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L’exil

Episode 1/4

Les parents de Mawda, Phrast et Shamdin, sont arrivés en Europe à la fin 2015. Juste après la mort du petit Aylan, découvert sur une plage de la Méditerranée, qui avait ému l’opinion publique européenne. C’était un peu plus facile d’y entrer à cette époque-là. Le couple a fui le Kurdistan par amour. Pour éviter un mariage forcé.


Mawda est née en Allemagne, le 12 avril 2016. Son prénom signifie tendresse ou affection en arabe. Elle aurait dû s’appeler Mihriban, le nom choisi par ses parents. Enceinte au moment de l’exil, Phrast s’était mise d’accord avec son mari Shamdin pour ce nom-là, désignant « celle sur qui repose le monde ». Mais quand ils sont arrivés à Mönchengladbach, en Allemagne, au bout d’une route éreintante, le fonctionnaire de service trouvait Mihriban imprononçable. Alors ils ont choisi Mawda. J’ai compris le sens du mot en parlant un jour avec Phrast, la maman, de leur destin. Pour elle, Mawda, ça veut plutôt dire le long chemin. «  Le destin, c’est une sorte d’accident, disait-elle. Par exemple je sors de chez moi, je tombe dans les escaliers, ça c’est le destin. Même chose si j’entreprends une longue route où je ne sais pas ce qui m’attend et où il y aura de la lumière aussi. Mais si je me suicide ou si je tue quelqu’un, c’est pas le destin. La police a tué Mawda. On sait tous qu’une arme, c’est dangereux et le policier, il s’est préparé pour tirer. Non, ce n’est pas le destin. »

Lors de notre première rencontre, Phrast n’a quasiment rien dit. Elle préférait laisser parler Shamdin, son amoureux. J’ai été très impressionnée au début par ce silence, cette distance. C’est difficile de rencontrer des personnes qui ont vécu la plus grande souffrance au monde (à mes yeux), perdre un enfant. C’est difficile aussi d’arriver après tout ce qu’ont dit et écrit les journalistes et les responsables politiques. Au début, Shamdin surtout était très méfiant, « déçu par les médias », en colère même. Il a fallu persévérer pour trouver le bon traducteur. Contrairement au Kurmanji, le Sorani, leur dialecte kurde, est très peu parlé à Bruxelles. Je voulais qu’ils me fassent confiance, mais je devais également leur dire que quoi qu’ils décident (de me parler ou pas), j’allais raconter leur histoire. Parce qu’elle était devenue la mienne, aussi. La balle tirée par un policier de mon pays a tué leur fille de deux ans, atteinte à la tête. Cela a lié nos destins. Pour moi, notre rencontre était la seule issue possible. C’est comme ça que j’ai travaillé sur une pièce de théâtre, qui s’appelle « Mawda, ça veut dire tendresse ».

Roméo et Juliette kurdes

Après quelques semaines de réflexion, les parents de Mawda Shamdin Ali - son nom complet - ont accepté de me revoir pour une série d’entretiens où ils raconteraient leur histoire. J’avais lu des versions contradictoires de leur exil. Beaucoup disaient qu’ils avaient fui la guerre. Un cliché puisqu’ils viennent d’Irak, enfin, du Kurdistan irakien, où j’ai découvert un sens de l’accueil qui devrait nous inspirer. Mais Shamdin et Phrast sont un peu des Romeo et Juliette kurdes. Ils ont fui parce qu’ils étaient amoureux et que sa famille à elle refusait leur union. Sur place, un sheikh les a mariés dans le plus grand secret. Toutefois, leur union officielle, en tout cas auprès de la religion, n’a pas calmé les familles. Le code d’honneur bafoué, les amoureux devaient être tués.

Alors, les amoureux ont fui. Ils ont traversé la Méditerranée sur un canoë, avec leur fils Hama aux bras et Mawda dans le ventre de Phrast. Via une île grecque dont ils ne peuvent dire le nom, puis Athènes et les routes de l’exil tracées par d’autres, l’Allemagne, puis finalement l’Angleterre espérée, ils auraient pu inspirer Shakespeare. Mais ce sont des huissiers rigides comme des Bobbies qui les en ont expulsés. On pourrait croire qu’une femme qui fuit son pays par amour, pour éviter un mariage forcé et parce qu’on veut la tuer, ainsi que son mari, ça entrouvre des portes. Pas ici. On y reviendra.

