Le petit Nicolas

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Nina Cosco.

Envoyer son patrimoine génétique dans la nature, c’est anodin pour certains, inconcevable pour d’autres. Pour Cindy et Raphaël, potentiels donneurs d’embryons, ce ne sont pas les cellules mais le lien affectif qui crée la filiation.

Dans l’épisode précédent (à lire nécessairement avant celui-ci), nous avions laissé Cindy et Raphaël dans la tristesse d’une fausse-couche et l’espoir d’une nouvelle grossesse, avec l’aide de la procréation médicalement assistée (PMA).

Ils avaient alors toujours 5 embryons congelés.

Cette fois, c’est la bonne. L’embryon s’accroche ; le bébé se développe normalement. Après 20 ans d’attente et une grossesse à risques, Cindy et Raphaël s’apprêtent enfin à devenir parents. Ils sont fous de joie.

Nicolas naît, en novembre 2020, à Soignies.

- Et l’accouchement s’est bien passé, Cindy ?

- « Je ne vais pas vous vendre du rêve, hein ! Ça s’est bien passé mais c’est l’après qui a été catastrophique. Je suis partie en hémorragie pendant 5 heures. ».

Fin de parcours

Juillet 2021. Nicolas a 8 mois. Dans les congélateurs de l’hôpital Erasme, il reste 4 embryons appartenant au couple. Mais Cindy et Raphaël en sont sûrs : ils ne relanceront pas de PMA pour avoir un deuxième enfant. Les émotions ont été assez fortes pour une vie entière.

Conformément à leur choix, ces 4 embryons surnuméraires seront donc « libérés » pour un programme de dons (ce qui ne signifie pas qu’ils seront replacés dans l’utérus d’une autre femme).

(Si vous ne comprenez rien, c’est que vous devez vraiment commencer par lire les épisodes 1 et 2.)

Malgré la naissance de Nicolas, leur envie d’aider d’autres familles qui galèrent n’a pas changé.

Cindy : « Sur le forum, je vois des femmes dire qu’elles ont peur de croiser en rue un enfant qui ressemble au leur. Mais moi, j’en croise tout le temps des petits blonds aux yeux bleus. Ça ne me viendrait pas à l’esprit de me dire que l’enfant de la voisine pourrait être ‘le mien’. »

Si le don n’est finalement pas possible, les embryons seront détruits.

Pas de débat sur le fond

Nous avons donc des embryons surnuméraires par milliers, qui voyagent, font parfois des détours par la recherche, et finissent le plus souvent pas être détruits. Est-ce que, comme l’IVG qui secoue fréquemment notre parlement, leur sort intéresse quelqu’un ?

« Non », répond en substance Guido Pennings, professeur de bioéthique à l’Université de Gand et vice-président de la Commission fédérale « embryons ». « On était l’un des premiers pays au monde à faire des fécondations in vitro (dès les années 1980, NDLR). Ça a très vite été accepté par la population et, aujourd’hui, presque personne ne se pose de questions là-dessus. » 

(Médor) : Et c’était déjà le cas lors de l’adoption de la loi autour de la PMA et des embryons surnuméraires, en 2007 ?

(Guido Pennings) : « Oui. L’approche légale est assez peu idéologique, avec beaucoup de possibilités, et très pragmatique. La loi a été co-écrite avec des médecins qui pratiquent la PMA. »

(Médor) : Il y a bien quelques groupes Prolife qui doivent s’exciter sur le sujet, quand même…

(Guido Pennings) : « Oui. Pour eux, la destruction d’embryons surnuméraires ou l’IVG, c’est la même chose. Mais ce sont des groupes extrémistes, très peu nombreux, qui n’ont plus de relais majeur, comme autrefois l’Église catholique. Dans la politique belge, ils sont assez peu pris au sérieux. »

(Médor) : On discute pourtant de l’IVG au Parlement…

(Guido Pennings) : Oui mais on ne discute plus du fond. Ce sont aussi des modalités concrètes qu’on discute, comme l’allongement du délai légal. Presque personne, en Belgique, ne remet plus en question, comme en Pologne ou en Hongrie, la base, c’est-à-dire le droit à l’IVG. »

Connaître ses géniteurs

Là où il y a débat, par contre, c’est sur la question de l’anonymat des donneurs.

