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Au tropique du doute

Muriel Dacq

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Bravas Graphix. CC BY-NC-ND.

Muriel Dacq. Ce nom vous dit vaguement quelque chose. Mais, si, bien sûr, c’est elle qui chantait Tropique (dans ton cœur), restée 54 semaines au top 50 en 1986. Muriel, c’est l’amie, la cousine, la voisine, qu’on connaît tous et qui est passée du côté des… « complotistes ». Voici donc son portrait.

Oui c’est ça. Muriel Dacq, c’est ma cousine. Ma voisine.

On ne s’était pourtant jamais vues de notre vie, avant le 25 avril dernier. Nous ne sommes pas voisines ni cousines. Elle a passé toute sa vie du côté de Gesves, commune du Namurois dont je ne connais rien. Et vient de déménager dans la Drôme, en France, à 850 kilomètres de chez moi.

Le 25 avril, donc, on a lancé une visio. En un instant, elle m’est devenue familière. Son rire a d’abord déboulé. Franc et direct. Comme le tutoiement qui va avec. « Regarde la vue de dingue de mon balcon ! » Muriel m’a montré les arbres, la rivière – la Drôme – et même un kayak qui passait par là. Pas mal…

Pendant plusieurs heures, Muriel s’est baladée dans notre conversation comme on boit un verre avec une pote de longue date. Elle m’a raconté son enfance, ses guindailles – ce qu’elle aime par-dessus tout, c’est faire des Pictionary entre potes, si possible devant un bon barbec’ –, ses claques dans la gueule, sa passion pour les câlins gratuits, ses « coups de gueule ». Son dégoût du mensonge, « c’est la base de tout, chez moi ». La version officielle du 11 Septembre à laquelle elle ne croit plus trop depuis un bon moment. Le « réseau » derrière l’affaire Dutroux – « faut avoir le QI d’une huître » pour ne rien voir. C’est parti dans tous les sens. Mais jamais elle n’a triché. Elle a répondu à toutes mes questions.

Moi aussi j’ai été franche : oui, j’utiliserai le mot de « complotiste ». Elle ne l’aime pas, ce mot, qui pour elle « colle une étiquette, disqualifie et empêche la discussion ». N’empêche, nommer les choses, ça permet aussi de les identifier, de les comprendre et de ne pas tout individualiser. On y reviendra.

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Bravas Graphix. CC BY-NC-ND

Après la visio, en tout cas, on a continué à s’envoyer des messages. Qu’elle finissait régulièrement par des bisous ou des bye-bye. Muriel était donc bien devenue ma voisine, et j’allais pouvoir essayer de dérouler le disque de sa vie, pour tenter d’en comprendre la musique.

Track 1 – La Fille des sapins

Dans sa vie de chanteuse, Muriel porte un nom court. Dacq. Rien à voir avec celui qu’elle trimbale depuis la naissance, le 11 juillet 1962 : Desclée de Maredsous. Une famille de la vieille noblesse. « Il y a même une plaque à l’abbaye de Maredsous qui remercie ma famille de l’avoir financée. » Son père est forestier et les Desclée de Maredsous habitent alors une grande maison blanche au milieu d’un domaine de 75 hectares, à Sart-Bernard (commune d’Assesse).

Au village, on appelle Muriel « la Fille des sapins ». Mais au village, justement, Muriel n’a pas trop le droit de traîner. Son père ferait une attaque si elle s’avisait de côtoyer « des non-nobles ». L’adolescente en « souffre énormément » et fait le mur pour aller aux fêtes du village.

À la maison, tout est sérieux, comme il faut. On va à la messe le dimanche, maman anime la chorale, et on a tous intérêt à se taire quand papa regarde les infos à la télé – sa deuxième religion. Pendant que papa « boit les paroles » de la RTBF, Muriel dans sa chambre se dit qu’elle ne fera « pas comme ses parents, qui avalent tout ce qu’on leur raconte ». Elle compose des chansons.

