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Le château de Marchin, une prison à ciel ouvert

Episode 2/3

Au château de Fourneau, à Marchin, des Juifs sont hébergés à l’écart de la population dès juin 1939. Des conditions de vie très règlementées qui vont se durcir au fil des mois, faisant du centre de réfugiés un camp d’internés.

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Alors que le centre de Marchin, surveillé par la Sureté publique, voit sa population augmenter rapidement sous l’afflux migratoire, difficile de connaitre avec précision les conditions de vie du camp à ses débuts. Les archives, faites de rapports administratifs et de correspondances, n’éclairent que partiellement la situation. Bien que la fonction du centre n’ait initialement rien de punitif, le quotidien est directement très cadré à en croire Max Gottschalk, vice-président de la Communauté israélite de Bruxelles. « On ne pourra pas entièrement supprimer l’impression que la vie dans ces centres s’apparente à celle du régime des camps de prisonniers ». Tout en assurant œuvrer pour rendre ces lieux les plus hospitaliers possibles, il précise quelques mesures imposées. « Pas de circulation en dehors d’un rayon déterminé, pas de promenade sans accompagnement d’un représentant de l’autorité, horaires de la journée strictement établis… »

Une liberté ultra conditionnée

À Marchin, les réfugiés, qui ne sont ni cloitrés dans une cellule ni entourés de barbelés, bénéficient d’un vaste site. Le centre cherche à atteindre la plus grande autonomie possible tout en évitant tout contact avec la population locale. « Il semble qu’au départ le travail des réfugié s’organise sur base du volontariat, mais que très vite le règlement du centre va passer sous silence la notion de travail facultatif », écrit Jean-Pierre Callens. Mécaniciens, jardiniers, peintres, responsables de la cantine… les réfugiés entretiennent quotidiennement le lieu, se livrent à des tâches agricoles, se forment pour leur future émigration et portent une série de propositions pour améliorer leur confort. Emmanuel Rubensohn, médecin, intègre le centre pour assurer le suivi de pensionnaires qui souffrent souvent de dépression ou d’épuisement à leur arrivée. Il travaille avec « opiniâtreté », observe Jean-Pierre Callens. « Même s’il rencontre des difficultés, notamment avec l’administration. »

Des activités d’élevage-engraissage et de culture maraichère sont initiées par les pensionnaires et soutenues par leur directeur. « Son souci était d’occuper la population, éclaire Jean-Pierre Callens. On imagine l’ambiance que cela peut créer d’avoir des hommes seuls qui n’ont rien à faire de leur journée. » Six jours par semaine, ils travaillent dès 7 h 15 et ne bénéficient que de quelques heures par jour et du dimanche pour se détendre. Des cours théoriques, un peu de gymnastique et des activités sportives complètent le programme. Une mauvaise conduite peut déboucher sur un isolement ou une expulsion. Les ouvertures sur le monde extérieur sont rares, mais subsistent durant quelques mois. Bien que les pensionnaires ne peuvent quitter le centre à leur guise, ils disposent de quelques jours de congé pour voir des proches et peuvent recevoir des visiteurs.

L’entrée au camp est volontaire, mais les réfugiés n’ont pas beaucoup d’autres choix. Sans ressource et relais en Belgique, leur seule alternative est un refoulement à la frontière, synonyme de tous les dangers. Ces centres qui les blanchissent, les nourrissent, les forment et les défrayent modestement pour les travaux effectués demeurent la moins mauvaise des solutions. À l’abri, sauf sanction, d’une expulsion en Allemagne nazie. À Marchin et ailleurs, pour être en sécurité, les Juifs préfèrent vivre cachés et, bientôt, sous surveillance.

La Belgique et Marchin se referment

Un premier durcissement a lieu à la fin de l’année 1939. Le climat international se dégrade fortement. Les pays ferment leurs frontières et toute tentative d’émigration est presque automatiquement vouée à l’échec. Le 1er septembre 1939, Hitler lance son offensive en Pologne. Dans la foulée, et par le jeu des alliances, la France et le Royaume-Uni déclarent la guerre à l’Allemagne. Aucun combat ne sera notifié avant l’invasion de la Belgique en mai 1940, mais la tension est à son comble. Les autorités belges durcissent l’arsenal législatif et seuls les communistes proclament leur soutien aux réfugiés.

