Teams : La rentrée de Microsoft
Depuis le confinement, les écoles ont dû basculer en urgence vers le télé-enseignement. Quel outil choisir ? « Euh… On n’était pas préparé. » Le géant Microsoft, qui avait déjà travaillé le terrain, a foncé sur l’occasion pour inonder le marché. À quel prix ?
Tous les élèves et les profs connectés pour continuer l’enseignement : un « changement de paradigme ». Voilà ce qu’a amené le confinement dans l’enseignement belge, où la question du numérique est aussi épineuse que celle du mariage des prêtres dans l’Église catholique. Ce n’est pas Médor qui postule ce bouleversement, mais un ancien professeur de sciences reconverti dans un poste qui sonne bien : spécialiste en solutions pédagogiques pour… Microsoft Belgique. Sébastien Place, casque-micro vissé sur la tête (certains sont mieux équipés que d’autres, comme les écoles), le dit avec certitude : en mars, le numérique est passé « d’accessoire annexe, le truc qu’on allait utiliser un jour, à quelque chose d’indispensable pour proposer une continuité de l’enseignement ».
Du confinement naquit une question éminemment pratique, qui surpassa vite toutes les autres : OK, télé-enseigner, pourquoi pas, on n’a pas le choix en fait. Mais avec quoi ?
Happi days ?
Neuf mois après, difficile d’établir une cartographie officielle de qui
a choisi quoi parmi les simples systèmes de visioconférence (Google Meet, Zoom, appel vidéo sur Messenger, côté logiciels propriétaires, ou BigBlueButton et Jitsi, côté logiciels libres) et les solutions d’apprentissage en ligne plus développées, comme Microsoft Teams ou Google Classroom. Lancée en août dernier par la Fédération Wallonie-Bruxelles, la plateforme « libre » Happi fait figure de petit Poucet face aux rouleaux compresseurs de l’industrie tech. Happi met l’accent sur le respect des données personnelles des étudiants et la joue collectif. Sur cette plateforme, on rappelle et on souligne même que les établissements scolaires sont libres de recourir aux outils de leurs choix.
De son côté, le pouvoir organisateur se refuse à recommander officiellement une solution testée et approuvée par ses soins. Même si l’on sent bien que l’administration espère que Happi, qui ne dispose pas d’outil de vidéoconférence et doit donc être couplé à un autre système pour les classes en direct, n’a pas été développé par simple plaisir de pondre du code.
Pour nourrir le choix crucial des écoles, la Fédération Wallonie-Bruxelles (FWB) a toutefois publié quelques guides pratiques. Parmi ceux-ci, l’opus sur les outils de visioconférence permet de comprendre en quelques secondes les fonctionnalités que Teams, Zoom, Cisco ou BigBlueButton proposent. Problème : le guide a été publié en septembre, plusieurs mois après que de nombreuses écoles ont dû faire leur choix, dans l’urgence.
Coronavirus, le Teams building
À ce jour, la « fédé » ne dispose pas de données officielles sur qui utilise quoi dans l’enseignement.
Pour le savoir, nous avons assumé une méthode pas méthodologique du tout, mais qui avait l’avantage de la certitude : on aurait des réponses. On a lancé un appel aux enseignants sur les réseaux sociaux.
De ce coup de sonde, couplé à quelques rencontres avec des membres du corps enseignant échaudés par le passage au « distanciel », émergent deux signaux :
– Un sentiment d’impréparation un peu généralisé face à cette accélération forcée de l’enseignement à distance, plus pragmatique que pensée, et une alerte : beaucoup d’élèves, notamment dans des établissements plus « défavorisés », n’ont pas d’ordinateurs en suffisance à la maison et se servent de leur smartphone pour suivre les cours.
– C’est Teams, la plateforme de Microsoft lancée en 2017, qui est le plus souvent citée par les enseignants comme outil de classe virtuelle élu par leurs établissements.
Sébastien Place confirme, tout en affirmant que Microsoft ne dispose pas de chiffres sur le nombre d’écoles : Teams est bien la solution la plus adoptée comme plateforme d’enseignement à distance en Belgique francophone.
Le Covid a dopé l’utilisation de cet outil qui dispose d’une version pour les entreprises mais aussi de son pendant pour l’enseignement, « plus riche, plus orienté en fonction des besoins du terrain », selon Sébastien Place. Entre avril et septembre 2020, Teams est passé de 75 à 115 millions d’utilisateurs dans le monde. Teams est une telle priorité pour Microsoft que la société donne des bonus à ses employés qui peuvent l’aider à vaincre Zoom, leur grand concurrent actuel, sur le segment des entreprises.
Microsoft et sa section belge n’ont pas attendu la pandémie pour s’attaquer au marché de l’enseignement. Il y a trois ans, Sébastien Place entame un tour des écoles francophones pour les « aider au maximum dans leur transition numérique. Assez rapidement, on a rencontré des établissements qui voulaient bouger et on a accompagné les enseignants, les administrateurs systèmes des écoles, qui sont souvent des enseignants de bonne volonté qui s’occupent des ordinateurs dans les établissements ».
Au début du confinement, bien plus que les autres solutions disponibles sur le marché, Microsoft est sur la balle du distanciel, terme phare de l’année 2020. « On a mis en place une permanence avec l’aide des collègues des autres sections pour répondre aux besoins des écoles. Nous avons eu des centaines, voire plus d’un millier de demandes d’établissements ou de professeurs en initiative personnelle. »
L’école sur Minecraft
Concrètement, que propose Teams ? Rien de moins qu’une classe virtuelle, et donc bien plus qu’un simple logiciel de vidéoconférence : des fils de discussion, une édition partagée de fichiers et la possibilité de se brancher à des applications extérieures.
