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Portrait du tout-à-la-voiture

Ou comment sortir de l’ornière, à Lasne comme ailleurs en Wallonie ?

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Elles sont partout. Il faut vivre avec. Notre enquête ne permet pas d’isoler une piste réellement efficace, testée par les autorités publiques de Lasne, afin de réduire l’emprise des voitures.

Colin Delfosse. CC BY-NC-ND.

Avec presque autant de quatre roues que d’habitants en âge de conduire, Lasne est l’une des communes wallonnes les plus dépendantes à la voiture. Pendant une semaine, Médor a démonté le capot pièce après pièce pour trouver la panne de la mobilité douce.

Pièce n°1 : l’aide au stationnement

Grâce au radar de recul, doublé d’une éventuelle caméra, cet équipement avertit l’automobiliste des obstacles qui pourraient entraver ses manœuvres. En version haut de gamme, un ordinateur de bord prend le contrôle du véhicule pour réaliser de gracieux créneaux. Mais à Lasne, c’est plutôt les piétons qui auraient besoin d’assistance pour circuler…

Il suffit de faire deux pas pour se rendre compte de la place, physique comme symbolique, qu’occupe la bagnole à Lasne. Comme dans de nombreux villages en Belgique, son cœur est transpercé par une route qui, depuis le boom de l’automobile, engouffre la plus grande partie de l’espace public. Et comme dans de nombreux centres, une petite polémique divise commerçants et partisans d’une mobilité plus douce.

D’un côté de la rue de l’Église, l’artère commerçante de Lasne-centre, deux maisons de briques blanches empiètent sur un bout de trottoir réduit comme une peau de chagrin. La première, une ruine, a été rachetée par la commune. La seconde est occupée par le garage Suzuki sur lequel la ville lorgne en vain. Pour élargir le trottoir et refaire une place aux piétons, obligés de redoubler de prudence à cet endroit, les autorités voudraient détruire les deux bâtisses pour les reconstruire plus en retrait.

Mais, dans le fond, ne serait-ce pas plus rapide et plus simple de supprimer les emplacements de parking situés… juste en face ? Les places, ce n’est pas ce qui manque : quatre parkings bordent directement le minuscule centre-ville. « C’est une excellente question, confirme la bourgmestre libérale Laurence Rotthier, qui nous reçoit dans la maison communale à deux kilomètres de là. Mais si les gens veulent se garer directement devant les magasins pour faire leurs courses, que puis-je y faire ? On est libre, on vit en démocratie. Chacun est maître de sa mobilité. »

Dans le bureau de l’élue MR, des citations encadrées décorent le mur à l’arrière-plan : « Conduire la petite dernière à la (ferme de la) Papelotte (…) Rouler en Porsche ou en Mini (…) Etre Lasnois. »

Pièce n°2 : la carrosserie

À l’origine, le terme désignait les entreprises de fabrication de carrosses pour chevaux. Les noms des carrosseries automobiles réfèrent généralement à ceux de leurs ancêtres hippomobiles. La limousine, par exemple, était un carrosse utilitaire fabriqué à Limoges. À Lasne, les carrosses utilitaires, on aime bien ça.

« On a quand même de la chance à Lasne, on voit passer de belles voitures qu’on a rarement l’occasion d’admirer ailleurs : Porsche Cayenne hybride, Aston Martin… Elles sont belles et elles sont toujours en ordre de contrôle technique », s’enthousiasme Thierry Charlier, l’inspecteur principal en charge du service circulation pour la zone de police de La Mazerine (La Hulpe, Rixensart, Lasne). Ici, même la police en charge de la sécurité routière apprécie les bolides. « C’est le Salon de l’auto toute l’année, on ne connaît pas le nom du voisin, mais on sait que c’est celui qui a tel modèle avec telles jantes », s’agace un habitant.

