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Chapitre 4 : « Cela nous fait de la peine de voir ces jeunes prendre froid »

Le site de l’ancienne sablière de Schoppach est-il le bon endroit pour construire un zoning de PME et d’artisanat ? Nous avons posé la question aux entrepreneurs de la région et leurs représentants.

L'autoroute E411 longe le site de l'ancienne sablière

L’autoroute E411 longe le site de l’ancienne sablière de Schoppach

Katherine Longly. CC BY-NC-ND.

La "Zablière" cristallise deux visions de la société. Celle des partisans de la décroissance et de la protection de la nature d’un côté, face à celle des défenseurs des intérêts socio-économiques d’une région. Les réactions des premiers, de plus en plus vives ces dernières années, semblent au moins faire bouger les lignes. Difficile désormais de ne plus tenir compte des critères environnementaux dans les nouveaux projets urbanistiques. Le site de l’ancienne sablière de Schoppach est-il le bon endroit pour accueillir un zoning artisanal près d’Arlon ? Certains pensent que c’est un moindre mal. Mais ce projet s’ajoute aux deux grands autres qui s’apprêtent à sortir de terre non loin de là : l’Ecoquartier et La briqueterie.

Idéalement situés le long de l’E411, en zone de développement économique, les 30 hectares de l’ancienne sablière de Schoppach attisent les convoitises. Notamment de la part d’entrepreneurs qui souhaitent rester ou s’implanter dans la région plutôt que de s’établir au Grand-Duché, malgré la concurrence fiscale du pays voisin. La Ville d’Arlon et l’intercommunale Idelux les y encouragent.

Le site de l’ancienne sablière de Schoppach est-il le bon endroit pour construire un tel zoning ?

Nous avons posé la question à deux entrepreneurs, ainsi qu’à la Chambre de commerce et de l’industrie du Luxembourg belge et au Département de l’étude du milieu naturel et agricole de la Région wallonne.

Maxime Schoppach, couvreur  : « Nous louons actuellement un bâtiment, rue de la Papeterie, qui n’est plus adaptés à nos besoins. Vu la demande pour ce type de lieu, le loyer est élevé. Nous souhaiterions construire les infrastructures qui nous conviennent sur le futur zoning. L’endroit est idéal, le long de l’E411. Nous avons aussi besoin de plus de visibilité. Nos spécificités sont les toitures - de la charpente à la couverture - le bardage de façades et les maisons ossature bois. La demande est phénoménale. Notre carnet de commande est plein en permanence pour les dix prochains mois. Nous avons besoin d’optimiser notre temps et ici, c’est trop petit. Nous aimerions passer de 13 à 15 employés l’an prochain. Nos clients sont ici autour d’Arlon et, si on déménage au Luxembourg, je pense que nos hommes ne nous suivront pas. Ils n’auraient aucune envie d’enfiler les km. Or, le métier est en pénurie.

Je pense que les zadistes se trompent de combat. Je suis pour la nature mais là, c’était une décharge. J’ai plein d’amis dans la construction qui cherchent à installer leur atelier quelque part, à l’ancienne sablière ou sur l’ancienne gare de Stockem, pour nous peu importe du moment que l’on peut se projeter dans un délai raisonnable ».

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A la tête d’une entreprise occupant 30 personnes, Xavier Lenoit tient à rester implanté dans la région d’Arlon.
katherine Longly. CC BY-NC-ND

Xavier Lenoit, de la Briqueterie d’Arlon, rue de Toernich  : « A l’origine, notre entreprise familiale – dont la création remonte aux années 1930 - produisait des briques. On extrayait de l’argile que l’on cuisait dans des fours au gaz. Puis, il y a eu la crise énergétique et l’usine a fermé. Dans les années 1980, nous nous sommes lancés dans le négoce de matériaux et de machines de construction. Nous ciblons aujourd’hui surtout les aménagements intérieurs plutôt que le gros œuvre. Nos infrastructures actuelles ne sont plus adaptées. Nous voudrions que notre show-room soit plus visible et plus accessible. De plus, dans les années 1930, il n’y avait ici que des prairies. L’urbanisation a gagné du terrain et nous sommes aujourd’hui entourés de maisons. Les riverains se plaignent de notre activité, du défilé de camion dans leur quartier. Nous avons eu des pétitions contre nous. C’est pourquoi nous souhaitons partir et le site de Schoppach nous semble idéal, près de l’autoroute.

Nous livrons des chantiers dans un rayon de 5km. Nous tenons vraiment à rester dans la région d’Arlon où la demande est forte. Notre chiffre d’affaires est de 9 millions d’euros et nous employons 30 personnes ».

Christophe Hay, porte-parole de la Chambre de commerce et de l’industrie du Luxembourg belge  : « Les entrepreneurs cherchent des terrains où s’implanter, ça c’est bien réel. Or, les investissements dans les zonings sont mieux valorisés qu’ailleurs. Pour un menuisier installé dans un village, c’est difficile de travailler et de se développer. Et puis, ils veulent de la visibilité, des show-rooms. Dans les localités rurales, les entreprises sont souvent étalées entre différentes parcelles et hangars, ce qui est compliqué à gérer lors d’une succession ou d’une reprise d’activité. C’est plus facile de racheter un seul site que des espaces morcelés. Dans ma famille, un bel atelier jouxte une maison d’habitation. Cette situation déprécie l’un et l’autre ».