Pour les autorités, l’afflux de migrants n’est plus seulement un enjeu économique et social, il s’agit désormais de sécurité nationale. Les rumeurs évoquant l’infiltration de militaires et espions allemands, la cinquième colonne, se font pressantes et l’inquiétude de l’opinion publique monte encore d’un cran. En septembre 1939, un arrêté loi criminalise les clandestins. Doté de pouvoirs étendus, le ministre de la Justice peut expulser et interner les étrangers. Des étrangers qui peuvent être poursuivis pénalement s’ils pénètrent illégalement sur le territoire belge. En octobre et en novembre, des centaines de personnes sont arrêtées durant des rafles (essentiellement à Anvers et Bruxelles) et envoyées dans des camps d’internement, nouvellement créés.

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STEIF Joseph, né à Munich, le 09/10/1902, nationalité allemande, marié, commerçant, entré au centre le 22/04/40.

Le 9 décembre, le ministère de la Justice ordonne à la commune de Marchin d’inscrire les hébergés du château au registre des étrangers. Un certificat d’inscription à ce registre sera établi pour chacun des pensionnaires, mais remis… au directeur du centre. Quelques jours plus tard, le 13 décembre, la Sureté publique resserre encore la surveillance : l’arrivée et le départ d’un réfugié doivent directement être signalés à la commune ; excepté pour ses congés de détente, un réfugié ne peut pas quitter le centre sans autorisation de la Sureté ; tous les documents belges dont est titulaire le réfugié doivent lui être retirés lorsqu’il est au centre ; un récapitulatif de la population étrangère doit être transmis deux fois par mois à la Sureté… Plus question pour les autorités de ne pas avoir de vue ni de trace sur les réfugiés. Désormais, tout le monde est identifié, fiché, tracé.

Le second durcissement au château intervient quelques semaines plus tard, début de l’année 40. Suite à la loi de septembre 1939, les mesures d’internement prises à l’encontre des illégaux se multiplient et les autorités sont confrontées à un problème de place. Un arrêté ministériel du 24 janvier décide de faire du centre d’hébergement de Marchin un camp d’internement. De nombreux réfugiés, qui avaient rejoint volontairement le site, cherchent à le quitter, souvent avec succès. Une sortie « conditionnée et contrôlée » rappelle Callens. « Ils devaient signaler où ils allaient et déclarer leur future résidence ».

Un centre d’hébergement devenu camp d’internement

Les premiers mois de l’année sont agités à Marchin. De nombreux mouvements de population sont observés. Les réfugiés, arrivés volontairement, quittent le camp. Ils sont remplacés par des internés, contraints d’intégrer le centre. Pour la grande majorité, ce sont des Juifs germanophones, ayant franchi sans autorisation la frontière et vivant dans la clandestinité. Traqués depuis l’automne, ils ont été arrêtés, écroués dans des prisons bruxelloises puis envoyés au château. Ces hommes ne sont pourtant ni des repris de justice ni des individus jugés dangereux. Arrivés seuls, âgés d’une quarantaine d’années et issus de la classe moyenne, ils sont tenus d’arborer l’étoile de David et contraints de signer un engagement à ne pas quitter le camp sous peine d’être expulsés.

En mars, les dernières libertés s’évaporent. Les quelques maigres jours de congé de détente octroyés jusqu’à présent sont suspendus. Les sorties supprimées, sauf celles en vue de préparer l’émigration. Pour partir du centre, seule une raison médicale est admise. « Les internés sont désormais coupés de l’extérieur. Ils doivent abandonner toute illusion quant à un éventuel regroupement familial, un mariage… » , résume Callens. Dans ce centre devenu prison à ciel ouvert, personne ne bénéficie de traitement de faveur. Pas même le médecin Rubensohn (lire l’épisode 1). Nullement visé par les mesures édictées par les autorités belges, il décide de rester au camp pour assurer le suivi médical. Lui aussi perd en mars son congé lui permettant de retrouver épouse et enfants.

Est-ce toutes ces contraintes, ce manque de liberté et cet étau qui se resserre qui poussent Joseph Herz, 23 ans, et Abraham Kimelmann, 29 ans, à fuir le camp ? Les archives qui livrent des informations sur leur évasion ne le précisent pas. Le mercredi 24 avril 1940, ces deux pensionnaires sont dispensés de travail. Ils profitent d’un jour férié (fête pascale juive) pour se promener dans le parc. Dans le brouhaha du repas de midi, les deux hommes se font la malle.

Il est 14 h.

Leur disparition est remarquée au bout de deux heures.

L’alerte est immédiatement lancée.

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WILCZINSKI Alfons, né à Nakel, le 29/11/1913, nationalité allemande, célibataire, ouvrier, envisage d’émigrer aux États-Unis, entré au centre le 22/04/40, fait partie du convoi I qui quitte le 4 août 42 la caserne Dossin pour se rendre à Auschwitz-Birkenau. Alfons Wilczinski est répertorié dans le registre des morts à Auschwitz.

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