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Colin Delfosse. CC BY-NC-ND

Il y a dix ans, les SUV ne représentaient encore « que » 10 % des voitures vendues. L’engouement pour ces véhicules polluants et dangereux pour les piétons inquiète les pouvoirs publics. En Wallonie, la nouvelle déclaration de politique régionale prévoit d’ailleurs une augmentation de la taxe de mise en circulation pour les véhicules les plus lourds et les plus consommateurs d’énergie.

Selon le rapport World Energy Outlook qui vient d’être présenté par l’Agence internationale de l’énergie, une organisation fondée par l’OCDE, les SUV constituent la deuxième source d’augmentation de CO² dans le monde entre 2010 et 2018. La mode pour ces voitures au look de 4X4 réduirait ainsi tous les efforts accomplis ailleurs par l’industrie automobile afin de réduire ses émissions.

« Les chasseurs de SUV ont un objectif qui dépasse de loin celui de viser uniquement ce type de véhicules. Ils estiment tout simplement qu’il ne faudrait pas rouler en voiture. (…) Il s’agit d’une révolte contre le fonctionnement de notre système économique et de notre système de mobilité », s’offusque la Fédération belge de l’automobile (la Febiac) dont le porte-parole habite justement… à Lasne.

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Le parking de la Tartine, un mercredi soir.
Colin Delfosse. CC BY-NC-ND

Pièce n°3 : le compteur

Cet instrument permet à l’automobiliste de connaître la vitesse de déplacement de son véhicule de manière instantanée. Grâce à l’odomètre et au compte-tours, il pourra également se tenir informé de la distance parcourue et de la fréquence de rotation du vilebrequin. Comme l’automobiliste, Médor a enregistré quelques données pour prendre la température.

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Colin Delfosse. CC BY-NC-ND

Lasne est la deuxième commune de Wallonie, après Braine-l’Alleud, en nombre de voitures privées par rapport à la population en âge de conduire : 0,85 voiture par habitant majeur, contre 0,63 en moyenne en Wallonie.

Consultez le classement des communes wallonnes.

Un chiffre qui est assurément sous la vérité, les voitures en leasing étant enregistrées dans la commune des sociétés de location (Braine-l’Alleud en compte de nombreuses, contrairement à Lasne). « Mais le nombre de voitures enregistrées dans un territoire ne reflète pas le nombre de voitures réellement sur la route », nuance, sans rire, un échevin heureux propriétaire de six véhicules !

La dépendance des Lasnois à leur voiture s’explique aussi par des raisons géographiques, économiques ou démographiques. Côté cour, la commune ne dispose d’aucune école secondaire sur son territoire. Côté boulot, sur 5 385 habitants actifs, 3 695 personnes quittent la commune chaque jour pour se rendre au travail (Source : Census, 2011). « Il y a 15 ans, on pouvait partir après 7 heures du matin pour rejoindre Bruxelles. Aujourd’hui, il faut être sur la route à 6h30 pour éviter les embouteillages », nous a-t-on souvent répété.

Dans le même temps, 2 201 personnes extérieures à Lasne viennent y travailler. L’agent de quartier, le fonctionnaire communal ou l’aide familiale gagnent rarement de quoi se loger dans une commune où il faut disposer d’un terrain de 15 ares minimum pour construire. « En hiver, on est les derniers déneigés parce que l’ouvrier qui conduit le camion habite à l’autre bout de la province », glisse un habitant.

Autre difficulté, la commune est étendue : 14 236 habitants se partagent un territoire de 4 721 hectares, très mal desservi par les bus en dehors des heures de pointe, en semaine. Aux trajets vers l’école ou le travail s’ajoutent les déplacements locaux pour faire des courses ou accéder aux loisirs. « Contrairement à ce que l’on pourrait imaginer, les déplacements vers l’école et le travail ne constituent pas la majorité des trajets en Wallonie. Et le vieillissement de la population pourrait encore augmenter les problèmes de mobilité, car les personnes retraitées ont du temps à consacrer aux loisirs », commente Pierre Francis, directeur du service développement du territoire de la province du Brabant wallon.

