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Sorcière du web

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La Petite Frappe. CC BY-SA.

Depuis 2013, cette blogueuse bruxelloise dénonce les « violences obstétricales ». Portrait d’une militante 2.0, dont le combat, incisif et clivant, reflète l’évolution d’une société où la révolution numérique rebat les cartes du pouvoir, du féminisme et de l’écologie.

« Les filles comme toi, on devrait les égorger. Je suis heureux que ma femme ne tombe pas sur de tels écrits de salope… » La salope, c’est elle. Marie- Hélène Lahaye, 44 ans, juriste bruxelloise, salariée dans l’administration, un enfant et un mec. Ces insultes, c’est son mec qui les a glanées sur internet. Elle, ça lui passe au-dessus, « ça fait partie du jeu ». Mais lui, ça le scie, à chaque fois. Alors il nous balance cet aperçu pour que l’on comprenne bien « la violence que Marie-Hélène suscite », sur les réseaux sociaux. Car sur la Toile, la blogueuse est passée en un temps record de parfaite anonyme à sorcière du web, version « bientôt mûre pour le bûcher », accusée de marabouter les femmes, les médias et les politiques.

Depuis 2013, elle tient un blog corrosif, Marie accouche là, qui dénonce « les maltraitances dont sont victimes les femmes au moment de leur grossesse et de leur accouche­ment ». Déclenchements abusifs – saviez-vous qu’en Belgique, les enfants naissaient moins souvent le week-end ? –, taux de césariennes supérieur aux recommandations de l’Organisation mondiale de la santé, épisiotomies non consenties ou même césariennes à vif : autant de témoignages d’actes non justifiés, voire violents qu’elle collecte, post après post, commentaire après commentaire. La militante libère soudain la parole de femmes sur des violences restées jusque-là taboues. Et qui font aujourd’hui l’objet de réflexions salutaires. Marie-Hélène, elle, les traduit en combat politique. Pour elle, les violences gynéco ne sont pas des cas isolés de médecins maltraitants, mais le produit d’une violence institutionnalisée, énième symptôme d’une société patriarcale, dans laquelle la médecine est érigée au rang de religion, dont le rituel serait un protocole qu’aucune femme ne pourrait contester.

Un « thème » pas vraiment porteur au lancement du blog. Sauf que, quatre ans plus tard, la blogueuse belge est partout en France : France inter, France info, BFM TV, Europe 1, Le Figaro, Rue89, LCI, 20 Minutes, L’Express… Pas un débat sur le sujet sans que « Marie accouche là » ne soit invitée.

Écolo et libertaire

Sur son blog, sa photo de profil présente une « Marie accouche là » les cheveux en bataille, le tout agrémenté d’une petite bio aux accents anars : « Féministe aux points de vue libertaires, émancipateurs et profondément ancrés dans l’écologie politique. » Un portrait qui tranche avec la Marie-Hélène Lahaye qu’on retrouve, un soir d’octobre, compagnon dans le salon et enfant sous le bras, dans l’intérieur sans prétention d’une maison saint-gilloise. Chez elle. La blonde ébouriffée d’internet a muté en blonde aux cheveux lisses, lunettes sages, sourire franc et propos mesurés. Ce soir, c’est soupe au cerfeuil et spag bolo. Marie-Hélène prépare et sert. Antoine, son compagnon, débarrasse et lave. Cet énarque français, qui ne jure que par les taxis Uber et se présente comme le « veilleur techno du couple », a le verbe amoureux, et lui aussi politique : « Marie-Hélène est en train d’écrire une page de l’histoire sociale européenne. » Rien que ça. « Elle réinvente le lobbying à l’ère numérique, où internet joue un rôle clé et renforce la capacité des gens à être acteurs, à faire bouger les lignes, dans une société où l’efficacité des politiques publiques a ses limites. »

En tous cas, le combat de Marie-Hélène est un pur produit du Net. C’est là qu’elle y a construit sa pensée, en réseau, qu’elle a conquis le savoir, le pouvoir, qu’elle a osé, en mode horizontal.

Tout commence en 1996. Une époque révolue, où le Minitel essayait encore de faire croire qu’il était une invention d’avenir. Cet été-là, Marie-Hélène crapahute au Pérou, entre copines. Et ouvre, pour la première fois de sa vie, la porte d’un cybercafé. Elle y découvre le Graal : la boîte mail, le tchat. « Le monde est tout à coup devenu plus grand. » De retour en Belgique, c’est décidé, elle « fait installer internet ». Toutes les nuits, elle discute sur le dinosaure du tchat, ICQ, squatte les forums, se met à coder et quelques kilomètres d’heures de surf plus loin, découvre le forum d’un collectif fé­ministe, les Chiennes de garde : « Le féminisme est devenu ma clé de lecture du monde. »

La jeune femme avait déjà la fibre politique. Mais jusque-là, c’est la critique du consumérisme à outrance, née de son enfance passée en Afrique, qui l’avait poussée à s’engager au parti Écolo dans les années 90. Marie-Hélène se marre de son avis de l’époque : « Chez Écolo, ils avaient mis en place des règles de prise de parole égalitaire. Je me disais : franchement, ils abusent. Pour moi l’égalité, on l’avait. » N’empêche, les graines étaient plantées.