Actuellement, en Belgique, le don de gamètes (sperme ou ovocytes) peut être anonyme ou non. En revanche, le don d’embryons est toujours strictement anonyme. Et ce, dans tous les sens : l’enfant ne saura rien de ses géniteurs  et les donneurs ne peuvent pas savoir si un enfant est né de leur don.

Mais une tendance de fond pousse à la levée, au moins partielle, de l’anonymat des donneurs. Les défenseurs de cette évolution se basent sur l’article 7 de la Convention des Nations Unies relatives aux droits de l’enfant qui consacre le « droit de connaître ses parents ».

Elle fait surtout écho à la demande de certains enfants issus d’un don de sperme, aujourd’hui adultes, et qui ont le sentiment qu’il manque une pièce à leur puzzle identitaire.

C’est le cas des membres des associations Enfants de donneurs ou Donorkinderen, qui recherchent leur géniteur ou leurs demi-frères et sœurs, grâce aux tests ADN (voir l’article de François Corbiau paru dans Médor « Ton sperme, ma bataille »).

En France (pays qui pratique également le don, appelé « accueil », d’embryons), une nouvelle loi vient d’être adoptée. Elle donne accès à la PMA aux femmes seules et aux couples lesbiens et supprime la possibilité de l’anonymat total des donneurs.

Cela signifie que l’enfant issu d’un don peut avoir accès à sa majorité, soit à l’identité complète du donneur, soit à des données « non-identifiantes » (âge, caractéristiques physiques…).

En Belgique, trois propositions de lois allant dans le sens de cette levée de l’anonymat ont été déposées sous la législature précédente par l’Open Vld, la N-VA et le CD&V. Rien n’est actuellement au menu de la Chambre mais le sujet finira bien un jour par se réinviter dans les débats.

La bataille génétique

Et Guido Pennings est clairement inquiet. « Tout le monde, sauf moi, semble penser qu’il y a un droit de l’enfant à connaître le donneur. »

La logique a en fait été calquée sur celle de l’adoption : il est aujourd’hui admis partout que le secret des origines peut être néfaste pour la construction identitaire.

« Mais est-ce que l’adoption et le don d’embryons ont quelque chose à voir ? », se demande Guido Pennings. « Non ! Si on fait un don, c’est qu’on considère que le lien génétique n’est pas important. Et après, on vient dire que c’est quand même important. En tant qu’éthicien, je trouve que ce n’est pas parce que certaines personnes veulent savoir qui est leur donneur que cela signifie qu’il y a un droit à savoir. Il n’y a aucune étude scientifique qui montre que ce serait mieux. »

Selon le professeur de bioéthique, cette course à l’identité génétique est même dangereuse. « C’est une idéologie biogénétique qui se propage. On veut retourner à la famille ‘naturelle’, avec des liens génétiques. Et les Prolife seront ravis. Aujourd’hui, il y a une bataille qui se joue. Et je suis absolument certain que je vais la perdre. » Avec, comme conséquence à prévoir, selon lui, une baisse du nombre de donneurs de gamètes ou d’embryons, voire une interdiction du don.

En attendant, chaque année, des milliers de personnes en Belgique donnent encore leurs gamètes ou leurs embryons pour en aider d’autres à concevoir un enfant.

Dans chaque classe de 25 élèves, il y en a statistiquement un qui n’aurait pas pu voir le jour sans l’aide de la médecine. L’un d’eux s’appelle Nicolas. Et pour l’heure, il dort comme un bienheureux.

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  1. Appelés aussi « provie » (ou « antichoix »), ces mouvements s’opposent à l’avortement ou à l’euthanasie.

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