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La pilule qui capote

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Nina Cosco. Tous droits réservés.

En Belgique, il y a quasi vingt ans, une pilule contraceptive pour hommes aurait bien pu voir le jour. Mais le projet a échoué, pas forcément pour des raisons médicales. Retour sur un échec qui raconte pourquoi la contraception reste une affaire de femmes…

Saviez-vous que la pilule contraceptive, née en 1957 des mains du biologiste américain Gregory Pincus et du gynécologue John Rock, avait d’abord été testée sur des hommes ? Depuis les années 60, plusieurs prototypes de contraceptif masculin ont aussi été étudiés en laboratoire. Mais aucun n’a atterri sur le marché.

En Belgique, l’étude la plus prometteuse date de 2002. Réalisée à l’initiative de l’entreprise pharmaceutique néerlandaise Organon et de l’allemande Schering (rachetée depuis par le géant Bayer), elle a réuni au Centre de la reproduction humaine de la VUB (Bruxelles) une équipe de recherche dirigée par le professeur Paul Devroey. Le panel constitué devait permettre d’évaluer l’efficacité et la sécurité du contraceptif avant sa mise sur le marché.

Mais en 2007, après cinq ans de recherche et de financement et malgré un taux de réussite supérieur à 90 %, Organon et Bayer Schering abandonnent le projet sans préavis.

Acné et sautes d’humeur

Pourquoi battre en retraite si près du but ? Les essais cliniques s’organisent assez tard dans le processus de développement d’un médicament et leur réussite indique généralement qu’ils sont prêts à atterrir sur le marché. À ce stade, on renonce à la commercialisation en cas d’effets secondaires graves durant les tests. Or selon le compte rendu publié par les chercheurs de 2002, les seuls effets secondaires imputables directement au traitement relevaient plutôt de l’acné, de problèmes de libido ou de sautes d’humeur. Soit des effets secondaires courants de la pilule féminine, qui n’étaient pas considérés comme suffisamment graves par les chercheurs pour arrêter l’essai clinique. Un avis que ne partageaient visiblement pas les deux entreprises pharmaceutiques.

Si les compagnies pharmaceutiques sont aussi attentives aux effets secondaires, c’est parce qu’elles ont peur des procès très mé­diatisés qui peuvent en découler. C’est l’avis de Daniel Murillo, gynécologue et andrologue spécialiste de la fertilité au CHU Saint-Pierre (Bruxelles). Pourtant, selon lui : « Toutes les études faites sur des contraceptifs hormonaux testés sur des hommes montrent qu’à effets secondaires comparables, il n’y a pas plus de cas chez les hommes que chez les femmes. Par contre, les essais se sont arrêtés beaucoup plus précocement quand il s’agissait d’hommes. Et ça, c’est tout simplement parce qu’il y a un biais de genre. »

Bayer Schering semble également plus disposé à prendre des risques lorsqu’il s’agit de moyens de contraception féminins. Depuis 2007, l’entreprise a mis les bouchées doubles sur le développement de pilules et d’implants féminins, retirés du marché après des procès retentissants.

Denise Rennmann, ancienne porte-parole de Bayer Schering Pharma, avait assuré que l’arrêt des essais était motivé par des questionnements quant à la « faisabilité sur le plan médical ». Pour des raisons d’efficacité clinique, l’hormone avait été administrée sous la forme d’un implant et parallèlement à des injections trimestrielles. « Ce n’est pas aussi pratique qu’une femme qui prend une pilule une fois par jour », avait-elle alors déclaré. Pourtant, les deux techniques – injections trimestrielles et implant – existent déjà comme contraceptifs féminins et sont commercialisées par… Bayer Schering. Cette argumentation est également mise en doute par Herman Tournaye, membre de l’équipe de recherche en 2002 et directeur du Centre de la reproduction humaine à Bruxelles : « Le développement du contraceptif masculin avec Schering et Organon a confirmé une suppression efficace de la production de spermatozoïdes. L’implication de l’industrie a été de courte durée en raison de l’évolution des priorités dans les deux sociétés. » Et la priorité pour Bayer Schering et Organon, ce sont les contraceptifs féminins, bien plus rentables et faciles à commercialiser.

Science vs pharma

Le problème n’est donc pas tant scientifique qu’économique et sociétal. Selon le Dr Murillo, l’industrie pharmaceutique n’est tout simplement pas intéressée par le développement d’un contraceptif masculin. « L’étude de 2002 avait très bien marché. Elle est étonnante à cet égard et témoigne de la situation. Lorsque l’on entend chaque année que la pilule pour hommes est pour bientôt, ça fait référence aux recherches menées par les scientifiques qui tentent de démontrer qu’une association d’hormones marche mieux qu’une autre. Et ça s’arrête là. Parce que ça ne peut pas aller plus loin sans l’industrie. »

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Nina Cosco. Tous droits réservés

Même si un laboratoire de recherche devait développer un produit prometteur, il aurait besoin d’une entreprise pharmaceutique pour le commercialiser. Sauf que le soutien financier du Big Pharma aux contraceptifs masculins est fébrile. De nouvelles méthodes fleurissent chaque année en Inde et en Chine, mais aussi dans des universités américaines et européennes. En Belgique, l’étude de 2002 a été la première et la dernière du genre. « Les chercheurs ont cherché et ils ont trouvé. Il est possible de faire un contraceptif hormonal pour hommes. Maintenant il faut développer les pistes explorées », confie le Dr Murillo. Et c’est là que ça bloque.

Idées reçues

On explique souvent la réticence des sociétés pharmaceutiques à investir par l’idée que les hommes ne voudraient jamais porter le fardeau de la charge contraceptive ou que les femmes ne leur feraient pas confiance pour l’assumer. Pourtant, selon une large enquête intitulée « Contraception », menée par la Fédération des centres de planning familial en 2017, 51 % des femmes belges voudraient que leur partenaire prenne une pilule masculine si elle était disponible. Ce à quoi 40 % des hommes répondent qu’ils seraient disposés à le faire. Signe qu’un certain marché existe, selon Pascaline Nuncic, responsable de l’enquête. Herjan Coelingh Bennink, vice-président du programme de médecine de la reproduction d’Organon jusqu’en 2000, avait à l’époque fait part de sa frustration quant à la position des grandes industries pharmaceutiques : « Au niveau du conseil d’administration, il ne s’agissait que d’hommes blancs d’un certain âge. J’ai essayé d’expliquer à quel point un contraceptif masculin pouvait être important, mais ils ne sont jamais allés plus loin que de se dire : “Le feriez-vous ?” “Non, je ne le ferais pas.” Ce n’était pas considéré comme un comportement masculin pour eux que d’assumer la responsabilité de la contraception. » Une déclaration qui fait écho aux constatations du Dr Murillo : « Je pense qu’il ne faut pas oublier qui est à la tête des industries pharmaceutiques. Pour ces hommes-là, la contraception est un problème de femmes. »

Les biais de genre dans le domaine de la santé ne sont ni rares ni anodins. Une étude publiée dans le British Medical Journal en avril 2020 a relevé que l’on avait bien moins d’effets secondaires graves dans les essais cliniques de contraceptifs hormonaux masculins que dans ceux qui ont permis d’autoriser les différentes pilules féminines sur le marché. Signe d’un éveil de la communauté scientifique ?

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