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« Vous verrez, ça va passer »

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Mélanie Utzmann-North. CC BY-NC-ND.

Fanny Appes a été pourchassée par son ancien compagnon. Au bout d’un calvaire jalonné par des plaintes à la police, elle est poignardée. Histoire banale d’une violence tellement annoncée, jamais considérée.

Jeudi 13 février 2020. Ce matin-là, il y a beaucoup de monde dans le train qui relie Rhode-Saint-Genèse à Holleken en périphérie bruxelloise. Dans cette cohue, Fanny Appes Ekanga espère ne pas arriver en retard. Cela ferait mauvaise impression quand on commence un travail. Elle regarde l’heure sur l’écran de son téléphone. 8 h 06. Ça devrait aller. Fanny s’enfonce dans son siège.

Son regard se dirige vers l’autre bout du compartiment. C’est là qu’elle le voit. Au début, elle est surprise. En changeant de boulot, elle était certaine qu’il ne pourrait pas la retrouver. Et pourtant il est là. Lui aussi la regarde. Le train s’arrête. C’est la gare de Linkebeek. Fanny veut qu’il s’en aille. Elle se lève, se dirige vers lui et demande – c’est en tout cas la version de Fanny :

« Qu’est-ce que tu fais là ? »
« Enlève la vidéo que tu as mise sur Internet », lui répond-il d’un ton sec.

Fanny ne dit rien, elle voudrait être loin. Tout sauf ici avec lui. Elle retourne vers son siège et prend ses affaires pour changer de place. Elle traverse en vitesse le wagon dans l’autre direction. Elle sent qu’il est toujours derrière elle. Fanny fouille son sac pour attraper son GSM. Elle veut joindre la police et prendre une vidéo. Depuis ses deux dernières plaintes, elle sait qu’il lui faut des preuves. Sa main tient fermement le GSM, elle commence à composer le numéro.

C’est à ce moment qu’elle ressent un choc dans son dos. C’est une sensation qu’elle ne reconnaît pas. Elle n’a pas mal. Mais elle ressent une vive fatigue. Fanny passe la main entre ses omoplates. Elle est couverte de sang.

Lors de sa première audition à Bruxelles après son arrestation, Xavier a reconnu avoir été dans le train le 13 février et avoir blessé Fanny. À Médor, il évoque que « c’est bien possible ». Dans une interview du 21 avril donnée à la DH, il fournit une explication rocambolesque : « Je l’ai accostée. Elle s’est retournée pour partir et j’ai voulu l’attraper. Il se fait que j’avais un objet coupant dans ma poche. Il s’agit d’un outil de travail qui permet de découper les emballages. En sortant ma main de la poche, j’ai embarqué l’objet. Eh oui, je l’ai blessée, en tentant de l’attraper, mais ce n’était pas mon but. »

La première plainte

Six mois plus tôt. Le 16 septembre 2019, à la gare de Braine-l’Alleud, Brabant wallon. Fanny Appes marche, vite, le long du quai. Elle traverse le petit souterrain qui passe sous les rails et ressort à quelques pas de sa destination. C’est la première fois que Fanny se rend au commissariat. Elle sonne à l’interphone devant la lourde porte. Lorsqu’elle entre, le policier de l’accueil lui demande le motif de sa présence. Elle répond d’une voix basse qu’elle voudrait porter plainte contre son ex, Xavier. Fanny est anxieuse. Le policier lui dit de patienter, que l’on va s’occuper d’elle. Peut-être s’aperçoit-il que la jeune femme a du mal à cacher ses larmes, mais aussi qu’elle tient ses mains bien l’une contre l’autre, comme pour se donner de la force, se dire que ça va aller. Un autre policier vient chercher la plaignante. Ils s’installent dans l’une des pièces exiguës et grises du commissariat de Braine-l’Alleud. Il pose la même question que son collègue. Fanny répète doucement la réponse. Le fonctionnaire de police lui demande d’expliquer plus en détail la relation avec son ex-petit ami. Fanny se lance. Pendant une heure, elle raconte leur séparation.