Comme Pardon, la face B de Tropique… Elle a 15 ans et écrit : « Si je vous prends du temps, Si ma voix vous dérange, Je me sens pantin sous vos doigts géants. Mais lâchez-moi. J’ai lu Hiroshima, J’ai cru aux mains serrées. » De quoi parlait-elle, à ce moment-là ? « De l’hypocrisie de l’oligarchie ». L’oligarchie ? « Ces gens qui sont dans le pouvoir, l’argent, qui font des accords qui vont à l’encontre de l’humain. »

À l’étroit dans le carcan familial, Muriel rêve de trouver sa voie, en musique. Elle a un piano dans le grenier, et prend des cours avec une voisine – « une noble, donc ça passait ». Mais pour papa, hors de question qu’elle se lance dans la musique, « c’était presque comme de la prostitution ». Pourtant, avec le fils de sa prof de piano, elle décide de tenter le coup. Ce sera Tropique. Une chanson bricolée entre potes, autoproduite et qui tombe pile dans la mode fugace italo-disco – la voix grave de la chanson, qui balance du « mamma mia, che calore », c’est celle de son frangin. Le clip est tourné à l’arrache en plein automne à Ostende, lunettes de soleil flashy, sable et cuistax pour accessoires. Succès dingue : en 1986, Muriel a 24 ans, et son disque se vend à plus de 300 000 exemplaires. La chanson restera 54 semaines au top 50. L’artiste est approchée par les grands – elle cite Eddy Barclay et finit par signer chez Claude Carrère. Elle enchaîne les plateaux télé, part en tournée, au Québec, au Japon – où même papa finira par venir l’applaudir – et enregistrera un temps avec des musiciens de Michael Jackson à Los Angeles. La suite, on la connaît. Après quelques succès relatifs, Muriel Dacq ne parviendra pas à se maintenir et finira par laisser le show-biz et la chanson derrière elle. Pour ne jamais y revenir.

Track 2 – Claque musicale

Muriel garde de ce succès le souvenir d’une époque « géniale » et n’en nourrit aucun regret. N’empêche, à cette période, il s’est passé deux trucs. Le premier, au moment de Tropique : « J’avais un manager, je lui faisais confiance. J’étais une grosse naïve, il l’avait bien vu. » Un jour, elle dit découvrir que « le gars prenait 9/10 du montant des prestations ». Muriel se sent « trahie », dégoûtée.

Mais surtout, il y a l’épisode Sony, studio avec qui elle espère produire un disque au milieu des années 1990. En 2012, sur le plateau de Thierry Ardisson, elle raconte sa version : « Il (le disque) a été saboté. Le directeur artistique a mis mon album à la poubelle sans l’écouter. La firme m’a dit : “On est désolé, on te rend ton contrat, garde ton avance”. » Difficile de vérifier les raisons du refus de Sony. Mais peu importe. Muriel se sent flouée.

À l’époque, elle partage sa vie avec Alec Mansion (lui a cartonné avec C’est l’amour, en 1987, dans le groupe Léopold Nord & Vous), père de ses trois enfants. Il se souvient du choc : « Quelque chose s’est brisé en elle. Elle est entrée dans une période de down, de dépression. » Il faut bien comprendre une chose chez Muriel : « Elle est entière, elle ne triche pas. Elle est constamment dans une recherche du juste, du vrai. »

Quand je passe en revue avec Alec la « suite » de la vie de Muriel, il raconte : « C’est vrai qu’on dirait qu’il y a une continuité dans les épisodes de sa vie. Il y a toujours, à un moment, des forces du mal qui détournent la nature ou le destin. Elle a un côté Don Quichotte, elle part en croisade, avec un côté seule contre tous. Mais elle se bat pour ses idées. J’admire ça. »

Track 3 – Foutu crabe

On pourrait citer pas mal d’épisodes, dans la vie de Muriel, de projets lancés à mille à l’heure. Suivis de couacs, de déceptions. De réactions. Mais il y a surtout l’exemple de ce cancer, dans lequel sa future croisade contre le « lobby pharmaceutique » semble prendre racine.

Entre 2004 et 2006, Muriel a perdu son père. Puis une amie. Tous deux emportés par le foutu crabe.

Au chevet de son père, elle subit d’abord « le pouvoir des blouses blanches ». Celui qui te répond, quand tu poses une question à l’hosto : « Vous êtes médecin ? – Ne vous occupez pas de ça. » Cette fin de non-recevoir, « cette façon de ne même pas reconnaître que quelqu’un d’autre peut dire un truc de pas con », ça la révolte.

Mais c’est surtout le cancer de son amie Frédérique qui a tout changé. « Elle était comme ma sœur. » Frédérique prenait du Erbitux (Cétuximab), un médicament destiné à soigner son cancer colorectal. Coût du traitement : 1 000 euros la semaine, alors sans remboursement en Belgique à l’époque. Re-Muriel qui s’indigne. Sa pote qui meurt. Pour une question de thune. De labos. De remboursement. Elle s’active, cherche des signatures pour interpeller Rudy Demotte, alors ministre des Affaires sociales. Son objectif : obtenir le remboursement du traitement.

Puis, à un moment, elle se met à douter du médoc lui-même.

