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La première juge

La parole d’une juge face sa jeune. Episode 2/3

Dans l’épisode précédent, Julie raconte avoir vécu des moments parfois difficiles lors de son passage devant la justice en tant que mineure. Madame D. a suivi Julie de ses 14 à 16 ans, comme juge de la jeunesse. Onze ans après les faits, elle accepte de s’exprimer sur la façon dont elle a vécu cette affaire.

« J’ai d’abord rencontré Julie comme mineure en danger. Puis, je l’ai suivie pour des faits qualifiés d’infractions ».

En tant que juge de la jeunesse, madame D. avait 2 types d’entretiens : le suivi et l’urgence. « Quand c’était des rendez-vous préparés, c’est une ambiance plus sereine : on faisait le tour des objectifs. On validait. On en fixait d’autres. On se revoyait 3-4 mois après. Mon but, c’était de féliciter ou recadrer les jeunes s’il y avait lieu. La fréquence des rencontres dépendait du comportement des ados. »

Julie, elle la voit « énormément », parfois 2 fois par mois. C’est inhabituel, mauvais signe. Les centres successifs de Julie avertissent la juge : “ça ne va pas. Il y a des dérapages. On vous demande de la recadrer.” Madame D. voit Julie souvent et en urgence. « L’institution savait qu’elle pouvait compter sur moi si elle était en difficulté. »

7 placements

Certains juges disent : “débrouillez-vous, c’est pas mon problème”’. Madame D. considère que si le centre a des difficultés avec l’ado, c’est aussi son problème. « C’était utile de réunir tout le monde pour que chacun exprime ses challenges et que j’adopte la mesure appropriée. »

La loi définit les mesures à disposition du juge de la jeunesse : l’ado peut être maintenu dans son milieu de vie sous conditions (par exemple ne plus commettre d’infractions, aller à l’école). La juge peut adopter des mesures réparatrices comme un travail d’intérêt général, une médiation. Enfin, il y a les placements en IPPJ, la mesure ultime.

La première fois que Julie part en IPPJ en 2010, c’est un « recadrage de quelques jours pour stopper la spirale, se recentrer avec un éducateur ». En tout, Julie a connu sept placements en IPPJ, dont certains de longue durée.

Tant que je ne suis pas morte…

A la sortie, Julie s’engage à ne plus fuguer, à aller à l’école. Sa juge essaye de lui faire confiance. Ça ne tient pas. « Ma peur, c’était qu’elle se mette en danger. Elle prenait le train, faisait de mauvaises rencontres, traînait en rue. Elle s’habillait de façon provocante. J’étais effrayée de ce qui pouvait lui arriver à 14 ans. »

La juge lit ses notes : « Julie a frappé un éducateur. Elle verse quelques larmes. Dit qu’elle se fait influencer par les autres pour se rendre intéressante. Elle est mal d’être comme ça. Elle sait qu’elle peut être gentille et se conformer aux règles des adultes ».

Madame D. cite une phrase de Julie qui l’a marquée : « tant que je ne suis pas morte, tout va bien ». Quand je lui dis que Julie ne s’est pas toujours sentie écoutée ou regardée, elle répond : « C’est dur à entendre. J’étais hyper investie. C’est d’ailleurs pour ça que j’ai décidé de partir : j’étais trop inquiète pour les jeunes. À cette époque, Julie était en forte demande d’attention. Je l’écoutais, la regardais, mais ça ne passait pas. Je pense aussi qu’elle était en colère contre moi. Son père avait été sous le coup d’une déchéance d’autorité parentale. J’ai dû lui dire qu’il avait un comportement toxique. Julie vouait à son père un amour inconditionnel. C’était compliqué pour elle d’entendre ça. Ensuite, c’est sûr que quand je recevais des jeunes, je mettais un masque ».

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Charlotte Pollet. Tous droits réservés

Maltraitance institutionnelle

Madame D. estime que le boulot de juge est de rester le plus neutre possible. Ça fait partie du devoir d’impartialité. « Lorsque des parents se disputent la garde d’enfant devant moi, je ne montre pas qu’il y en a un que je crois et pas l’autre. Les gens doivent avoir un magistrat qui n’affiche pas ses états d’âme ».

Et pour madame D. c’est difficile de contenir ses émotions. Il lui arrive d’être bouleversée. « Un jour, j’ai dû suspendre l’audience d’une affaire de maltraitance de mineurs parce que le procureur du roi et moi étions au bord de craquer. J’en avais les boyaux qui se tordaient. »

Madame D. quitte le secteur de la jeunesse en 2012.

L’une des raisons ? Elle n’en peut plus d’être actrice de ce système et parle de ‘maltraitance institutionnelle’. « On nous demandait de faire des choses qu’on n’avait pas les moyens de faire correctement ». L’enjeu à l’époque c’était les places en institutions. « Parfois, je devais placer un mineur. Cinq jours plus tard, il devait refaire son baluchon et partir ailleurs. Je me souviens d’un jeune à 20 heures dans mon bureau. Je ne savais pas quoi en faire. J’ai failli l’emmener chez moi ».

Formation de quelques jours

À la question : « Quelle formation spécifique est donnée aux juges de la jeunesse ? » Elle répond : « Vous allez tomber de votre chaise : il s’agit de quelques jours ». Madame D. estime que les juges de la jeunesse devraient être plus formés sur la façon de recevoir un mineur qui a dérapé. « J’ai parfois été démunie face à l’agressivité. Un jeune s’est précipité sur moi, a voulu casser mon bureau. Des parents m’insultent lorsque je décide de placer leur enfant. Il n’existait pas d’endroit pour déposer notre vécu. Quand on avait un entretien difficile, on en parlait entre collègues autour d’un sandwich sur l’heure de midi. Rien d’organisé. Et c’est dommage parce que ce qu’on traversait était parfois lourd. J’ai découvert de mon côté la communication non violente, l’écoute empathique. J’aurais aimé avoir ces outils-là avant. J’aurais peut-être pris les mêmes décisions, mais j’aurais appréhendé les choses différemment ».

En 2019, le comité qui surveille l’application de la Convention internationale des droits de l’enfant a demandé à la Belgique de ‘veiller à ce que les avocats et les juges soient formés aux droits de l’enfant et adoptent des approches adaptées aux enfants’.

« Jusqu’à cette année (2021, Ndlr), il n’y avait pas de master de spécialisation en droits de l’enfant comme c’est le cas pour le droit international ou fiscal », précise Emna Mzah Miralles de Défense des Enfants International (DEI).

Quand madame D. est partie, monsieur A. a repris le dossier de Julie. Lui aussi a reçu une formation minimale en droit de la jeunesse. Il n’avait – à l’origine - même pas souhaité travailler comme juge de la jeunesse…

Laissons demain la parole à monsieur A., pour le troisième et dernier épisode de "les juges et l’ado".

Les histoires de Médor : Chaque début de mois un nouveau récit, en 3 épisodes. Les publications se font les mardi, jeudi et vendredi de la 1ère semaine, à 11h. Gardez les yeux ouverts !

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