Quelques mois avant ça, à la suite d’une violente dispute, son compagnon Xavier l’a mise dehors. Dès ce moment, il est clair pour Fanny que leur histoire est terminée. Pourtant, Xavier vit mal cette séparation. Il est jaloux et n’accepte pas la rupture. Par dizaines, il envoie des messages pour se justifier. Il essaye de la joindre par téléphone plusieurs fois par jour, pour savoir où elle se trouve, avec qui elle est… Fanny se confie à Médor : « Des fois, il me demandait de revenir chez lui, des fois il m’insultait. Il disait que j’étais une pute. » Elle tente de l’ignorer.

En août 2019, Fanny Appes, 30 ans, doit se rendre au Maroc pour les championnats d’Afrique d’athlétisme. Elle est athlète professionnelle, inscrite au 100 m. C’est son épreuve favorite, celle qui lui permet d’exploiter au maximum ses capacités d’explosivité. La sprinteuse espère battre son record personnel : 11,39 secondes. Trois jours avant son départ, Xavier déchire son passeport. Il ne supporte pas qu’elle soit loin de lui. Fanny refait des démarches en urgence et s’envole tant bien que mal pour Rabat. Malheureusement, elle arrive trop tard pour courir l’épreuve reine du 100 mètres. Elle peut quand même participer au 200 mètres. Mal préparée, elle est éliminée au premier tour.

À son retour en Belgique, Fanny découvre que Xavier a publié des photos intimes d’elle sur les réseaux sociaux. Xavier assume crânement. À Médor, il prétend bravache avoir fait ça « pour que les gens sachent qui elle est réellement ». Il affirme que Fanny est une escort girl et que ce serait un motif valable pour dévoiler l’intimité de l’athlète. La sprinteuse est horrifiée. Elle pensait connaître Xavier, mais, petit à petit, elle a l’impression de le voir se décomposer, devenir quelqu’un d’autre.

Ce lundi 16 septembre 2019, donc, le policier brainois prend la déposition de l’athlète. Elle demande si lui et ses collègues peuvent faire en sorte de supprimer les photos. On lui répond que ce sera compliqué, mais qu’elle sera prévenue du suivi de sa plainte. Fanny a l’impression d’avoir fait ce qu’il fallait. Elle sort du commissariat, vaguement soulagée. Elle souffle un peu et se dit que le pire est derrière elle. C’est sa première plainte.

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Mélanie Utzmann-North. CC BY-NC-ND

« Vous verrez… ça va passer »

Un mois plus tard. Le 17 octobre 2019, commissariat de Braine-l’Alleud. Fanny Appes est venue déposer une deuxième plainte. Elle patiente dans le hall. Il y a plus de monde que la fois précédente. Elle est concentrée comme avant une course. Un policier vient la chercher. Ils s’installent dans une salle. L’athlète se met à raconter. Quelques jours plus tôt, la sprinteuse a découvert qu’un faux compte Facebook usurpe son identité. Fanny explique au policier que la personne derrière le compte a d’abord ajouté ses proches. Le mystérieux profil a ensuite envoyé des messages explicites comme « je suis en manque ; je suis une fille facile » aux amis masculins de Fanny. Des photos intimes sont également postées sous les publications Facebook du Royal Club d’athlétisme du Brabant wallon, le club où s’entraîne quotidiennement Fanny, à Nivelles. C’est un autre athlète du club qui doit intervenir pour les supprimer.

Fanny tente de convaincre le policier que c’est Xavier qui est derrière la manœuvre. Elle continue de recevoir des textos de sa part. Des messages parfois d’excuses, parfois d’insultes. Le policier prend sa déposition. À la fin de l’entretien, il lui dit : « On a l’habitude, vous savez, il est amoureux. Il n’accepte pas la rupture. Vous verrez ça va passer d’ici deux mois. » Elle croit le policier. Elle se dit qu’il sait ce qu’il fait. Elle signe la plainte et s’en va.

