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« Laissez nos corps tranquilles »

Episode 3/3

À 15 ans, Sasha apprend qu’elle est atteinte du syndrome MRKH. Il touche environ une femme sur 4 500. Il se définit par une absence totale ou partielle de vagin et d’utérus. S’ensuivent une suite d’interventions chirurgicales qui cloue Sasha en chaise roulante.

« Cette intervention, je voulais la faire rapidement car je pensais qu’avec ce vagin, je me sentirais femme. Sans celui-ci, je me voyais comme un monstre dépourvu de sexe », souffle Sasha, mineure à l’époque. Dans son fauteuil roulant, la jeune fille de vingt-sept ans oscille entre colère et culpabilité.

Elle dénonce « l’injonction médicale à l’opération » destinée à la rendre conforme aux normes de genre. Une fille doit pouvoir être pénétrée. Elle a eu l’impression qu’il fallait corriger la soi-disant erreur de la nature. Quitte à prendre des risques démesurés.

Une vie de luttes

Sa vie après l’hôpital, Sasha la définit comme une « succession de batailles ». La reconnaissance de son handicap, la prise en charge médicale, le logement, le procès… Rien n’est simple.

En plus des problèmes médicaux, Sasha connaît désormais les discriminations quotidiennes liées au handicap. Travailler, elle ne l’imagine même pas. « Je suis bien trop handicapée. » Elle perçoit une indemnité de 1 400€ par mois pour vivre.

Aujourd’hui, Sasha vit isolée avec sa mère et ses trois petits frères et sœurs. « J’ai mis en place des mécanismes de défense parce que l’abandon me terrifie. Dès qu’une personne se rapproche, je mets de la distance. »

En ligne, elle s’entoure d’une communauté auprès de laquelle elle ne se sent ni jugée, ni stigmatisée. « Je ne me rapproche que de personnes qui peuvent me comprendre. » Son ordinateur lui permet de sociabiliser et de ne pas se couper totalement du monde extérieur.

À l’idée de vivre une histoire d’amour, le dégoût l’emporte : « Je ne supporte pas qu’on me touche. » Quant à son vagin, elle fait comme s’il n’existait pas : « Je ne le considère pas comme faisant partie de mon corps. Je continue à dire que je n’en ai pas. »

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Louise Duneton. CC BY-SA

Soutien du mouvement intersexe

Ce n’est qu’en 2020, en se perdant sur Internet, que Sasha découvre le terme « intersexe. » Elle comprend qu’elle en fait partie et prend contact avec les membres de l’association Intersex Belgium. « Je me suis sentie écoutée et entendue. Pour une fois, je n’avais pas l’impression de crier dans le vide. » Elle raconte le réconfort de mettre un mot sur ses maux et, surtout, de discuter avec des personnes qui ont vécu des expériences similaires. « J’ai compris que j’étais aussi intersexe, que ce que j’avais vécu n’était pas normal et, surtout, pas de ma faute. »

96 % des personnes intersexes subissent au moins un traitement hormonal et 64 % une gonadectomie. Quant aux vaginoplasties sur enfants, elles débouchent sur des sténoses vaginales dans 80 % à 85 % des cas.

Aveuglé par les normes binaires de genre, le corps médical s’évertue à réparer des corps, pourtant sains, quitte à provoquer de réels dégâts. Ces opérations souvent effectuées dans la petite enfance et sans consentement éclairé, les collectifs intersexes préfèrent les nommer « mutilations ».

Ils exigent qu’on y mette un terme. En Belgique, une résolution visant à reconnaître le droit à l’intégrité physique des mineurs intersexes a été votée en février 2021 à la Chambre, après deux condamnations par l’ONU. Celle-ci inscrit l’« interdiction de toute décision de modification des caractéristiques sexuelles d’un mineur sans le consentement éclairé de celui-ci ». Si tant est qu’un consentement éclairé soit possible au vu des fortes pressions sociétales à entrer dans la norme.

Par son témoignage, Sasha rejoint la lutte pour la visibilité des personnes intersexes. « Beaucoup ne parleront jamais parce que les médecins leur ont induit une honte de leur corps », regrette Sylviane, présidente d’Intersex Belgium, avant d’ajouter : « Il est de notre devoir de libérer la parole. »

Vers une médecine plus humaine ?

Plus largement, l’histoire de Sasha illustre-t-elle la cadence de travail infernale du corps médical qui débouche inévitablement sur un manque de temps pour soigner les personnes ? Sasha n’accepte pas cet argument. « C’est trop facile », lâche-t-elle. Furieuse, elle a plutôt le sentiment qu’aucune remise en question n’est possible dans la profession. « On porte en héros ce corps de métier, pendant qu’on accuse les victimes de maltraitances d’exagérer. »

Le dessin pour témoigner

À l’hôpital, Sasha s’est découvert une passion pour le dessin.

Depuis les débuts en 2014, elle dessine tout le temps. Une véritable source d’apaisement qui lui permet de raconter son histoire sous forme de bande dessinée.

Sasha en est à son cinquième tome. Une œuvre sombre, à l’image de ses traumatismes, grâce à laquelle elle espère éveiller les consciences. Et alléger sa vie. « Le dessin m’a sauvée ».

Les histoires de Médor : Chaque début de mois un nouveau récit, en 3 épisodes. Les publications se font les mardi, jeudi et vendredi de la 1ère semaine, à 11h. Gardez les yeux ouverts !

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  1. Ablation des testicules / Source : Droits de l’homme et personnes intersexes par le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe.

  2. Perte d’élasticité du vagin qui devient plus étroit.

  3. Source : Corps en tous genre –La dualité des sexes à l’épreuve de la science, Anne Fausto-Sterling, Paris, La Découverte, 2012

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