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Le spray qui fait pschitt

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Dennis Marien. Tous droits réservés.

Défoncé à la fumette et arrêté au volant par la police ? Pas de panique, quelques pulvérisations dans la bouche tromperont les tests salivaires antidrogues de la police. Vraiment ?

« Roulez défoncé sans vous faire choper. » Voilà en substance la promesse de ces vendeurs de sprays destinés à éliminer les traces de THC, la molécule psycho­active du cannabis, dans la salive des automobilistes sous influence. Un produit disponible partout. Sur le moteur de recherche Google, les mots clés « Kleaner THC » don­nent déjà plus de 50 000 résultats. Des nettoyeurs de drogues commercialisés par les géants de l’e-commerce comme eBay ou Amazon, les sites spécialisés dans le cannabis CBD, les gros acteurs de la défonce en ligne tels Zamnesia ou Alchimiaweb, mais aussi, beaucoup, sur Instagram ou Snapchat. Des sprays vendus à prix d’or – 40 euros les 30 ml – et dont l’efficacité pour déjouer les contrôles stupéfiants ne ferait pas l’ombre d’un doute.

« 100 % de réussite aux tests salivaires », vante un gros acteur du marché sur son site. « Testé cliniquement », enchérit un second. Avec à chaque fois le même argument massue : un contrôle positif aux stupéfiants vous coûtera cher. En Belgique, en effet, l’automobiliste sous influence risque un retrait de permis, une amende salée (à partir de 1 600 euros) et une peine de prison en cas de récidive.

Les conducteurs seraient de plus en plus sous l’influence de drogues, si l’on en croit les chiffres officiels. Lors de la traditionnelle opération « week-end sans alcool » menée par la police de la route en janvier 2020, 51 % des conducteurs soumis à un test salivaire antidrogue étaient positifs, contre 45 % l’année précédente. Notons tout de même que les contrôles se sont eux aussi intensifiés. Ministre de la Justice de 2014 à 2020, le CD&V Koen Geens a ainsi plus que doublé le budget alloué à ce dépistage (de 134 000 euros en 2014 à 368 000 euros en 2018) et a doté la police de nouveaux tests plus précis et moins contraignants. En cas de résultat positif, il n’est plus nécessaire en effet de faire venir un médecin pour confirmer le diagnostic par une prise de sang. Un échantillon de fluide oral est directement envoyé dans un laboratoire agréé pour analyse.

100 % légal ?

Nos services de police connaissent-ils ces sprays ? « Oui, affirme le commissaire Michel Bruneau, patron de la section stups de la police fédérale. Je ne dis pas qu’on les retrouve chez neuf automobilistes sur dix, mais plutôt de manière épisodique. » Sont-ils efficaces ? « Je ne pense pas que ces solutions buccales permettent de descendre sous le seuil de détection des tests salivaires. » Soit une concentration de THC (la molécule active du cannabis) de moins de 25 ng/ml de salive. Le commissaire pose la question de la légalité de ces produits. « Si ces fabricants présentent ces sprays comme un outil pour éliminer le cannabis dans la salive (ce qui est le cas de la plupart d’entre eux

– NDLR), ils pourraient tomber sous le coup
d’un délit, celui d’avoir facilité l’usage de stupéfiants. Pour l’automobiliste, si le test salivaire s’avère positif et que l’on retrouve l’un de ces sprays dans sa voiture, la police pourrait en faire mention dans son P-V et le juge pourrait se montrer encore plus sévère à l’encontre d’une personne qui aurait sciemment tenté d’éluder le contrôle au moyen de ces substances. »

Quelle est l’efficacité réelle de ces nettoyeurs de drogues ? Si de nombreux produits semblent être de pures arnaques, certains parviendraient à éliminer les traces de cannabis dans la salive. On a donc con­tacté ces distributeurs pour leur demander de fournir des données scientifiques appuyant leurs affirmations. Sans succès. Une interview nous est finalement accordée par le patron de My Kleaner, l’un des leaders du marché. Mais après nous avoir sondé sur nos intentions – la rédaction d’un article qui s’interroge entre autres sur l’efficacité de ces produits –, notre interlocuteur préférera décliner l’entretien.

Alors penchons-nous sur les composés de ces solutions buccales et sur leur action éventuelle. Outre une série d’additifs alimentaires, de compléments ou de stabilisants (alcool dénaturé, sulfate de magnésium, chlorure de potassium ou de sodium, hamamélis, menthe poivrée…), on retrouve dans ces produits des extraits de neem, de la gomme de xanthane ou de la glycérine. Des composants huileux destinés à capter les molécules de THC présentes dans la salive. « Je reste néanmoins très perplexe quant à leur efficacité, tacle Alfred Bernard, professeur de toxicologie à l’UCL et directeur de recherche FNRS. Contrairement à d’autres stupéfiants, le THC est très pervers, car il se stocke dans les graisses, les tissus adipeux, et s’élimine très lentement chez les fumeurs réguliers. Ces fabricants pensent peut-être pouvoir extraire ce THC avec ces composés, mais l’extraction à partir de plante n’est pas évidente. La glycérine, par exemple, va capter un peu de ces molécules dans la salive, mais évidemment pas dans les tissus adipeux. Et la quantité de glycérine pulvérisée me paraît beaucoup trop faible pour agir efficacement. »

