🐶, 💛 et millions de 💶 : la Belgique championne des publicités politiques sur Facebook

Plus de trois millions d’euros. C’est le montant que les partis politiques ont dépensé en publicités politiques sur Facebook depuis le début de l’année 2021.

D’après les calculs de Médor et de AdLens, notre petite Belgique est la championne européenne des dépenses hors campagne électorale sur le réseau social le plus fréquenté par les Belges.

Bart De Wever est même la personnalité politique qui dépense le plus sur Facebook en Europe : 225 411 € du 1 janvier au 31  juillet 2021. La page officielle de la N-VA a dépensé 372 925 € pour la même période, se plaçant tout en haut du classement européen, juste derrière le CDA (Christen-Democratisch Appèl), parti hollandais en pleine campagne pour les élections du printemps dernier.

En numéro trois de ce top, on trouve le Vlaams Belang. 

Des chiens et des messages simples

La N-VA dépense-t-elle autant pour promouvoir l’indépendance de la Flandre ? Pas vraiment. La campagne la plus largement diffusée est la photo d’un gentil labrador agrémenté du message “LIKE si toi aussi tu trouves que la cruauté envers les animaux devrait être punie plus sévèrement 💛 ».

Franchement, qui peut résister à tant de mignonnerie quand elle est boostée à hauteur de 200 000 euros (campagne diffusée depuis l’été 2020) ?

Désormais, la page du parti est suivie par près d’un demi-million de personnes.

Évidemment tous les posts ne sont pas aussi inoffensifs que ce toutou. La spécialité de la N-VA : des messages très courts et des invitations au “like”.

La Belgique serait d’ailleurs en 2ème position du classement mondial de nombre de clics “like” par utilisateur : 15 par mois.

Le Vlaams Belang, qui autrefois menait la danse en Belgique (plus de 2 millions d’euros investis depuis le 15 avril 2019 sur la page principale du parti), se retrouve depuis peu en troisième position du top belge derrière la N-VA et le PVDA (l’aile flamande du PTB). 

De manière générale, les partis flamands dépensent beaucoup plus que les partis francophones. Pour le mois de juin par exemple, les partis néerlandophones ont dépensé  393 458 €, contre 43 982 € du côté francophone.

De notre côté de la frontière linguistique, le PTB et le MR sont en tête. Le président du MR est plutôt bien placé dans la course, en effet pour la période du 1^er janvier au 31 juillet, il se trouve dans le top 10 des personnalités politiques européennes les plus dépensières avec ses 58 401 €. 

Pas de femmes, pas de complexité

Niveau personnalités, on observe une très grande disparité en termes de genre. Tous partis belges confondus, toujours selon nos calculs, de janvier à juillet, le montant dépensé par des politiciens était quatre fois plus élevé que celui dépensé par les politiciennes. Sexiste la politique belge ? Pas qu’un peu ! 

Que dire d’un récent post de Conner Rousseau, le jeune président des socialistes flamands (Vooruit), “en pull blanc, par respect pour le personnel médical de notre pays” (sic), distribué uniquement à des femmes, du fait donc d’un probable ciblage délibéré ?     

L’algorithme de Facebook, lui-même, est sexiste. Exemple : il a tendance à distribuer davantage aux hommes des contenus politiques liés à la sécurité, tandis que les femmes reçoivent plus de pubs politiques liées au "care". 

Simplification des idées, bulles informationnelles, Facebook laisse par ailleurs peu de place aux doutes et à la remise en question. La politique, complexe par définition, y est souvent résumée par quelques slogans et phrases chocs.

La dynamique des réseaux sociaux, étant basée sur les réactions des utilisateurs, les opinions modérées génèrent moins d’engagement, leur portée est donc limitée.

On observe aussi une tendance à la personnification, ce qui engendre des “influenceurs” à la sauce électorale : Georges-Louis Bouchez qui pose avec son chien, Bart De Wever qui participe à une compétition sportive, Conner Rousseau qui fait l’auto-promo pour son bouquin. Le tout sponsorisé avec de l’argent public pour un max de visibilité. 

De nouvelles règles à l’horizon ?

Imposer des règles à un géant comme Facebook, c’est difficile, voire impossible ? Pas sûr. Au niveau européen, une proposition sur les publicités politiques sera présentée à l’automne par la Commission. En Belgique aussi, les appels à réglementer se multiplient. Le PS a récemment plaidé pour que les publicités politiques payantes soient interdites. Ecolo, de son côté, se prépare à déposer une proposition de loi visant à limiter à un demi-million d’euros par an, hors campagne électorale, les publicités politiques par parti.

Ailleurs en Europe aussi, on débat des manières de limiter les effets néfastes des publicités politiques ciblées. Aux Pays-Bas, début 2021, un code de conduite a été conclu pour encadrer la publicité politique. Les partis s’engagent notamment à ne pas utiliser le profilage psychologique dans leurs campagnes. Tous les partis ont adhéré au code, à l’exception des partis situés aux extrêmes de l’échiquier politique.

Une préfiguration du débat politique belge ? Pour l’instant, les partis radicaux ne veulent pas entendre parler d’une limitation des dépenses publicitaires. Le MR non plus, d’ailleurs. 

Face au débat public qui s’annonce, Médor mène l’enquête depuis plusieurs mois. Experts, politiques, usagers… nous questionnons la société.

Notre plan de bataille :

• Décortiquer les données de la bibliothèque publicitaire (dans le cadre du collectif Ad-Lens)
• Adresser un questionnaire aux partis politiques francophones et flamands, ainsi qu’à Facebook

• Vous inclure dans notre enquête participative. Si vous avez été ciblés par des partis politiques sur Facebook, vous pouvez nous aider à collecter des informations grâce à notre questionnaire.
• En décembre, nous publierons dans le Médor papier et sur le web nos articles sur les différents aspects de la question. Que font les partis sur TikTok ? Comment sommes-nous ciblés ? Pourquoi les partis belges dépensent-ils autant ? Est-ce qu’il existe un risque de polarisation du débat politique ? Les bibliothèques publicitaires sont-elles fiables ? Comment réglementer la publicité en ligne ? 

Autant de questions essentielles pour le débat public, à l’âge où nous passons en moyenne 1h45 par jour sur les réseaux sociaux.