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Bienvenue à ma « tampons party »

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Emilie Gleason. CC BY-NC-ND.

Avoir ses premières règles, ça se fête ! Resto en famille, « Ragnagnas party » ou rituel New Age au clair de lune, les jeunes filles apprennent à saigner sans rougir.

« Un matin, alors que je venais de me réveiller, je suis allée aux toilettes et j’ai vu une grosse tache de sang sur ma culotte. Au début, je n’ai pas compris ce qui se passait, puis ça a fait tilt, donc j’ai appelé ma mère. Et là, elle a commencé à pleurer en plein milieu des toilettes ! La situation était assez drôle sur le moment, mais, je dois l’avouer, j’étais quand même un peu émue aussi… »

Il y a deux ans, Léa a eu ses premières règles. Pas de panique, sa maman lui avait déjà tout expliqué. Elle a mis une serviette hygiénique et est partie pour l’école, pensant que cette journée serait identique aux précédentes. C’était compter sans les idées excentriques de sa mère.

Quand elle est rentrée chez elle… surprise : toutes les femmes de sa famille l’attendaient. Traits de rouge à lèvres sur les joues et colliers de tampons autour du cou, elles lui ont annoncé la couleur : « Bienvenue dans le monde des femmes qui râlent et qui ont mal à la tête ! »

La blague était poussée jusqu’au bout : sur la table de la cuisine trônaient un gâteau en forme de culotte, recouvert d’une gelée rouge, et une pancarte « happy ragnagnas ». Un côté trash totalement assumé par sa maman : « J’en ai assez de ce tabou des règles, et je pense qu’un bon moyen de faire changer les mentalités, c’est de choquer, de se montrer moins conventionnelles. Parfois, j’ai presque envie de balancer des tampons à la tête des gens qui sont aussi fermés sur le sujet », rigole-t-elle.

La suite du programme de cette « tampons party » ? Une soirée entre filles, au cinéma. « Ma maman m’a expliqué qu’avant, dans la famille, on recevait une gifle quand on avait ses règles pour la première fois. Moi, j’ai eu une fête. C’est clairement plus cool ! », assure Léa. Et si elle était « un peu gênée » au début, le comique de la situation l’a mise de plus en plus à l’aise. « Si on ne m’avait pas organisé tout ça, j’aurais juste continué ma vie, comme d’habitude, et je n’aurais pas eu l’occasion d’en discuter avec ma grand-mère ni avec mes cousines. Je ne me serais peut-être pas montrée si ouverte. »

Pour Sabrina, sa maman, l’objectif est réussi : « Je voulais vraiment dédramatiser cette expérience, lui montrer que ce n’est pas phénoménal ni sale. Et que c’est quelque chose dont on peut rire, tout simplement. »

Sous la tente rouge

Il existe évidemment d’autres façons de fêter l’arrivée de ses premières règles, parfois moins humoristiques. En octobre dernier, Emmanuelle, 12 ans, a participé à une « tente rouge », un cercle de parole exclusivement féminin, dédié à la recherche du « féminin sacré ». Robe écarlate, couronne de fleurs sur la tête, elle a été accueillie dans le « club des grandes », entourée des femmes de sa vie.

C’est sa maman, Stéphanie, qui a tout organisé, chez elles, à Bertogne. « Je suis doula [accompagnante autour de la grossesseNDLR] et, depuis trois ans, je propose aussi des tentes rouges une fois par mois, généralement à la nouvelle lune. On se retrouve entre femmes pour venir déposer ce qu’on a sur le cœur, et c’est accueilli par les autres, sans aucun jugement. »

Le concept n’est pas récent. Dans les sociétés traditionnelles, au Maghreb, au Moyen-Orient ou en Amérique latine, les femmes d’une communauté se réunissaient à chaque événement marquant de leur vie : menstruations, grossesse, accouchement, décès… Et c’est la parution en 1997 du best-seller américain La Tente rouge, d’Anita Diamant, qui a remis au goût du jour cette pratique ancestrale. En France d’abord, et puis chez nous.

Pour Stéphanie, cette cérémonie particulière était l’occasion de transmettre à sa fille une image positive des menstruations. Vingt ans plus tôt, elle aussi avait été félicitée par sa mère. « Elle m’avait offert un bouquet de fleurs, elle était tellement ravie et fière ! Et c’est aussi ce que j’ai ressenti pour Emmanuelle, sourit-elle. C’était important pour moi de marquer le coup, de célébrer son passage de petite fille à jeune fille. » Une manière, selon elle, de valoriser les enfants et de « leur donner de la confiance en eux ».

Souper « règles »

Cette visibilité accrue donnée aux menstruations n’est pas anodine. En 2019, la philosophe française Camille Froidevaux-Metterie déclarait au journal Le Monde qu’« une nouvelle génération de féministes s’est saisie des sujets intimes. Depuis 2015, et grâce à #MeToo, on a assisté à une explosion des initiatives liées aux règles ».

Certaines familles, on l‘a vu, n’ont pourtant pas attendu que le regard sur les menstruations évolue pour construire des traditions. « Quand j’ai eu mes premières règles, on a organisé un souper crêpes, en petit comité, avec mes grandes sœurs et ma maman, raconte Léa (une autre), jeune Nivelloise de 25 ans. Ça m’a semblé tout à fait naturel de fêter ce passage, puisqu’on avait fait la même chose pour mes sœurs. On a dix ans d’écart, donc à l’époque je ne comprenais pas vraiment ce qu’on célébrait, mais, quand ça a été mon tour, j’étais évidemment partante. »

Partage d’anecdotes sur les premières règles, conseils sur l’utilisation de protections hygiéniques… Léa se souvient d’une fête organisée dans la bienveillance et la bonne humeur. « L’idée, ce n’est pas de mettre mal à l’aise. D’ailleurs, on ne me l’a pas imposée, et je l’ai très bien vécue, prévient-elle. C’était un peu la même sensation que quand j’ai appris que saint Nicolas n’existait pas. Voilà, maintenant tu entres dans le monde des femmes, quoi. Quand on est jeune, on se compare souvent aux autres et on est fier de montrer qu’on grandit. C’est ça que je voulais célébrer. »

Et si ses amies ne comprenaient pas cette tradition il y a dix ans, les choses n’ont pas totalement changé aujourd‘hui. « Il y a encore beaucoup de gens qui trouvent bizarre, voire grave, de fêter ça. Certainement parce que ça les dégoûte. Mais, dans ma famille, il n’y a jamais eu de tabou, on est très ouvert au dialogue », insiste la jeune femme.

Souvent, l’histoire se répète. Et Léa ne compte pas faire exception à la règle. « Si j’ai une fille, quand elle aura ses menstruations, je pense que je lui proposerai aussi une fête. Pour lui montrer qu’elle devient une femme, que ça me touche. Et qu’elle peut en être fière. Mais ça évidemment, c’est si j’ai des enfants. » Une étape à la fois.

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Emilie Gleason. CC BY-NC-ND
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