fois. Si jamais il y a un nouveau confinement, c’est dans une résidence secondaire qu’ils le passeront. Et en Ardenne plutôt qu’ailleurs.

« Avant le Covid, on avait beaucoup de demandes, tout se passait bien, le marché s’excitait rarement ». Benjamin Gaspard est agent immobilier depuis 2006. Son bureau est au coeur de Rendeux, juste au bord de la route principale qui file vers Hotton. Il vend des biens dans un rayon de cinquante kilomètres, et son personnel est bilingue car « par principe, il faut faire l’effort pour les acheteurs, même s’ils parlent quasiment tous français. ».

Après le premier confinement, le téléphone s’est mis à sonner sans arrêt. « On a eu des dizaines de personnes en rendez-vous pour une seule maison. Cela ne servait à rien : les biens étaient quasiment vendus aux premiers visiteurs, voire avant. Ils offraient le prix demandé, voire plus. »

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La fièvre immobilière s’empare de toute la région, alors que le marché chute dans le reste du pays. À tel point que la Fédération des notaires publie une étude qui se focalise sur l’Ardenne belge.

Elle est reprise par une palanquée de médias. Sur l’année 2020, le prix moyen des maisons en Ardenne a augmenté de 10 %.

À Rendeux, 42 % des biens sont achetés par des Flamands. La commune dépasse de quelques pourcents La-Roche-en Ardenne, Érezée et Vresse-sur-Semois. Mais le baromètre rappelle aussi qu’une maison en Ardenne coûte environ 174 000€, soit 30 000 euros de moins que le prix moyen en Wallonie.

L’Ardenne s’enflamme, mais elle reste abordable pour beaucoup. Et Rendeux a un bel argument à offrir à l’acheteur en manque de seconde résidence : c’est la commune la moins chère au nord de la province. 150 000 euros en moyenne pour une maison.

Contre plus de 200 000 à La Roche, Houffalize, Durbuy, Manhay.

Les investisseurs ne cherchent plus uniquement le bien « classique » qui alléchait les Flamands auparavant : la maison ardennaise en pierre, éloignée des grands routes, avec une belle vue. Ils lorgnent de plus en plus les terrains à bâtir.

« Le marché des terrains a énormément grandi. Les gens recherchent soit pour construire leur seconde résidence, soit comme un moyen de placer leur argent (surtout depuis que l’épargne ne rapporte plus rien en Belgique, ndlr) », note Tim Plees, manager de F.C.A Investment, une société de promotion immobilière basée à Lommel.

Cette société a été fondée il y a 20 ans par Fons Ceustermans, un ancien de la KBC. Leur technique est simple : repérer grâce à un réseau bâti de longue date (notamment chez les notaires) des terrains pouvant aller de quelques ares à plusieurs hectares, les acheter, les scinder en parcelles, les rendre constructibles (raccordement à l’eau, accès depuis les routes) et les revendre.

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« Il y a évidemment un vrai phénomène d’attraction avec des Luxembourgeois qui cherchaient des terrains moins chers. Aujourd’hui, on a aussi un effet Marc Coucke (l’ancien PDG du groupe pharmaceutique Oméga Pharma qui investit énormément à Durbuy, Ndlr). Les Flamands étaient déjà attirés par l’Ardenne, mais Coucke et des riches investisseurs comme Studio 100, qui ont le parc d’attraction Plopsa à Coo, en ont emmené d’autres dans leurs sillages. Des zones de PME ouvrent dans la région, et ça attire aussi des entrepreneurs flamands. Alors, nous cherchons à acheter des terrains près de ces zones. »

Une poussée immobilière sans victimes collatérales, hélas, c’est rare. « Les prix pratiqués ici sont beaucoup plus faibles que ceux que [les Flamands] connaissent dans leur région d’origine, ils font donc monter les prix », notait Frédéric Dumoulin, notaire à Durbuy, dans le Baromètre de 2021.

L’envol, la norme

Aujourd’hui, la fièvre immobilière qui a saisi Rendeux a baissé. Benjamin Gaspard aspire à ce retour au calme. « La demande est forte, mais les gens ont du temps pour visiter, réfléchir à leur acquisition. C’est plus agréable. »

La montée des prix, elle, n’a rien d’agréable pour les locaux qui cherchent à acheter dans la région. Un regard sur la carte des revenus moyens par habitants et par commune suffit. À Rendeux, le revenu moyen annuel (2019) est d’un peu plus de 16 000€ par habitant. 4000€ de moins que la moyenne nationale.

Katrien Meyvis habite depuis douze ans à Rendeux. Elle et son mari ont quitté Rijkevorsel, dans la Campine anversoise, pour venir dans le petit village perché de Chéoux, où elle a ouvert un gîte, La Girondaine.

« On entend des francophones dire que les Flamands achètent tout, ce qui empêchent leurs enfants d’acheter eux-mêmes s’ils n’ont pas mis de l’argent de côté, déclare Katrien Meyvis. On voit dans les environs une forme de pauvreté de plus en plus visible. Quand tu veux acheter ici, il faut payer plus que le prix demandé, sinon tu n’as aucune chance. »

Passe de trois

Résultat, confirmé par l’agent immobilier Benjamin Gaspard : les jeunes louent plus longtemps et postposent leur achat. D’autres vont voir dans d’autres communes. « Les prix se sont envolés, explique Gaspard, et ça va devenir la norme. »

L’enjeu n’échappe pas au monde politique local. Conseiller communal de l’opposition, Sébastien Depierreux (siégeant comme indépendant) prévient du risque de voir des villages comme Marcouray, « qui flirte avec les 50 % de résidences secondaires, devenir un village-dortoir. Il va falloir trouver un équilibre. »

Alors, comment réussir la passe de trois : contenter les jeunes, accueillir des touristes et des seconds résidents qui font tourner l’économie locale, dans une entité sans autre véritable pôle d’emploi que le tourisme, et faire en sorte que tout le monde s’entende ?

Face à « la demande qui explose » et pour éviter de « ne plus maîtriser l’outil », comme le dit Benjamin Gaspard, les autorités tentent des mesures. Dans leur viseur : les gîtes, qui champignonnent depuis des années et faussent le marché immobilier.

IMPACT SOCIAL : À quel point lire Médor provoque des changements chez vous ? Que vous consultiez nos articles souvent ou non, votre avis nous aidera énormément. L’enquête se clôture le 8 septembre. Y participer vous prendra une vingtaine de minutes. Merci beaucoup du temps pour vous pourrez consacrer à cette étude !

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