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Bravas Graphix. CC BY-NC-ND

« Je me suis rendu compte que l’Erbitux était fabriqué par une société, Merck, qui avait déjà été condamnée pour un truc de manque de transparence. » Ce dont elle parle, c’est le scandale du Vioxx, un anti-inflammatoire reconnu responsable d’au moins 88 000 attaques cardiaques par la Food and Drug Administration, retiré du marché en 2004. Le laboratoire Merck est accusé d’avoir dissimulé sa connaissance des risques avant le retrait du médicament.

Muriel perd confiance, s’interroge sur les labos, cherche, comme elle peut. Et tombe sur un article d’un médecin de Lausanne qui, dans son souvenir, « dénonçait le pouvoir des firmes pharmaceutiques ». Sur un coup de tête, elle prend sa bagnole et va le voir. « Il m’a dit, les larmes aux yeux : “Mon métier, je vois que, maintenant, c’est plus pour tuer les gens que les sauver.” Je suis repartie et c’est à partir de ce moment-là que je me suis éveillée. »

Track 4 – Vaccins, ça pique !

Muriel va donc passer son temps à chercher. Ce qui cloche. Ce qu’on nous cache. Elle lit beaucoup. Sur le Net, ou dans des bouquins. De fil en aiguille, elle en vient aux vaccins. Pour elle, « tout est lié ». L’une de ses références sur le sujet, c’est Sylvie Simon. Une figure phare des mouvements anti-vaccination, qui entend établir le lien entre autisme et vaccin (une ancienne controverse, sur un lien non établi par la communauté scientifique). Un jour, Muriel voit que Sylvie Simon passe en conférence à Namur. Impossible de la rater.

C’est à cette conférence qu’elle fera une rencontre déterminante : celle de Sophie Meulemans et Marie-Rose Cavalier. L’une est naturopathe, l’autre ancienne députée Écolo passée sur la liste dissidente OSER. On est en 2009, la pandémie de grippe H1N1 débarque, avec son flot de questionnements autour du vaccin. Les trois femmes fondent un collectif : « Initiative citoyenne ».

Leur objectif : obtenir des « vérités cachées » sur les vaccins et la collusion entre pouvoirs publics et laboratoires. « On nous prend pour des veaux sans cervelle, non ? », écrivent-elles en 2010. Sur leur blog, elles publient une quantité phénoménale d’articles. Elles multiplient les communiqués de presse, interpellent les autorités. Sur la seule année 2010, en pleine crise H1N1, elles en appellent par exemple à la sortie de la Belgique de l’OMS et déposent une plainte de citoyens contre X pour « coalition et corruption de fonctionnaires ».

Après notre interview, Muriel m’a renvoyé un vocal. Que je lui ai promis de retranscrire ici : « Souvent on me demande : “Est-ce que vous êtes contre les vaccins”, et, que ce soit très très clair, à chaque fois on dit “non”, et puis on met quand même “anti-vaccin”, j’en ai ras le bol. Je me bats pour la liberté vaccinale, chacun fait ce qu’il veut. Voilà, j’espère que je serai contente. Bisous. »

Sur la page d’accueil d’Initiative citoyenne, c’est la liberté vaccinale qui est revendiquée. Mais, dans les plus de 2 300 articles, l’opposition à la vaccination est claire.

Sans remonter dans les méandres du site, dans un des derniers articles publiés, le 28 octobre 2022, on peut lire leur tribune contre les vaccins.

« Comme nous mettons en garde depuis plus de 10 ans, la vaccination s’apparente à une dramatique roulette russe avec un flot considérable d’effets secondaires graves. » Le collectif arrive à cette conclusion : « On ne peut nullement et plus jamais faire confiance aux autorités officielles non seulement en matière de vaccinations (tous types !), mais aussi en matière de santé en général […] »

« Tout est sourcé, répète Muriel. Je ne demande qu’à avoir tort ! » Les articles sont en effet souvent sourcés. Mais les sources relayées sont tantôt fiables, tantôt biaisées (des avis de médecins, des accumulations de témoignages de parents étant par exemple présentés comme des preuves du danger de la vaccination). Le vocabulaire choisi ne laisse aucun doute : « Idéologie vaccinale », « mafia vaccinaliste », « oppression vaccinale ». De la critique à la croisade, il n’y a qu’un pas. Que franchit donc Initiative citoyenne.

