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La lente descente à Bruxelles

Episode 2/3

Un an après son arrivée sur le sol belge, Khalil a déserté l’Ardenne pour rejoindre la capitale. Aux étendues des forêts brumeuses, il a préféré les tours de verre et de béton, au foyer familial la faune urbaine et toutes ses tentations.

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Aniss El Hamouri. Tous droits réservés

Mai 2003. Khalil s’est installé à Bruxelles. Ou plutôt, il loge chez un ami, en attendant de trouver un « chez lui ». Une nuit, la police débarque. Cet ami est impliqué dans un braquage : une attaque à l’explosif menée contre le bureau de poste de Brakel (Flandre orientale), en décembre 2002. Butin : 213 000 euros. Heureusement aucune victime.

Présent au mauvais endroit, au mauvais moment, Khalil est coffré lui aussi et placé sous mandat d’arrêt. Il passe quelques mois en préventive, avant d’être blanchi plusieurs années plus tard. L’enquête n’a pu apporter d’élément contre lui. « Je n’avais rien à voir dans cette affaire. J’étais jeune, j’ai rencontré les mauvaises personnes. On m’a soupçonné parce que je viens de Palestine et que je sais manier des armes ».

Je retrouve Khalil en 2006, dans son appartement de la cité du Peterbos, à Anderlecht. Même tête à ras, même allure militaire. Son français s’est nettement amélioré. Il faut dire que l’arabe classique, sa langue maternelle, est peu pratiquée en Belgique. Au mur de sa chambre, deux clichés illustrent sa métamorphose sur le sol belge : le premier montre un Palestinien armé, le second un gars en jeans souriant sous l’Atomium avec des amis. Ni demandeur d’asile, ni réfugié politique, Khalil piétine. Il n’a pas de permis de travail.

Dans un premier temps, bien qu’il soit théoriquement autorisé au séjour, Khalil ne disposait d’aucun document permettant de l’attester. Il résidait sur base d’une seule « déclaration d’arrivée », prolongée de mois en mois. En 2007, la Commune d’Anderlecht lui délivre une attestation d’immatriculation, renouvelable tous les trois mois. L’instruction liée au braquage a bloqué toute régularisation.

De son petit appartement coincé dans une barre d’immeubles, Khalil dit vouloir rentrer dans son village d’Ardenne, loin des tentations. Mais le maïeur local refuse de le domicilier sur son territoire. « Je me fous des tentations, il y en a partout ! », me disait le bourgmestre d’alors, Olivier Boclinville, alors que je l’interviewais pour Le Soir. Qu’il continue à jeûner dans le désert ! (sic)  ».

Dans l’impasse

Le Peterbos. L’une des plus grandes cités de logement social de la capitale. Elle est régulièrement la cible d’opérations anti-drogue. « Ça sent la beuh au pied des immeubles. Y a pas pire endroit ! », dit Khalil. Après l’agression de journalistes de la VRT par des jeunes du coin, en 2018, des médias flamands ont délivré au Peterbos la palme de quartier le « plus dangereux de Belgique ». « C’est l’État qui m’a installé ici dans un logement social, je n’ai pas choisi cet endroit », précise le banni.

A défaut de pouvoir rentrer en Ardenne, Khalil voudrait rejoindre la Palestine. Mais on ne l’y autorise pas non plus. Depuis 2002, il est donc toujours en possession de la même « attestation d’immatriculation » (Modèle A) qui l’empêche d’accéder au marché du travail ou à la mutuelle. « Je devrais avoir des séances de kiné pour soigner mes problèmes de dos mais je ne peux pas. Et les médecins généralistes refusent de me recevoir. Ils me renvoient vers les urgences ».