Au fil des ans, Marie-Hélène précise sa réflexion féministe et écologiste, se découvre libertaire (concept proche de l’anarchisme qui place la liberté comme valeur première et conteste toute forme d’autorité institutionnelle) et trace sa route en solo. D’ailleurs, quand on lui demande si elle se sent proche d’un groupe féministe en particulier, elle nous répond sans hésiter : « Non, je crois que je suis trop individualiste pour ça. Ce qui me plaît, c’est cette liberté de pouvoir dire ce que je veux, de n’engager que moi. »

Émancipation

L’horizontalité du Net, la quantité de connaissances à portée de clic, qu’elle emmagasine en parallèle de ses études plus classiques de droit à la VUB, c’est ce qui lui plaît. Avec quelques comparses en ligne, elles avalent des pages et des pages d’ouvrages, se font des fiches de lecture, se les partagent, deviennent incollables sur les études de genre (gender studies). En 2007, nouvelle découverte : Wikipédia. Marie-Hélène devient contributrice de l’encyclopédie collaborative. Elle se fait la main sur la page du film Thelma et Louise. « Bon, ça m’a quand même pris des mois, j’ai vu le film au moins 15 fois, en accéléré, en ralenti. » Mais elle remarque vite que, « quand tu te présentes avec un profil féminin sur Wikipédia, tu te fais critiquer. Il y a beaucoup plus de débats autour de ce que tu écris. Je me suis créé un profil masculin. Directement, j’étais moins contestée ».

Mais c’est en 2012 qu’elle va trouver « son » combat. Dans sa propre expérience… de l’accouchement. Le sien sera une synthèse parfaite de sa façon de réfléchir et de penser la politique, en mode « empowerment », ce mot anglo-saxon à la mode, généralement traduit par « capacitation », qui désigne tout à la fois l’émancipation et l’autonomisation par l’expérience. Jusqu’ici Marie-Hélène n’a jamais trop pensé la chose. Elle imagine accoucher avec péridurale, à l’hosto, « comme tout le monde ». Mais quelques recherches et rencontres plus loin, la voilà qui prend la contre-allée. « Les sages-femmes qui m’ont préparée à l’accouchement m’ont fait prendre conscience que ce n’était pas une maladie, que je pouvais être actrice de mon accouchement, en écoutant mon corps, et que je n’avais pas besoin forcément de médicalisation. En fait, elles ont fait de l’empowerment ! » Marie-Hélène accouche donc à l’hôpital, mais sans péri, avec des sages-femmes. « Un moment d’extase, une sensation extrême. » Et là, sa traduction politique émerge. « À force de recherches, j’ai commencé à pressentir à quel point la médicalisation de l’accouchement et la logique hospitalière avaient été à l’encon­tre de l’écoute des femmes. » Son réflexe : aller voir la page Wiki consacrée aux accouchements : « Il y avait trois lignes sur l’accouchement physiologique (normal) et quin­ze paragraphes sur les complications. » Un signe, pour elle, de la vision hypermédicalisée de l’accouchement, qui pourrait bien avoir quelque chose à voir avec le patriarcat. Marie-Hélène refait donc, pendant six mois, la page Wiki dédiée à l’accouchement, et se construit un premier bagage de connaissances sur le sujet.

Fin 2013, son blog est lancé. Marie-Hélène balance les premiers posts. La recette : un style pamphlétaire, volontairement clivant. « Mon blog n’est pas un espace de conseils pour femmes enceintes. C’est un blog politique. Je ne prétends pas savoir faire une césarienne, mais je prétends pouvoir poser un regard politique sur la façon dont elles sont pratiquées. Et tenter de faire comprendre qu’un sujet lié à l’intimité ne doit pas être enfermé dans la sphère privée, mais qu’il a sa place dans le débat public. » Sous-entendu, Marie accouche là entend bien questionner le fait que le taux de césariennes dépasse la barre des 20 % en Belgique, alors que, pour l’OMS, au-delà des 15 % de césariennes, le lien entre le bien-être et l’acte médical n’est plus validé.