Track 5 – Bisous tomate

Mais la vie de Muriel ne se résume pas aux vaccins. Sans cesse, elle oscille entre combat « seule contre tous » et envie de « positif ». En 2007, après le cancer de son père et de sa pote Frédérique, elle organise le premier événement de « Câlins gratuits » à Namur, sur la place du Théâtre. Ça fait du bien. L’année précédente, à Gesves, certains habitants se souviennent de « la camionnette qui passait avec le haut-parleur sur le toit, et qui envoyait Tropique dans tout le village » pendant la campagne électorale communale. C’était drôle, quand même. Un élu local, André Bernard, avait demandé à Mumu (c’est comme ça qu’il l’appelle) de rejoindre sa liste (ICG – Intérêts communaux gesvois, tendance CDH) pour les élections. Elle avait accepté (elle n’a pas été élue). Un peu pour faire plaisir. « Bon, c’était une erreur », et pour elle il n’y a pas grand-chose à en dire, « mais je regrette pas. »

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Bravas Graphix. CC BY-NC-ND

Au village, on se souvient aussi de sa période « tomates ». C’était en 2010. Quand Mumu s’est lancée dans le maraîchage bio, sur les terres familiales. Et a créé « Le Nouveau Monde ». Un monde garanti sans pesticides ni Monsanto. Comme d’habitude, Muriel y va à fond. « 24 variétés de tomates », « 250 plants », comptabilisera L’Avenir, venu en reportage au Nouveau Monde. « La Rare Verte de Huy, la Belle Rayée Tigerella, la Cœur-de-bœuf japonaise… Et sa préférée : la Black Cherry. » À l’époque, elle rêve de créer un écocentre pour la permaculture. Dans ses parterres, il y a même le « jardin fou ». On respire. Sauf que… en 2013, Muriel se chope un contrôle de l’Afsca. Nouvelle claque. Contre son Nouveau Monde. « Ils me demandaient même une attestation pour la provenance de mes framboises ! » Mumu montre les crocs : « Je leur ai dit, bougez pas, je vais dans la forêt chercher le document qu’il vous faut, je reviens. » Cette administration rivée sur la paperasse, qui tue les petits, Muriel, ça la rend dingue. L’Afsca, qui a conclu ce contrôle par un avertissement, reconnaît que « pour les petits producteurs, il est compliqué de maîtriser les règles en vigueur, qui s’adaptent plutôt aux grandes structures. Nous avons depuis lancé une série d’assouplissements pour les petits producteurs ». Une souplesse inexistante à l’époque du « Nouveau Monde » de Muriel.

Track 6 – Salut les copains

De claques en combats, Muriel se crée peu à peu un nouveau monde. Ou, en tout cas, une communauté, faite « d’amis » qui partagent sa lutte contre un système qui ment. Son énergie de rassembleuse, elle la met à leur service. En 2012, elle crée l’événement « Sortons de la marmite », à Sart-Bernard. Parmi les « amis » invités : Sylvie Simon. Ou Claire Séverac, autrice de Complot mondial contre la santé en 2011, puis en 2015 de La guerre secrète contre les peuples, édité par la maison d’édition KontreKulture, du complotiste et antisémite Alain Soral. Elle y évoque des théories comme celle des chemtrails, ces traînées blanches d’avion qui seraient en réalité des épandages chimiques. Ou encore Michel Collon. L’homme « incarne depuis des décennies une tradition de complotisme d’extrême gauche belge, explique l’historienne spécialiste du complotisme Marie Peltier. Dès les années 1990, il répandait déjà des récits conspirationnistes sur les questions géopolitiques, il a diffusé des propos révisionnistes sur le massacre de Srebrenica par exemple. C’est un vrai “prodictature” ».

Ça y est. « Complotisme ». Le mot est lâché. De quoi parle-t-on ? Marie Peltier nous en donne une définition : « Le complotisme est une tentative de mise en récit du monde qui postule que derrière ce qu’on nous dit et ce qui est perçu comme le récit officiel, il y aurait une logique de mise en scène au service d’intérêts cachés d’un petit groupe malfaisant. » Muriel ne dit pas croire au complot mondial. Même si elle relaie des personnalités qui y croient. Déjà dans les années 2010, sur son site internet du « Nouveau Monde », elle pointait dans ses « coups de cœur » des complotistes notoires comme Alex Jones, star américaine du genre, qui remet en cause le 11-Septembre et parle du Nouvel Ordre mondial. Pour Marie Peltier, le discours d’Initiative citoyenne répond bien à la définition du complotisme. L’anti-vaccination devient un discours anti-système.