« Bousiller ta vie »

Deux jours plus tard. 19 octobre, commissariat de Nivelles-Genappe, cette fois. Fanny regarde le nouveau policier qui se trouve en face d’elle. Ses jambes tremblent encore un peu. Elle se dit que cette fois, Xavier est allé trop loin. Il ne peut quand même pas s’en tirer comme ça. Elle répète ce qu’elle a déjà dit à d’autres policiers, le matin même. Ceux qui sont venus la chercher en voiture après qu’elle a composé le 101, le numéro d’urgence. Elle retrace une nouvelle fois le fil des dernières heures.

Ce matin-là, Fanny Appes raconte s’être levée tôt. Il est 7 h, le jour est encore dans les starting-blocks, mais Fanny est déjà en train de courir. Comme souvent, elle aime commencer sa journée par un petit « décrassage ». La sprinteuse fait plusieurs fois le tour du square du Centre. Une petite place à Braine-l’Alleud avec quelques bancs et des arbres. C’est à quelques mètres de là qu’elle vit depuis sa rupture avec Xavier. Au bout de plusieurs tours, elle sent dans son dos une voiture qui roule au ralenti. La voiture l’éclaire et lui fait des appels de phares. Elle reconnaît le véhicule. C’est une Opel grise, la voiture de fonction prêtée à Xavier pour son poste de responsable commercial dans une entreprise française. Fanny se met à courir plus vite. La voiture continue de la suivre jusqu’à ce que l’athlète pense s’en tirer en rentrant chez elle.

Quelques heures plus tard, Fanny Appes se rend à son travail à la maison des sports de Nivelles, une régie communale située près du parc de la Dodaine. Elle marche le long des arbres en direction du complexe sportif. Une fois encore, elle a l’impression d’être suivie. Elle se retourne et aperçoit Xavier. Cette fois, il est à pied. Il vient vers elle.

Fanny crie :

« Tu veux quoi ? »
« Je veux te bousiller ta vie », répond Xavier.

Cela est acté dans un P-V de police. Xavier dit ne plus se souvenir de ces échan­ges.

Il continue de se rapprocher. Fanny se retourne et accélère la cadence. Xavier attrape son bras et lui lance plusieurs coups de pied dans les jambes. Il la pousse contre le mur. Il crie : « C’est qui ton gars ; avec qui tu couches ? » Fanny lâche : « Laisse-moi. » Elle pose ses mains sur son visage, comme pour se protéger. Quelques secondes passent… Xavier relâche son emprise et fait un pas de recul. Fanny se rappelle l’insulte en guise d’au revoir. « T’es qu’une pute », lance-t-il en partant. Fanny chancelle. Elle a mal aux jambes et tremble. Elle fouille son sac, prend son GSM et compose donc le 101. Désormais, elle craint pour sa vie.

Le policier écoute Fanny et retranscrit sa déposition. Il lui fait signer le document puis lui propose de l’accompagner voir un médecin pour faire examiner ses lésions. La sportive lui demande si son témoignage va suffire à faire arrêter son ex-conjoint, ou du moins à l’empêcher de l’approcher à nouveau. Le fonctionnaire lui répond qu’« on ne peut pas priver de liberté une personne comme ça ». Que sa plainte, la troisième, sera automatiquement transmise au parquet du procureur du Roi, selon la procédure. Que c’est là qu’une décision sera prise.

« Faites attention »

Le 13 novembre 2019, à Braine-l’Alleud, Fanny contacte encore le 101. Elle demande aux policiers s’ils peuvent venir le plus vite possible. Fanny se trouve chez sa coach, Carole Bam. À leur arrivée, elle raconte que son ex-compagnon s’est introduit dans l’immeuble où vit la coach d’athlétisme. C’est chez elle que Fanny s’est réfugiée après sa séparation avec Xavier. Pour Médor, Carole Bam se rappelle : « Il venait dans le hall de l’immeuble, on l’entendait pousser les portes. Les voisins aussi avaient peur. » Xavier se défend : « Je venais rendre des affaires à Fanny. » C’est la quatrième plainte.