Si Teams trouve si directement sa place dans l’enseignement, c’est parce qu’il est intégré automatiquement à un outil largement utilisé dans les écoles : la suite bureautique Office 365 Education. Cette plateforme, qui se déploie au niveau du Cloud Microsoft (dans le Nuage, elle n’est donc pas hébergée par les écoles directement), comprend, les logiciels d’Office (Word, Excel, PowerPoint) et d’autres solutions destinées à l’enseignement.
Contrairement à la suite Office 365 de bureautique classique, qui s’installe sur un ordinateur, elle est gratuite pour son premier palier d’accès (dit Académique 1). Si on veut plus que l’accès aux applications en ligne, notamment la possibilité d’installer les logiciels sur un ordinateur, il faut passer au palier A3, où l’on paye 2,5 €/mois par étudiant. Si on veut la totale, il faut opter pour le palier A5 (5,9/€ mois, avec notamment des outils de sécurité et d’analyse en plus).
« Beaucoup d’écoles décident d’avancer vers le niveau A3, car il offre aussi une console de gestion des appareils connectés sur la plateforme de l’école qui permet une fluidification assez énorme en termes de gestion de mots de passe, par exemple », continue Sébastien Place.
En optant pour le palier A3, l’école aura le droit d’entrer de plain-pied dans une nouvelle étape de la virtualisation de l’enseignement en rendant « Minecraft : Education Edition » disponible à ses élèves. MEE, pour les intimes, c’est la version école du jeu de construction en blocs aux 150 millions d’utilisateurs, propriété depuis 2014 de… Microsoft. Avec le logiciel et une tablette, les enfants peuvent apprendre à coder (ce qui peut aussi se faire sur papier, rappelons-le), découvrir la mythologie grecque en incarnant un dieu du panthéon hellénique ou le fonctionnement de l’œil humain. L’application n’est pas neuve, mais Microsoft a directement sauté sur le confinement pour le rendre gratuit jusqu’à juin dernier (d’habitude il faut payer un abonnement mensuel). Les amateurs de la « ludification pédagogique », comme le dit le nouveau lexique consacré, approuveront, ceux qui envisagent encore un enseignement sans tablette angoisseront.
Qui dit « clé sur porte » dit serrure…
Teams, c’est donc la promesse du tout-en-un. Mais pas forcément de la protection des données. Dans son guide des outils de visioconférence, la FWB pointe du doigt la « conformité non garantie » au Règlement européen sur la protection des données (le fameux RGPD), tout comme pour Zoom ou Cisco Webex (mais pas pour Jitsi ou BigBlueButton). Elle n’est pas la seule à épingler cette faille de Teams. En juillet, l’Autorité de protection des données de Berlin donnait un « feu rouge » à Teams (et bien d’autres) dans son classement des solutions de visioconférence. Elle s’inquiète par exemple des « contradictions » et d’« un manque de clarté » des conditions d’utilisation, et du fait qu’elles permettent l’envoi et le traitement des données hors de l’Union européenne. Microsoft a écrit pour à l’APD de Berlin pour contester cette analyse.
Bruno Schroder, National Technology Officer chez Microsoft Belgique, reconnaît qu’au sens strictement légal, la FWB n’a pas tort : la conformité au RGPD n’est pas garantie par le fait d’utiliser Teams. Les utilisateurs peuvent décider de mettre en œuvre certaines fonctionnalités de manière non conforme. Teams ne l’interdit pas.
Certaines fonctionnalités, comme la gestion de la retranscription, sont effectuées par des traitements aux États-Unis. « Par contre, toutes les données des utilisateurs sont hébergées en Europe, aux Pays-Bas ou en Irlande, et nous n’en faisons pas un usage de revente à des tiers comme Facebook ou Google ». C’est aux établissements, donc, de paramétrer, activer ou éteindre certaines fonctionnalités afin de ne pas favoriser des traitements de données en dehors du sol européen. Teams dispose de toutes les fonctionnalités nécessaires à une implémentation conforme. Encore faut-il les mettre en œuvre.
Dans un post de blog, Valérie Hayek, avocate en droit numérique, prévient l’utilisateur : « Pour vérifier la mise en conformité avec le RGPD de Microsoft Teams, il convient de se reporter à Microsoft, Office 365, Office 365 Entreprise. Et comme ce n’est pas suffisant, il faudra, ensuite, le cas échéant, se référer aux conditions générales et à la politique de confidentialité relatives au RGPD, de chaque application téléchargée par les utilisateurs pour personnaliser Microsoft Teams. Une vraie toile d’araignée ! » Pas sûr que le principe de transparence du RGPD, qui veut que le traitement de données soit expliqué simplement aux utilisateurs, sorte gagnant de l’analyse.
Microsoft Teams et ses versions entreprise ou enseignement débouleront, eux, en lauréats du confinement. En avril 2020, son CEO, Satya Nadella, déclarait que « l’on vient de voir se dérouler en deux mois deux ans de transformation numérique ». Effectuée au pas de course, la mutation de l’enseignement en Belgique francophone, dont on ne sait si elle sera temporaire ou irréversible, s’est effectuée sur l’accès aisé à des outils. Les choix à long terme dépendront des écoles : veulent-elles des systèmes centralisés et hébergés dans le Nuage, dont le dessein et les coûts sont programmés par des entreprises agissant à l’échelle du monde ? Ou opter pour la décentralisation, les logiciels libres et, donc, l’autonomie mais aussi la nécessité d’aller au-delà du clé sur porte ?
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Contrairement au logiciel propriétaire, un logiciel libre permet d’étudier et d’adapter le fonctionnement d’un programme, de copier et de distribuer ce programme – gratuitement ou pas –, et d’améliorer ce programme au profit de la communauté.
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