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20 Avril 2011. Suite au reportage sur les travaux du professeur Michel diffusé au journal télévisé, le Centre d’étude de l’énergie nucléaire (CEN) réagit et donne sa version des faits : l’accident de Tchernobyl n’a eu aucune incidence chez nous. Un point c’est tout.
En réponse au reportage de la RTBF de la veille (voir épisode 2), le radio-biologiste du CEN interrogé, Louis de Saint-Georges, ne laisse paraître aucun doute : Tchernobyl n’a pas provoqué de cancer en Belgique.
Il argumente : « Moi je ne me base que sur des chiffres, des relevés que nous avons faits, et les données que nous avons relevées ne permettent pas d’expliquer une augmentation du cancer de la thyroïde chez nous en Belgique. »
Mais de quels chiffres parle-t-il, au juste ? Le Dr Michel n’a jamais pu voir ces fameuses données. Il se montre impassible : « quand on n’a pas de données, c’est très facile de dire qu’il ne s’est probablement rien passé. C’est totalement contraire à la démarche scientifique ».
Au cours du reportage, le spécialiste interrogé du CEN se contredit. Il précise qu’on peut en effet absorber plus de particules d’iode radioactives, si certaines conditions sont remplies : se trouver à l’extérieur et pratiquer une activité physique…
Et qui joue dans les bacs à sable ?
Retour en arrière. 1er mai 1986, jour de l’arrivée du nuage radioactif en Belgique, par le sud. Il fait beau, les températures montent jusqu’à 17°C. Les enfants jouent probablement dehors, dans les cours de récréation, dans les jardins,…
Le pire endroit pour ces enfants était sans doute les bacs à sable, car le sable fixe les particules d’iode radioactives. « À l’école de Nannine, ma femme a dit “ne mettez pas les gosses dans les bacs à sable, c’est dangereux“. On l’a traitée de folle », se rappelle le chirurgien.
Même dans le milieu scientifique, certains médecins sont convaincus que Tchernobyl n’a provoqué aucun cancer chez nous.
Et leur argument semble sans équivoque : les méthodes actuelles de dépistage sont largement plus sensibles qu’avant, ce qui justifierait l’augmentation du nombre de cancers de la thyroïde. En gros, plus on dépiste, plus on trouve des cancers.
C’est ce que le professeur français Martin Schlumberger explique : « On s’est aperçu que les enfants avaient aussi des cancers de la thyroïde, jusque-là méconnus. Quand on sait ça, on se dit qu’il faut chercher les cancers de la thyroïde, et comme il y en a plein de méconnus, naturellement on en trouve. Donc, ici, on surestime le risque, on trouve un risque qui n’existait pas. »
Pour lui, c’est clair et net : « Il faut arrêter de dire que les cancers de la thyroïde qu’on trouve en Europe depuis 1986, depuis Tchernobyl, sont liés à Tchernobyl. C’est une contre-vérité ».
Mais pour le professeur Michel, cela n’explique en rien la différence statistique entre ses deux groupes d’âge (les enfants de moins de 15 ans et les adultes de plus de 15 ans lors de l’accident de Tchernobyl, voir épisode 1).
« C’est ça qui a été désespérant dans cette affaire-là, c’est que l’objection, c’était toujours la même : ”oui, mais le cancer de la thyroïde augmente pour d’autres raisons, on fait plus de diagnostics, patati, patata”. Ok, mais tout ça est valable pour les deux groupes. Donc si ça en influence un, ça influence l’autre. Si ça bénéficie à tout le monde et que la différence reste statistiquement différente et même s’agrandit, l’explication c’est qu’il y a alors une autre cause que tout simplement plus de dépistage. »
« Je n’attends que ça, qu’on me donne tort »
Face à cette négligence et cette mauvaise foi, le chirurgien se montre très calme : « Quand vous voyez comment a été pris en charge un problème, qui finalement était très ténu : il suffisait de donner des comprimés d’iode dans les pharmacies et des recommandations aux inspections médicales scolaires… C’est grave. ».
Aujourd’hui, le professeur Michel déplore le manque d’organisation de l’époque. « C’est ça qui est dommage : ils arrivent quand ils sont au stade où ils ont des boules dans le cou. Si on avait dit, par exemple, aux médecins d’inspections scolaires de palper soigneusement le cou des enfants qui avait moins de 5 ans ou 10 ans au moment de Tchernobyl, et bien on les aurait découverts plus tôt. On aurait quand même dû opérer mais à un stade plus précoce. » Et avec moins de conséquences.
Les registres du cancer auraient également pu nous éclairer. Le premier registre est arrivé en 2005 mais les données qu’il recouvre ne remontent pas jusqu’à toute la tranche d’âge des moins de 15 ans au moment de Tchernobyl.
Sans ça, impossible de tirer d’autres conclusions. « Quand il y aura un registre du cancer digne de ce nom en Belgique, on pourra dire “Luc Michel s’est trompé ou ne s’est pas trompé“, et moi je n’attends que ça, qu’on me donne tort ».
La leçon de Fukushima
Jusqu’à il y a 3 ans, seules les personnes habitant dans un rayon de 20km d’une centrale nucléaire pouvaient se procurer des comprimés d’iode. Un kilomètre de plus, c’était foutu…
Depuis 2018, tous les Belges peuvent se rendre en pharmacie pour en obtenir (même si, en mars dernier, plus de 8 millions de Belges n’avaient pas été chercher leurs comprimés).
Ce qui est également rassurant, c’est que certaines leçons ont été tirées après l’accident nucléaire de Fukushima (2011), même si, au Japon, on a, à nouveau, tardé pour donner des comprimés d’iode, notamment aux enfants.
Ce qui a manqué, en Belgique après Tchernobyl, ce sont les données. En plus grand nombre. Sur la durée. « Le suivi prospectif des enfants de Fukushima nous les fournira vraisemblablement », espère le Dr Michel.