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Un temps envisagé pour accueillir le zoning de PME, les entrepôts de Stockem, propriétés de la SCNB, se sont révélés trop chers au rachat.
katherine Longly. CC BY-NC-ND

Patrick Verté, attaché scientifique au Département de l’étude du milieu naturel et agricole du Service public de Wallonie  : « En Lorraine, il y avait de nombreuses carrières de grès et de sable, plusieurs centaines. Elles ont quasi toutes été abandonnées et se sont reboisées. Rares sont celles où l’hirondelle de rivage s’est maintenue, comme à Châtillon. A Schoppach, les espaces sableux – les hirondelles nichent dans le sable - ont disparu. En ce qui nous concerne, nous n’avons pas cherché à remettre en cause le projet de zoning. Ce site est inclus dans le contournement d’Arlon, entouré d’axes routiers. A chaque nouveau projet, des riverains se plaignent. Du coup, les promoteurs cherchent à s’implanter au milieu des champs et des forêts, loin de toute zone d’habitation, pour ne pas voir leurs plans compromis ou ralentis. Ce qui est encore moins bien pour la biodiversité car il faut en plus construire de nouvelles routes ! D’un point de vue factuel, mieux vaut construire un zoning à Schoppach qu’ailleurs. De plus, Idelux a déjà concédé 5 hectares sur 30 à la nature. L’intercommunale a renoncé à exploiter près de 20 % de ce site à proximité de l’autoroute. On ne voit pas ça dans tous les projets. Cela nous fait de la peine de voir ces jeunes prendre froid… Mais c’est sûr que plus une zone se densifie, plus les derniers espaces verts prennent de la valeur. »

Qu’en est-il de la biodiversité sur le site de l’ancienne sablière ?

Difficile d’y voir clair car les avis divergent, entre « zone de grand intérêt biologique » et « site laissé à l’abandon, pollué d’hydrocarbures et de métaux lourds ».

Notre appel à infos concernant la biodiversité sur le site nous a permis d’obtenir l’information suivante :

Jan Ryde, un naturaliste décédé accidentellement ce 15 novembre, y avait effectué des relevés l’an dernier, en octobre 2018. Il répertoriait 6 pages – près de 250 noms - d’espèces d’oiseaux, mammifères, plantes, arbres, insectes, lichens et champignons. Il a vu des bourdons des pierres, un pic vert, un pic noir, un bouvreuil pivoine, un roitelet huppé, un troglodyte mignon, un satyre puant, du cerfeuil sauvage, un cognassier du Japon, un fraisier sauvage, des géraniums des Pyrénées, du millepertuis perforé, du chèvrefeuille des bois, un chêne rouge, un onagre à petites fleurs, de la valériane,…

Un autre lecteur nous a signalé la présence d’une chouette moyen duc. Les zadistes ont d’ailleurs perçu des hululements nocturnes sur le site de l’ancienne sablière. L’un d’eux nous a même montré une pelote de régurgitation contenant notamment des restes de hérisson…

Pas d’hirondelle de rivage (mais en octobre, elles doivent se trouver dans le Sud car les migrations ont lieu en septembre), ni de triton crêté mais tout de même un très large échantillon de la biodiversité présente dans nos contrées.

Et qu’en est-il de la pollution ?

La sablière a été exploitée durant une centaine d’années, jusqu’en 1970, avant de devenir une zone d’enfouissement technique puis que la nature y reprenne ses droits. Nous nous sommes procuré le rapport d’analyse des sols, réalisé en 2018 par ABV Development, un bureau d’études dans le secteur de l’environnement, de la sécurité, de l’aménagement du territoire et du développement durable.

Ce rapport indique :

- « Une pollution analytiquement homogène dans les remblais de zone basse attribuée aux matériaux remblayés

- Une tache de pollution au mazout dans la zone basse

- Une zone de fûts sentant les hydrocarbures dans la zone basse

- Des dépassements de normes ponctuels dans le terrain naturel de la zone basse en métaux lourds »

Jean-Marc Lambert, ingénieur civil géologue, est l’auteur de ce rapport. Il indique que les sols de l’ancienne sablière sont pollués à une profondeur relativement importante, jusqu’à 6,5 mètres. «  Les déchets solides ne constituent pas un danger quand ils sont sous terre, commente l’expert. La pollution liquide est plus délicate car elle continue de s’étendre en sous-sol. C’est pourquoi il faudra enlever la terre touchée par les hydrocarbures. Tout comme les fûts enfouis dans la zone basse  ».

Sur les 30 hectares de l’ancienne sablière, quelle surface est concernée par cette pollution ? «  Environ 300 m2… on n’est clairement pas sur une ancienne cokerie ou une usine à gaz  ».

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Questions / Réponses

Un commentaire d’un lecteur :

Petite précision : l’éco-quartier de l’avenue du Bois d’Arlon est également construit au sein d’une ancienne sablière. Jusqu’aux alentours de 2010, celle-ci était réutilisée comme manège de chevaux. Après, elle fut laissée à la colonisation végétale spontanée. Si j’ai bonne mémoire, le permis d’urbanisme requérait le maintien d’anciennes falaises créées par l’extraction pour les hirondelles de rivage, mais cela ne semble pas avoir été respecté. Les riverains immédiats du site vous renseigneront sans doute mieux. Par ailleurs, concernant la grande sablière de Schoppach, la quasi-totalité de la butte est inscrite au plan de secteur en zone d’aménagement communal à caractère économique, ce qui explique l’absence de périmètre Natura2000. Les zones urbanisables au plan de secteur ne sont pas concernées par Natura2000. ce qui ne signifie pas que l’intérêt biologique n’y existe pas !

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