D’après le fameux règlement européen de Dublin, qui cadre sec les migrations dans l’Union, les parents de Mawda sont officiellement rentrés sur notre vieux continent par l’Allemagne. C’est là qu’on a pris leurs empreintes digitales et qu’ils sont devenus un numéro dans un listing de demandeurs d’asile. Avec de tout jeunes enfants, la vie dans le camp de Mönchengladbach s’est vite révélée difficile. Phrast vivait très mal la promiscuité. La famille ne se sentait pas en sécurité. Il y avait beaucoup de bagarres. Des règlements de compte au couteau. Les autorités allemandes leur ont refusé plusieurs fois un logement familial. Phrast et Shamdin n’ont pas de destination finale spécifique en tête. Sur le conseil d’autres Kurdes irakiens, ils décident de se rendre en Angleterre. Direction Newport, où un studio leur est assigné. Là, ils ont l’impression d’avoir une vie à peu près normale. Mawda grandit plus tranquillement, son grand frère Hama va à l’école et Shamdin trouve un petit job.

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Melanie Utzmann-North. CC BY-NC-ND

La famille souffle un peu. Mais au bout de dix mois, les autorités britanniques découvrent que leurs empreintes ont été prises en Allemagne. Ils reçoivent l’ordre de quitter le territoire. Mawda a un an. Son grand-frère, quatre. Ils ne savent pas quoi faire, alors ils attendent. Un jour, la police entre dans l’appartement. «  Elle avait manifestement les clefs, raconte Phrast. Ils sont entrés sans prévenir. Ils étaient nombreux. Ils avaient un dossier avec tous les papiers pour nous expulser. Ils nous ont menottés et escortés à l’aéroport. Six policiers nous ont accompagnés jusqu’en Allemagne. Dans l’avion on était séparés des enfants. » Elle essaye d’en rire. «  Je me disais : on a commis un crime ou quoi ? !  »

Demande d’asile refusée

Retour en Allemagne, donc, où leur demande d’asile a été refusée. En appel, également. Shamdin dit : «  On a tout réexpliqué au juge, le crime d’honneur au Kurdistan, le départ obligé, mais il n’a pas pris notre histoire au sérieux.  » Toutes leurs aides sociales sont coupées. Le couple décide dès lors de rejoindre un camp de transit à Grande-Synthe, en France, pas trop loin de Calais. Dans l’attente d’un passage en Angleterre. Ils se disent qu’il n’y a pas beaucoup d’autre choix…

C’est dans un gymnase français où des bancs séparent les familles que Mawda fête ses deux ans. Ses parents y retrouvent des Kurdes irakiens, ils se font des amis avec qui sont échangés des bons plans pour le passage de la Manche. Au moins, il y a là un peu de solidarité. Interprète dans le camp de Grande-Synthe, Kazam raconte : «  Je me souviens quand ils étaient là. C’était des gens bien, ils ne cherchaient pas d’histoire. Comme j’étais interprète, j’étais le seul homme à pouvoir entrer dans la salle des familles. Un jour, le père m’a donné une paire de chaussures. Ils n’avaient rien et il me donnait des chaussures. Tu vois le genre de personne ?  »

Malgré l’entraide, Phrast est angoissée. Elle ne pense qu’à la suite. À ce qui les attend. Le soir du mercredi 16 mai 2018, il y a une autre famille qui embarque avec celle de Mawda dans une camionnette blanche. Et deux mineurs non accompagnés, aussi. Des Kurdes, mais aussi des Afghans, des Bidounes du Koweït. À l’époque, déjà, les routes longeant la côte française en direction de Calais sont devenues impossibles. Le véhicule fait donc un long détour pour aboutir au point de passage espéré. Mawda et sa famille entrent sans le savoir en Belgique. Sur l’autoroute E42, leur camionnette est soudain prise en chasse.

Les histoires de Médor : Des récits, en plusieurs épisodes, à découvrir jour après jour.

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  1. Cette pièce a été présentée à partir de l’automne 2021 dans plusieurs théâtres des trois Régions du pays.

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