« Je tâcherai de ne plus me faire prendre »

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Maxime Sabourin. CC BY-NC-ND.

Juan est en détention pour 18 ans suite à un crime atroce, mais il pourrait en principe être bientôt libéré. Ses parents tirent à nouveau la sonnette d’alarme.

Doit-on se trouver en prison quand on ne comprend pas les violences qu’on a commises ? En fait, la question ne se pose plus pour Juan et Juan, deux Belges ayant été adoptés en Amérique centrale et condamnés à 18 et 20 ans de prison en octobre 2018, pour avoir commis un meurtre à Namur. Ils vivent en prison depuis le drame du 18 novembre 2015. Les premières perspectives de congé pénitentiaire (au tiers de la peine) voire de libération conditionnelle paraissent illusoires. Le Covid n’arrange rien à leur isolement, car les visites se font rares ou sont inexistantes. Quant aux thérapeutes, ils ne viennent pas en prison.

Comment pourrait-on espérer que ces deux criminels, déficients mentaux, souffrant d’un trouble de l’appartenance puissent un jour vivre de manière apaisée après avoir purgé une longue peine ?

«  Nous l’avouons et c’est terrible à dire, déclarent les parents de Juan S, nous ressentons en ce moment une forme de soulagement. Là, il ne peut rien arriver d’encore plus grave. En même temps, nous ne pourrons nous résigner à ce que notre fils de 27 ans passe sa vie derrière les barreaux. Or, aujourd’hui, la situation est la même que quand Juan est devenu majeur. Il n’y a jamais eu de place pour lui dans un centre de soins adapté à sa situation. »

Pas de place d’accueil

Car en Wallonie comme dans les deux autres régions du pays, le trouble dit de l’appartenance – qui affecte par exemple des enfants ayant été abandonnés tout petits – n’est pas considéré comme une vraie pathologie. Un adulte atteint de ce trouble peut être détenu en prison s’il commet des faits graves et il n’a aucune certitude de trouver un logement dans une institution spécialisée à sa sortie. «  Notre fils n’est ni autiste ni psychopathe. Il ne rentre dans aucune case. Cela peut apparaître cynique de dire ça, mais en clair, c’est notre vécu  » (lire l’épisode 1).

À la cour d’assises, l’avocat d’un des deux accusés avait eu cette phrase terrible : «  On ne va pas les euthanasier, tout de même ?  » Il s’en prenait ainsi aux psychiatres venus à la barre dire en substance qu’ils n’entrevoyaient… aucune solution. «  Même à l’âge adulte, j’ai la conviction qu’on peut soigner ces personnes, avait tenté l’avocat. Les adapter, leur donner une capacité de vie un peu agréable. Cela doit se faire en résidentiel, où chaque moment devient une séance de travail, où leur vie est partagée avec d’autres. À ces conditions, oui, on peut espérer appliquer une suture fine sur ce trouble de l’appartenance. Mais, c’est sûr, il manque de place en institutions.  »

Est-ce une fatalité ?

La peur, désormais

À La Passerelle, un centre pour adultes où les deux condamnés ont été suivis pendant six mois, en 2014, on confirme cet état de fait qui laisse l’Agence wallonne pour une vie de qualité (AViQ) sans réaction. «  Ces cas demandent une attention de tous les instants, commente la responsable pédagogique Violette Counard. Sans prévenir, une remarque peut être perçue comme une offense et provoquer une soudaine montée d’adrénaline.  » En clair, il faut du personnel pour échanger, soigner et s’interposer en cas de bagarre, par exemple.

Avec l’étiquette de meurtriers qui risque de leur coller à la peau, les deux Juan pourraient effrayer les rares équipes d’accueil disposant de l’un ou l’autre lit disponible. Ce sera une difficulté supplémentaire.

«  Vous l’aurez compris, nous nous faisons du souci pour la suite  », soufflent les parents de Juan S. Par petites touches, à chaque visite à la prison, ils essaient d’anticiper le travail de réinsertion, quasi inexistant. «  Mais c’est terriblement frustrant, dit la maman. Au début, nous avons pensé que notre fils allait trouver en prison un peu de calme, un cadre rude, certes, mais un cadre. Malheureusement, aucun travail psychologique n’est réalisé et nous sommes souvent démunis face à ses réactions. Désormais, on sent qu’il se pose des questions, qu’il souffre encore plus de solitude.  »

«  Même si la détention de notre fils se passe bien, témoigne le papa, nous savons parfaitement que la prison n’arrangera rien. Nous n’avons, à l’heure actuelle, aucune perspective pour sa sortie.  »

Leur enfant est-il en mesure de comprendre le sens de sa détention ? «  En juin dernier, nous avions été surpris par une petite remarque que Juan avait faite. ‘Je regarde une série, disait-il, et je vous jure qu’elle me fait réfléchir : au moins, je ne me ferai plus pincer à l’avenir’. Le temps de capter le souci et de lui expliquer en quoi il se trompait, la visite était finie  », nous explique sa maman.

Se nourrir du vide ?

Les premiers interrogatoires après le meurtre avaient étonné les policiers. Pas d’émotion particulière chez les suspects. Aucune autre explication que l’envie de dépouiller quelqu’un pour se faire un peu d’argent – mais alors pourquoi s’attaquer à un démuni ? Dans le dossier judiciaire, une analyse systémique réalisée par deux psychologues relevait ceci :

«  S’il se trouvait dans un centre pour personnes avec un handicap mental, le suspect serait vraisemblablement étiqueté de sujet avec une psychose déficitaire parvenu à l’âge adulte (…) À tout moment dans l’angoisse (…), l’intéressé existe selon l’environnement, remplissant le vide et se nourrissant de ce contexte.  »

À lire ça, un mauvais destin était annoncé et les chances de se nourrir du « vide », en prison, paraissent infimes. Quant aux perspectives de réinsertion, elles sont dans une impasse totale. Les parents de Juan S. énumèrent les obstacles : méconnaissance de la pathologie par le corps médical, absence de structures d’accueil adaptées, manque de prise en charge thérapeutique… Leur inquiétude ? Ils aimeraient sensibiliser les autorités et éviter à d’autres jeunes, d’autres adultes, d’autres parents d’être laminés par ce cruel trouble de l’appartenance. Sans être écoutés.

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