Son statut spécial ne lui permet pas non plus de changer son permis de conduire international délivré par l’Autorité palestinienne, contre un permis belge. « Cela constitue un obstacle supplémentaire à l’accès à certaines professions », plaide Me Véronique van der Plancke, son avocate. « Les banques lui refusent l’ouverture d’un compte. Seule la Banque de la Poste lui délivre un service minimum. Mon client se voit encore interdit de voyager en dehors des frontières belges. Sa vie est bloquée, tant les obstacles à une vie quotidienne normale s’accumulent. Ses possibilités d’émancipation par le travail, la famille et le voyage sont réduites à néant ».

Khalil n’a pu assister aux funérailles de sa mère, décédée en 2007. « J’étais en train de boire un café quand j’ai reçu l’appel annonçant sa mort. Je n’ai plus revu de membre de ma famille depuis 20 ans. J’ai plein de neveux et nièces que je ne connais pas », dit-il en montrant leurs photos sur son téléphone portable. Chaque été, il voit ses amis partir en vacances à l’étranger. « Et moi je suis coincé ici. C’est absurde ».

Prison à ciel ouvert

Dans un premier temps, Khalil percevait une rente mensuelle de 1000 euros versée par les autorités belges via un service des Affaires étrangères. « Cette aide a pris fin en 2007 sans explication particulière », poursuit l’avocate. Depuis, l’homme reçoit une aide de la Mission de Palestine en Belgique. « Cette aide est généreuse mais je préférerais pouvoir travailler, comme tout le monde, explique Khalil. Je me sens comme dans une prison à ciel ouvert. Je suis bloqué dans ma vie, je ne vois pas comment évoluer ».

Les autorités belges semblent ne pas vouloir déroger aux mesures temporaires édictées en 2002 lors de son arrivée. D’autres pays européens ayant accueilli des Palestiniens dans le même contexte leur ont pourtant permis de s’installer de manière pérenne sur leur territoire.

Khalil est en contact avec plusieurs Palestiniens comme lui bannis de leur pays en 2002, exilés dans un pays d’Europe après le siège de la basilique de la Nativité. Mohammad Khamis a obtenu la nationalité portugaise ; Mohamed Salem travaille à la représentation palestinienne à Rome et dispose d’une carte d’identité diplomatique ; parmi les trois Palestiniens accueillis en Espagne, l’un d’eux – Azziz Ebehat – est devenu docteur en dentisterie, un autre travaille à la Mission de Palestine en Espagne et le troisième accueilli dans ce pays a étudié la pharmacie. Jugé trop dangereux, un 13ème homme n’est finalement jamais parvenu en Europe. D’après Khalil, il serait mort récemment en Algérie.

L’Union européenne avait demandé aux États de se concerter pour offrir des conditions d’accueil et d’encadrement similaires pour tous les bannis. D’après l’avocate de Khalil, cela n’a pas été le cas. En 2010, en raison de la précarité de son séjour, de l’impossibilité de retour en Palestine et de sa désormais longue présence en Belgique, le Palestinien introduit une demande d’autorisation de séjour de plus de trois mois. Mais l’Office des étrangers reste sur la position érigée en 2002 lors de l’arrivée du banni sur le sol belge.

En 2016, arrive ce qui ne devait pas arriver : Khalil est arrêté dans le cadre d’une affaire de stup’. « C’était l’époque des attentats de Paris et de Bruxelles, explique le banni. Je pense que j’étais surveillé. Je traînais souvent avec un ami palestinien qui fume beaucoup d’herbe. Moi je ne consomme pas de cannabis, juste des cigarettes et un peu d’alcool de temps en temps. Les flics me suivaient en voiture, ils m’ont même dit que je conduisais bien ! Ils sont venus perquisitionner chez moi et même chez ma copine ». Cristina complète : « Ils ont tout fouillé et n’ont rien trouvé. Ils ont même saisi ma voiture pendant 6 mois ».

Les histoires de Médor : Chaque début de mois un nouveau récit, en 3 épisodes. Les publications se font les mardi, jeudi et vendredi de la 1ère semaine, à 11h. Gardez les yeux ouverts !

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