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Pêche miraculeuse

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Quentin Dufour. Tous droits réservés.

Thon. Pêche. Mayonnaise. Ce subtil mélange mer-terre-mayo en tube est à la cuisine belge ce que Jean-Luc Dehaene est à la politique : un compromis à l’ancienne. Mais comment a-t-il atterri sur nos tables ?

Dès le IIe siècle avant Jésus Christ, les Grecs se mettent à pêcher le thon, nous rappelle le grand Larousse gastronomique. « Du latin thunnus, lui-même dérivé du grec vitesse, le thon peut parcourir en moyenne 200 km par jour », précise-t-il encore. Une distance risible comparée au trajet que font aujourd’hui nos conserves : 9 000 km a minima. Les plus gros producteurs des boîtes de thon consommées aujourd’hui chez nous sont le Japon, l’Indonésie et les Philippines. Concernant les pêches, le guide nous informe qu’elles étaient très à la mode sous l’Empire, donnant lieu à des desserts raffinés. Mais, de leur rencontre avec le scombridé (aka, le thon) sauce mayo, pas une ligne. Malgré leur succès en boîtes. Sur la liste Wikipédia de la cuisine belge, les pêches au thon figurent en effet dans le top trois des entrées.

Un mets émancipateur

Ce mets de choix, plébiscité lors des communions et des fêtes de famille, doit tout à l’essor de l’agro-industrie, à partir des années 1950-1960. L’arrivée des conserves dans les supermarchés rencontre les besoins d’une époque : rapidité, facilité, économie. Les fruits exotiques et saisonniers deviennent disponibles à l’année. Les Belges, friands de sucré-salé, ont alors eu l’idée audacieuse de mixer les conserves de pêches et de thon. Le monstre était né.

Pour Elisabeth Debourse (podcast Salade Tout), les pêches au thon s’inscrivent dans un mouvement pour l’émancipation des femmes : « C’est un plat entièrement à base de produits industriels. C’est rapide à préparer et peut se conserver au frigo, ce qui en fait un repas idéal pour celles qui ne sont déjà plus à l’époque des “ménagères”, mais ont intégré la force de travail à l’extérieur du domicile. »

Concours cuisine

Le scoutisme et ses « concours cuisine » ont achevé de donner à ce plat un retentissement national. Mais qu’on ne s’y trompe pas. Sous leur apparente viscosité, les pêches au thon sont une puissante allégorie. Tout droit sorties des seventies, elles sont l’incarnation de notre Belgique fédérale naissante. Un pied dans la mer du Nord ; l’autre au sud, la mayonnaise en ciment de la nation. « Pour nos voisins français, c’est un plat totalement absurde !, rappelle Elisabeth Debourse. D’abord, parce que cela reste une association bizarre. Il est aussi, avec le temps, devenu un peu kitsch, de par ses couleurs et sa présentation. » À l’image de notre modèle politique.

Tombées en désuétude, les pêches au thon sont aujourd’hui incomprises. « Elles sont à contresens de tout ce que valorise la cuisine contemporaine : des produits frais, de saison, durables et responsables », poursuit la journaliste. En attendant leur retour en grâce dans Top Chef, vous en trouverez d’excellentes à la maison de repos Malibran à Ixelles.

Interview de l’auteur par Chérie Belgique

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