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Dennis Marien. Tous droits réservés

Aphone au contrôle

N’oublions pas non plus que le corps humain produit constamment de la salive. Un fluide oral constitué à partir de plasma sanguin. « La corrélation n’est pas parfaite et varie notamment d’un individu à l’autre, explique le toxicologue, mais on peut dire que tant que la drogue est présente dans le sang, on la retrouve dans la salive. En admettant que ces sprays soient efficaces, il faudrait donc que l’automobiliste se pulvérise la bouche juste avant le contrôle et ne produise plus de salive jusqu’au test. »

Quel est le mode d’emploi préconisé par ces fabricants ? Selon eux, il suffit de réaliser 5 à 10 pulvérisations, de faire circuler la solution dans la bouche pendant 30 secondes et d’attendre quelques minutes qu’elle agisse. L’effet persisterait une heure, voire une heure et demie selon d’autres marques. Ce qui défie les lois de la science. « Le corps humain produit entre 1 et 2 litres de salive par jour, poursuit Alfred Bernard. En une heure, vous allez donc fabriquer environ 40 ml de fluide oral. De la nouvelle salive, donc, à nouveau en équilibre avec les drogues contenues dans votre sang. Et même si vous vaporisez ce spray juste avant le contrôle, vous devrez encore attendre votre tour, parler au policier, lui donner vos papiers, etc. Sans compter que le stress peut aussi augmenter votre production de salive. » Voilà pourquoi ce toxicologue ne croit pas à l’efficacité de ces sprays pour éliminer complètement les traces de THC, ni même celles de cocaïne ou d’ecstasy. « Cela me paraît beaucoup trop aléatoire. »

Ces vendeurs, et leur marketing agressif sur les réseaux sociaux, se gardent bien de le dire, mais une étude scientifique a déjà été réalisée sur l’efficacité de ces dispositifs. Menée par des chercheurs de l’Université de Saint-Jacques-de-Compostelle, celle-ci a comparé l’effet d’un rinçage de la bouche à l’eau, au lait entier et avec ces nouveaux produits sur la teneur en THC de la salive. Précisons que le seuil de détection des tests salivaires utilisés par la police espagnole est identique au nôtre. « Quel que soit le rince-bouche utilisé, les taux de THC détectés un quart d’heure après étaient trois fois supérieurs à ce seuil », assène cette étude. Une petite phrase dans la conclusion retient aussi notre attention. « La détection d’autres cannabinoïdes [les composants chimiques du cannabis – NDLR] que le THC tels le THC-COOH, le cannabinol (CBN) ou le cannabidiol (CBD) permettrait de faire la distinction entre un fumeur régulier encore sous l’influence de la marijuana au moment de prendre la route et celui qui n’a que des traces résiduelles de cannabis dans l’organisme. »

On l’a vu, c’est le talon d’Achille de ces tests salivaires. À cause de la forte persistance du THC dans l’organisme, un fumeur occasionnel sera en théorie négatif six heures après son dernier joint, mais un consommateur chronique pourra encore être contrôlé positif alors qu’il n’a pas fumé depuis la veille. Ce que nous confirme le boss des stups de la police fédérale. Un manque de fiabilité bien évidemment souligné par ces vendeurs de sprays. « Ces tests révèlent la présence de traces de stupéfiants, certes, mais n’indiquent en aucun cas si la personne est sous l’influence ou non de la drogue, chose que nous trouvons injuste », critique l’un de ces distributeurs.

Alors pourquoi n’utilise-t-on pas des tests plus performants en Belgique ? « L’approche belge de la problématique liée à la conduite sous l’influence de drogues (DUID) ne le nécessite pas », rétorque Sarah Wille, experte judiciaire en toxicologie à l’Institut national de criminalistique et de criminologie (INCC). Comprenez : pragmatique, on recherche avant tout les défoncés qui perdent une partie de leurs réflexes. Le seuil légal de détection du THC en Belgique est d’ailleurs plus élevé qu’en France (25 ng/ml contre 15 ng/ml en France), de quoi laisser en paix le fumeur de la veille. D’ailleurs, avant de procéder à un test salivaire, la police tente de détecter des signes de consommation chez l’automobiliste contrôlé. « Cette première phase a notamment pour objectif d’écarter les fumeurs chroniques qui ne sont plus sous l’effet du cannabis. » Bonne nouvelle pour le fumeur habituel de joints, ou mauvaise pour les personnes aux yeux rouges et sourire appuyé.

Pour prolonger ou accompagner la lecture, Pointculture nous propose Plane du groupe Glauque (Namur).

Glauque
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