Fanny dépose une cinquième plainte contre son ex-compagnon, le 20 novembre au commissariat de Nivelles-Genappe pour coups et blessures. Deux jours plus tard, le 22 novembre, elle fait de même, expliquant aux représentants de l’ordre que Xavier l’attendait à la gare. Il l’a poussée contre le mur, violemment. Fanny a aperçu un couteau à sa ceinture, indique le P-V dressé ce jour-là. Il s’agit de la sixième plainte de Fanny contre son ex-compagnon.

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Mélanie Utzmann-North. CC BY-NC-ND

En plus de son emploi à la maison communale des sports de Nivelles, Fanny fait un stage dans une papeterie-librairie à Braine-l’Alleud. Le 25 novembre, Xavier entre dans celle-ci « en faisant semblant de choisir un livre », racontera plus tard l’athlète aux policiers. Fanny se cache alors dans l’arrière-boutique et compose le numéro d’urgence, une fois de plus. La police arrive et interpelle Xavier. Mais les policiers ne peuvent rien faire contre lui, disent-ils, « il ne fait rien d’illégal ». Le trentenaire quitte la boutique en faisant un scandale. Un policier dit gentiment à Fanny : « Rappelez-nous s’il revient et faites attention. » Fanny est désemparée. Elle dépose une septième plainte, mais, si la police ne peut s’occuper de Xavier, qu’est-ce qu’elle pourrait faire ?

À bout de souffle

Le 9 décembre 2019, Fanny Appes revient au commissariat de Braine-l’Alleud porter plainte une huitième fois. Elle est assise sur l’une des chaises soudées au sol qui parsèment le hall du commissariat. Son regard s’arrête sur les affiches de prévention qui tapissent les murs. Un an plus tard, à la même place, on pourra lire sur l’une d’entre elles : « Rien ne justifie les violences conjugales. »

Ce jour-là, Fanny raconte à une policière sa dernière confrontation avec Xavier. Elle marche dans la rue. Elle aperçoit sa voiture. Le véhicule la suit pendant un moment avant que Xavier ne sorte. Selon le dossier de plainte, il se précipite sur elle, lui balance un coup de tête au visage. Xavier prend le petit couteau qu’il tient à sa ceinture, l’insulte et la menace. Fanny crie, appelle à l’aide et sort son téléphone pour joindre la police. Xavier s’en va. Dépôt de plainte numéro NI42L7006401/2019.

Fanny n’y croit plus. Elle répète les mêmes gestes, ressasse les mêmes histoires, les mêmes douleurs dès qu’elle passe la porte des commissariats. D’ailleurs, elle commence à reconnaître les policiers. Eux aussi commencent à la connaître… En revanche, elle constate qu’à Nivelles, ils ne sont pas au courant des plaintes qu’elle a déposées à Braine-l’Alleud, et l’inverse. Elle doit tout réexpliquer à chaque fois, recommencer à zéro. Elle a l’impression de courir dans le vide, dans un long couloir sans ligne d’arrivée.

Au commissariat de Braine-l’Alleud, Fanny bénéficie du service d’aide aux victimes. Dans le bureau de l’assistante sociale Karin Marique, décoré d’une plaque NYPD et d’ours en peluche en uniformes de policiers anglais et belges, l’athlète se décharge. L’assistante sociale ne peut pas révéler la teneur des entretiens sans trahir le secret professionnel, mais, à ce moment-là, Fanny se déclare à bout. Elle raconte qu’elle ne dort plus. Chez elle, Fanny n’ouvre plus les volets par crainte que Xavier sache quand elle est là. Elle planifie ses déplacements bien à l’avance, modifie régulièrement ses itinéraires. Et, comme les vingt minutes qui la séparent de son lieu de travail sont autant de possibilités de croiser Xavier, elle change de travail. Fanny est tellement fatiguée qu’elle met sa carrière sportive entre parenthèses. Elle arrête les entraînements sur le tarmac et se concentre uniquement sur son renforcement musculaire. Le 17 janvier 2020, Fanny appelle de nouveau la police, car Xavier la suit en voiture. C’est alors sa neuvième plainte.

