Mon squat est un ancien terrain de foot, quelque part près de Liège. Il y a deux goals, toute une vie entre les lignes. J’aime ça. C’est crevant, parfois. Mais j’aime vivre auprès de gens qui me sourient.
Quelque part à Liège. Aux croisements de deux rues se trouve une barrière avec un sticker « Souriez, vous êtes filmés ». Après cette barrière, il y a un chemin qui longe un cimetière. Sur la gauche, en poursuivant, un bâtiment aménagé avec des grillages. Dans ce bâtiment, une salle de concert et une salle de boxe. Plus loin sur ce terrain à l’abandon, il y a un goal aménagé en bar avec une table. L’herbe est aplatie, il y a une petite scène et des sièges entièrement construits de palettes. Le chemin continue, tracé par le passage fréquent des voitures, et il tourne légèrement. Autour, l’herbe est beaucoup plus haute et sauvage. Une autre scène apparaît, plus grande, encore faite de palettes et de quelques barres de fer. Il y a aussi des camions, de toutes tailles.
Là, on arrive au deuxième goal. Des caravanes et des roulottes forment un arc qui donne sur une cuisine, toujours faites de palettes. Devant la cuisine, une terrasse, des canapés et des cailloux, accueillant le feu collectif des beaux jours. Pas loin, une autre cabane plus petite où l’on range les outils. À l’arrière, c’est la forêt où sont dissimulées des toilettes sèches traditionnelles et d’autres sur pilotis. Une petite collectivité habite sur cet ancien terrain de foot.
Quand nous sommes arrivés il y a quatre ans, il n’y avait rien mis à part de l’herbe. La première étape fut de débroussailler et de rendre l’endroit propre : le terrain avait été utilisé comme décharge. Ce ne fut pas facile. Une fois l’espace nettoyé, le plus important a été de construire une cuisine, dite « le lieu commun ».
Le monde alternatif, dans le sens où il ne suit pas la norme de la société, est souvent caché. Le monde « normal » n’a aucune idée de la vie d’un squatteur ni du quotidien d’un squat. Et s’il en a une, c’est souvent un stéréotype. Vivre dans ce genre de milieu pendant des années peut être extrêmement épuisant. Il faut beaucoup de ressources et être inventif. Il existe un grand nombre de squats différents. Durs, sauvages, de type « Wagenplatz » (où peuvent se parquer des caravanes ou des camionnettes), etc. Et entre squats « punks », « politiques », « work »… les idéaux diffèrent.
Celui auquel j’appartiens est à mi-chemin entre tout ça.
Souvent les photographes qui travaillent sur les squats n’en font pas partie. Chez nous, plusieurs demandes de photographes extérieurs n’ont jamais réellement abouti : leurs intentions n’étaient pas claires. Les gens inconnus au bataillon font souvent peur aux squatteurs, car beaucoup craignent d’être reconnaissables. On peut le comprendre, car, dernièrement, des lois ont été votées à l’encontre des personnes vivant en squat. Occuper une maison sans autorisation, c’est risquer une amende de 208 à 1600 euros (jusqu’à 2400 euros si la maison est occupée) et de 8 jours à 1 mois de prison (jusqu’à 2 ans si la maison est occupée).
Des rencontres
Au début, il était très mal vu que j’aie l’appareil sur moi. Mais plus je créais de liens, plus mon appareil était perçu comme normal. J’ai commencé par photographier les concerts que j’organisais, le public, les groupes qui jouaient… Et finalement ça s’est transformé en photo familiale, une famille dont je fais désormais partie.
Photographier ce milieu, pour moi, est à la fois évident et banal. Je travaille principalement sur ce qui m’entoure et m’anime. J’ai besoin de me concentrer sur mes proches, qui me donnent le sourire et me permettent de rester positive. Quand on vit dans ce genre de lieu, on est amené à croiser beaucoup de personnes sur de courtes durées. En squat, les gens passent, partent, repassent… Nous accueillons fréquemment des personnes extérieures. Souvent, les rencontres sont brèves, mais fortes. Ces visiteurs viennent au squat, car un ami d’un ami leur a parlé de notre lieu. Le milieu n’est pas très étendu, on se connaît un peu tous. Et surtout d’un pays à l’autre, on se rencontre vite. Ça fonctionne beaucoup par le bouche-à-oreille, quand t’as besoin d’un endroit dans une ville, tu fais marcher tes contacts.
Quand je voyage et que je visite de nouveaux squats, ça me permet de rencontrer du monde. J’ai eu l’occasion de visiter différentes villes via le « milieu ». Parfois, un endroit de passage se transforme en deuxième résidence. Des inconnues ou des inconnus deviennent vite des êtres chers et les séparations peuvent être difficiles. Rencontrer des personnes magnifiques à une vitesse éclair, s’attacher puis se dire au revoir aussitôt… C’est aussi le sens de mon travail sur ma vie et les squats que je côtoie. Une certaine démarche d’affection. Pouvoir ancrer. Capturer des moments, des rencontres et en garder une trace indélébile.