Pièce n°4 : les freins

Dispositif mécanique qui permet de ralentir ou d’immobiliser une pièce ou une machine, dont un véhicule en mouvement. « La pédale de frein permet aux usagers d’éviter de nombreux accidents et de ne pas terminer dans le ravin », explique très sérieusement une auto-école sur son site web. Chez Médor aussi, on a cherché à comprendre quels étaient les leviers à actionner pour ne pas terminer dans la haie en matière de mobilité.

À Lasne, le dernier plan de mobilité date de 2003. Et le prochain n’est pas attendu avant minimum deux ans, comme nous l’a confié la bourgmestre. Si les habitants comptent sur leurs élus pour améliorer la mobilité, ils risquent encore de passer du temps sur le bas-côté.

Des Lasnois qui rêvent d’une autre mobilité, pourtant, on en a rencontrés. Comme Daniel Dekkers, militant du Gracq, et ses amis cyclistes avec qui nous avons sillonné la commune en vélo électrique, un mode de transport qui suscite un engouement croissant dans cette région très vallonnée. Ou Isabelle Dolphijn, alias Queen of the Rings, qui a fait installer des anneaux pour attacher ses chevaux aux quatre coins de la commune. Elle gare sa monture le temps d’acheter un pain. Une longueur d’avance sur la fin du pétrole…

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Colin Delfosse. CC BY-NC-ND

Sur le parking de Sam Drive, à deux pas de l’abbaye d’Aywiers, des camionnettes rouges brillantes sont sagement rangées devant une belle demeure blanche. Le patron nous reçoit à l’improviste. Confronté à la galère que représente les trajets pour convoyer les enfants à droite (le plus souvent) et à gauche, Michel Renders a lancé ce projet de taxis partagés.

Le matin et l’après-midi, des chauffeurs disciplinés conduisent les élèves à l’école. En journée, ils rendent service aux seniors. Le week-end, ils ramènent les jeunes sorteurs en toute sécurité chez leurs parents. La coopérative investit dans des outils numériques pour améliorer le remplissage de ses camionnettes et proposer des tarifs de plus en plus accessibles. En quelques années, Sam Drive est passé de deux chauffeurs à une quarantaine de salariés et touche aujourd’hui 6 000 familles du Brabant wallon. Ce n’est pas une niche que cet entrepreneur a comblée, mais un véritable fossé !

Au final, le seul feu est orange

« Lasne se targue de n’avoir qu’un seul feu de signalisation sur son territoire », sourit un journaliste de la presse locale. « Mais la situation, en fait, n’est pas très différente de ce que l’on peut rencontrer dans de nombreuses zones rurales ou semi-rurales en Wallonie », observe Pierre Francis, de la Province du Brabant wallon.

À Lasne, comme dans ces autres zones, on peut difficilement imaginer que chaque quartier soit un jour desservi par les bus publics des TEC, à toute heure. Comme dans ces autres zones, le développement de la mobilité partagée ou multimodale pourrait enfin faire bouger un peu les lignes. « Aujourd’hui, poursuit le haut fonctionnaire, on a des modes de vie de plus en plus flexibles. La mobilité est à cette image. On peut utiliser des transports différents en fonction des jours et des heures de la semaine : mettre une trottinette dans son coffre, prendre un vélo électrique et le laisser à la gare pour prendre le train, réserver une voiture partagée, ou encore, s’installer dans un espace de co-working rural comme il en existe par exemple à Jodoigne. »

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Un seul feu rouge et beaucoup de lignes droites à Lasne.
Colin Delfosse. CC BY-NC-ND

Pour faire de ces opportunités une réalité, les pouvoirs publics communaux, provinciaux ou régionaux ne manqueront pas de boulot dans les années à venir : investir dans un réseau cohérent de pistes cyclables, installer des garages à vélos sécurisés dans les gares, créer des systèmes efficaces pour favoriser le covoiturage… Et la route pour faire changer les mentalités reste sinueuse. « Certaines personnes n’ont jamais pris un bus de leur vie, elles ne savent même pas comment faire pour payer et peuvent se sentir mal à l’aise dans un bus, conclut Pierre Francis. Le changement, il faudra l’accompagner. »

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