En fin de course

Le 23 janvier, Fanny est de retour au commissariat pour la dixième plainte. La sprinteuse apporte une preuve. C’est une vidéo qu’elle vient de filmer avec son téléphone. Il s’agit de sa dernière rencontre avec son ex-compagnon. Fanny marche sur le trottoir. Elle vient de quitter la salle de sport. Puis, elle montre une Opel grise garée quelques mètres derrière elle. La voiture de Xavier. Elle interpelle la caméra : « Voilà, c’est mon ex qui me harcèle. » La voiture se rapproche d’elle et monte sur le trottoir. Menaçante et à contresens, la voiture lui barre la route. On distingue une portière qui s’ouvre, des insultes à peine audibles sortant de l’habitacle. Fanny revient en arrière, et continue de répéter la phrase-barrière : « Laisse-moi tranquille, laisse-moi tranquille. » La voiture commence à gêner la circulation et s’en va.

Une semaine plus tard, Fanny publie la vidéo sur les réseaux sociaux. C’est un appel à l’aide. Elle veut que les internautes voient son quotidien. La vidéo est partagée par une centaine de personnes et vue plusieurs milliers de fois. À la suite de cette dernière plainte, Xavier est privé de liberté pendant 24 heures à Nivelles. Pendant cette détention, il est entendu par des policiers. Il écope finalement d’un « rappel à la loi ».

Pourtant, le 2 février, le feuilleton continue à Uccle. Pour sa onzième plainte, l’athlète explique aux policiers bruxellois qu’elle se trouvait dans un car quand elle a remarqué l’Opel grise de Xavier derrière elle. Fanny contacte sa cousine Loveline et lui demande de l’aide. Fanny montre aux policiers la vidéo prise par sa cousine. On voit d’abord Loveline pointer du doigt le car dans lequel se trouve Fanny. Puis elle se dirige vers la voiture de Xavier : « Il est là ! Il la suit partout ! », « Tu la suis encore ? Tu n’es pas fatigué de lui pourrir la vie ? » On aperçoit Xavier, visiblement en colère d’être filmé. La voiture redémarre. Dans la foulée, Fanny reçoit un message de Xavier. Il lui demande de supprimer cette vidéo.

Deux semaines plus tard, au bout de onze plaintes déposées sans effet, Fanny est poignardée dans le train.

Médor a voulu confronter Xavier et entendre sa version des faits. S’il a accepté de répondre à plusieurs questions par téléphone, il n’a pas souhaité nous rencontrer.

« Aucune défaillance »

Le 1er commissaire divisionnaire Stéphane Vanhaeren, chef de la zone de police de Braine-l’Alleud, se souvient très bien de « l’histoire de madame Appes ». Affable, questionné par Médor, il se défend d’une quelconque défaillance de ses services : « Nous avons fait notre travail en respectant la procédure d’examen. Nous avons transmis les procès-verbaux au procureur du Roi. C’est à lui de décider de saisir ou non le juge d’instruction. »

Pourtant, il accorde que la prise en charge de l’agresseur présumé aurait dû se passer autrement : « On a choisi de faire confiance à l’intéressé, mais il ne la méritait pas. Il y a des cas où ça dérape, et l’histoire de madame Appes, c’est l’exemple type de ce qu’il faut éviter. Moi aussi, à sa place, je serais scandalisé. »