« La Belgique a longtemps été relativement préservée par rapport à d’autres pays. Chez nous, le complotisme a émergé dans une frange de l’extrême gauche ainsi que dans l’aile naturaliste du mouvement Écolo. C’est dans cette veine que s’inscrit Initiative citoyenne. » Et forcément, avec le Covid, les complotistes ont connu une chambre d’écho inespérée. « La pandémie, c’était bingo ! L’image d’un système qui nous oppresse devenait soudain très bien matérialisée. »

En 2023, après la pandémie, Muriel organisera un colloque, « La Victoire des fourmis », où l’on retrouve de nombreux porte-voix de la sphère complotiste. Parmi eux, des nouveaux de l’ère Covid, comme Alain Colignon, médecin suspendu deux ans de l’Ordre des médecins, Ordre qu’il estime « complice de la dictature des laboratoi­res » et dont il appelle au remplacement. Mais aussi des vieux de la vieille, comme Jean-Jacques Crèvecœur, tenant de la Nouvelle Médecine germanique, courant pseudo-médical dont le fondateur Ryke Geerd Hamer a été radié de l’Ordre des médecins puis condamné après la mort de patients ayant arrêté leur traitement contre le cancer. En 2021 et 2022, Jean-Jacques Crèvecœur décrivait un complot planétaire sur fond de satanisme, porté par une minorité d’Illuminati, estimant même qu’une partie de nos gouvernants « sacrifient des enfants » et « vont jusqu’à boire leur sang ».

Track 7 – Tir à la cible

J’ai dit à Muriel que j’avais du mal à comprendre pourquoi elle offrait une tribune à des personnes comme lui. Elle m’a répondu : « Je ne suis pas d’accord avec Jean-Jacques sur tout. Je garde ma liberté de penser. » Même s’il est son « ami ». Et puis : « C’est toujours sur les cibles qu’on tire ! » Le rejet, ça soude. Pendant le Covid, d’ailleurs, Muriel organisait des guindailles, les « dimanches des complotistes » à Gesves. Comme un pied de nez à ceux qui la rejettent.

Muriel veut défendre coûte que coûte le droit de penser X même quand la société dit Y.

Sauf que pour l’historienne Marie Peltier « dans le complotisme, on ne critique pas le système démocratique pour le réformer, on postule qu’il y a un leurre. C’est tout à fait différent. L’objectif est de casser le système. La désillusion démocratique y est utilisée par des forces politiques antidémocratiques, d’extrême droite comme d’extrême gauche ». Tous les complotistes ne sont donc pas politisés. Mais le conspirationnisme est une manne pour les extrêmes.

Pendant la pandémie, Muriel s’est bien sûr rendue aux manifs contre le pass sanitaire à Bruxelles, dont l’instrumentalisation par des mouvements extrémistes a été largement documentée. Sur le site de son collectif Initiative citoyenne, on trouve des relais de discours politiques, comme celui de Virginie Jorion, députée française du Rassemblement national, en septembre 2022. Avec ce commentaire : « Le problème n’est pas tel ou tel virus ou une “plandémie” X ou Y, mais bien ces divers cénacles mondialistes […] ne cessant de prospérer sur la peur pour avancer dans leur agenda. Et comme le dit très bien Virginie Joron, “tout est écrit”… » À ce sujet, Muriel répond que ce n’est pas elle qui s’occupe des écrits du site. Ni du volet politique. « Moi je gère les événements. » N’empêche, Initiative citoyenne, c’est bien son collectif.

Depuis un an, le groupe est en « restructuration ». Muriel, elle, a « tiré la prise ». Et quitté la Belgique. Un peu lassée de tout ce combat. Lassée de se sentir disqualifiée. Lassée de voir des gens qui « pètent les plombs », « qui vont trop loin », y compris dans son propre camp. Et puis, c’est bon, elle a donné. Sur son petit balcon dans la Drôme, elle se sent bien. Et veut s’occuper des siens. Je vois Muriel prendre le soleil, et je repense à ce que m’avait dit son ex, Alec Mansion : « Muriel, elle a aussi cette force, celle de réussir à tourner des pages. » On verra bien.

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  1. Selon la presse belge de 2005.

  2. Citations tirées d’une vidéo en ligne de 2011, dans les rushs d’un documentaire intitulé « La pandémie du nouveau monde ».

  3. Controverse basée essentiellement sur l’étude Wakefield, parue en 1998, dont le caractère frauduleux a été démontré. Plusieurs études ont depuis invalidé ce lien entre vaccin et autisme.

  4. Propos tenus pendant sa conférence à « La victoire des fourmis », retransmis par le média complotiste Kairos.

  5. Le terme de « mondialiste » est typique de la littérature conspirationniste.

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