Même son de cloche au commissariat de Nivelles-Genappe. Le commissaire divisionnaire Pascal Neyman nie un manquement de la part de son équipe. Il dénonce des carences dans le système belge : « Ce que je constate, c’est que les dossiers de harcèlement sont mal poursuivis pour deux raisons. Premièrement, il y a un côté très subjectif. C’est compliqué de savoir ce qui est réel ou ressenti. Deuxièmement, le harcèlement n’est pas pris au sérieux. Il y a des infractions qui doivent être prises en charge dès le départ. »

Quant à savoir si l’ex-compagnon de Fanny Appes aurait pu être interpellé plus tôt, le commissaire botte en touche : « J’ai l’impression que les faits relatés suffisaient à ce que le parquet décide d’appréhender la personne. Est-ce que ça aurait suffi pour qu’un juge d’instruction décerne un vrai mandat d’arrêt, ça je ne sais pas. »

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Mélanie Utzmann-North. CC BY-NC-ND

En droit pénal, un procureur du Roi, et le parquet qu’il coordonne, reçoit les procès-verbaux dressés par la police. Il récolte les faits qu’on lui renseigne, filtre et décide ou non de mettre le dossier à l’information. Il peut ensuite saisir un juge pour mener l’instruction, en fonction de la gravité des faits. Dans le cas « Fanny Appes », le dossier a été mis à l’instruction après le coup de couteau, soit le 13 février 2020.

Nous avons joint le parquet du Brabant wallon, à Nivelles, pour recueillir une réaction sur la lenteur dans le traitement des plaintes ; celui-ci n’a pas souhaité répondre à nos sollicitations. Aujourd’hui, le dossier est toujours à l’instruction.

« En route pour une nouvelle vie »

La suite de l’histoire a déjà été racontée dans la presse. Dans le train, le 13 février 2020, Fanny est prise en charge par un médecin avant d’être emmenée à l’hôpital. Elle s’en tire avec dix-sept points de suture dans le dos. Le même jour, Xavier publie un post Facebook dans lequel il dit se déplacer vers Montpellier : « En route pour une nouvelle vie », déclare-t-il. Quelques jours plus tard, il affirme être en Côte-d’Ivoire.

Un mandat d’arrêt européen est décerné le 15 février 2020 contre Xavier. Ce dernier est finalement interpellé le 18 février dans le nord de la France avant d’être extradé en Belgique. Au bout de huit heures d’interrogatoire à Bruxelles devant la police fédérale ainsi qu’une audition en présence d’un juge d’instruction, le suspect reconnaît qu’il était dans le train le 13 février et qu’il a porté un coup à Fanny. Au début du mois de mars 2020, il est inculpé pour « coups et blessures volontaires, avec préméditation et port d’arme prohibée ». Enfin, la justice se réveille.

Depuis lors, Xavier, qui bénéficie de la présomption d’innocence en attendant d’être jugé, ou pas, étale des opinions d’extrême droite sur les réseaux sociaux. Il s’affiche avec Tom Van Grieken, le président propret du Vlaams Belang, relaie des images d’un cochon sodomisant le prophète Mahomet et poste la tête décapitée de l’enseignant français Samuel Patty, victime d’un attentat terroriste en octobre 2020.

La recherche du second souffle

Aujourd’hui, Fanny Appes continue de courir. Mais l’athlète a mis sa carrière sportive entre parenthèses. Elle bénéficie d’un soutien psychologique. Sa priorité est de se reconstruire. Pas un jour sans qu’elle ne revoie la scène du train. Et, s’il lui arrive d’oublier, la cicatrice qui balafre son dos est désormais là pour la lui rappeler.

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Mélanie Utzmann-North. CC BY-NC-ND

Pour prolonger ou accompagner la lecture, laissez vous imprégner par la musique sensible de Las Llonaras. « Some soft, tender, some broken men, Authoritarian again, Afraid to loose power, gain, to loose, to bruise themselves. » — Las Lloranas, «  Mutation  ». Morceau issu de la playlist de Pointculture.

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