Et dès les premiers mois du blog, les témoignages de femmes débarquent. « Ça dépassait largement ce que j’avais imaginé. J’ai par exemple reçu des témoignages de césariennes à vif, alors que je pensais que c’était impossible ! »

Ce parcours de militance en ligne est une illustration parfaite de l’analyse faite par les sociologues Josiane Jouet, Katharina Niemeyer et Bibia Pavard, dans un article consacré au féminisme en ligne : « Alors que les femmes ont été traditionnellement marginalisées dans l’espace public physique, l’architecture des espaces numériques qui se fonde sur les principes de l’horizontalité des échanges et de nivellement hiérarchique a favorisé leur prise de parole politique en ligne. […] Le numérique a, en ce sens, favorisé l’émancipation (empowerment) des féministes qui ont donné libre cours à leur imagination pour produire des discours innovants. »

Le « point du mari »

Dès le premier mois de son blog, certains des posts de Marie-Hélène sont partagés plus de 1 000 fois. Mais la blogueuse devra attendre la conjonction de plusieurs événements pour que la sauce prenne vraiment. En 2014, des sages-femmes et féministes dénoncent l’existence du « point du mari », un geste qu’on croyait jusque-là inexistant ou marginal, consistant à recoudre une épisiotomie par quelques points supplémentaires dans le but d’augmenter le plaisir sexuel masculin pendant la pénétration, en mode : « Le terrain de jeu, je vous le fais grand comment, Monsieur ? » Quelques mois plus tard, une étudiante française en pharmacie lance le hashtag #Payeton­­uterus. Carton plein : des centaines de femmes twittent une mauvaise expérience avec leur gynéco. 140 caractères, c’est cash, viral, incisif.

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La Petite Frappe. CC BY-SA

Nouvelle salve, en février 2015, lorsqu’un pharmacien tombe sur des carnets de stage pour étudiants en médecine de Lyon Sud, qui révèlent qu’on apprend l’anatomie féminine aux étudiants en leur faisant réaliser des touchers vaginaux sur patientes endormies au bloc opératoire. Le pharmacien twitte. Marie-Hélène retwitte. Ils sont cinq twittos à suivre l’affaire. « On s’est dit : il faut dépasser le stade Twitter et placer la chose sur le terrain politique. J’ai alors l’idée de faire une tribune, qu’on rédigera et signera à trois. » Le texte, qui demande au gouvernement de l’époque de diligenter une enquête, est hébergé par Mediapart et signé par 50 personnalités, de la réalisatrice Ovidie au médecin français Martin Winckler. « L’AFP reprend l’info et en fin de journée la secrétaire d’État au Droit des femmes twitte qu’elle nous soutient ! »

Depuis, le sujet revient régulièrement dans les médias… et au niveau politique français. Marlène Schiappa, la secrétaire d’État française chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes, a annoncé devant le Sénat, en juillet dernier, avoir commandité un rapport sur les violences obstétricales au Haut Conseil à l’Égalité. Marie-Hélène sur son blog, a commenté : « La révolution est en marche. »

Gynéco bashing

Une révolution visiblement à la française, où le sang coule et les têtes doivent tomber. C’est peut-être pour ça, d’ailleurs, que, chez nous, la mayonnaise a moins pris. Quand on demande à Marie-Hélène les raisons du calme relatif sur la question en Belgique, elle tente des hypothèses : la culture du compromis, où le clivage n’intéresse pas, la dilution du politique dans l’enchevêtrement des niveaux de pouvoir, l’absence de relais au niveau flamand. La militante fait aussi partie de la Plateforme pour une naissance respectée. Cette asbl rassemble des citoyens, sages-femmes et féministes, bien décidés à sensibiliser les pouvoirs publics à la nécessité d’offrir plus de transparence et d’information sur les pratiques et un meilleur dialogue entre monde médical et patientes, afin de leur permettre d’avoir voix au chapitre. Mais, pour l’instant, le sujet a du mal à percer.

En attendant, Marie-Hélène squatte le terrain français. Antoine, son compagnon, relit souvent les brouillons de ses billets : « Parfois je lui dis : “Là tu exagères.” Mais elle m’a appris que, dans un combat politique, tu ne dois jamais reculer, tu dois mettre le doigt là où ça fait mal et surtout le laisser. Bien sûr, ce n’est pas un style apaisant. C’est un style qui consiste à mettre en tension une situation, à désigner des coupa­bles. » Et les coupables tout désignés, en l’occurrence, sont les médecins.

Qui, en France, sont parfois les plus grands fossoyeurs de leur propre tombe. « Ce qui m’aide le plus, c’est l’attitude de certains médecins qui disent parfois des énormités, sur lesquelles je n’ai plus qu’à appuyer. » Un seul exemple : lorsque le « point du mari » est dénoncé, voici ce que répond au quotidien Le Monde le président du Syndicat national des gynécologues-obstétriciens de France (Syngof) de l’époque : « La chirurgie est du domaine de l’art, on peut penser que certains médecins ont eu l’idée qu’en modifiant un peu leur façon de suturer, ils amélioreraient un peu la sexualité, et ça, ça ne nous choque pas. » Un exemple parmi d’autres, qui montre à quel point la remise en cause du rapport patient-médecin est en route, mais parfois difficile. Le savoir n’a jamais été aussi accessible et la médecine n’a jamais été aussi performante, les deux créant une modification des rapports. Les patients ne se contentent plus de « patienter », mais veulent comprendre et choisir. Dans ce contexte, Marie-Hélène Lahaye, en parfaite libertaire, estime que le rapport de forces doit être total.

Certains professionnels craignent une diabolisation des médecins et surtout de l’hôpital en général. Le problème, c’est que, pour certains, le combat de Marie-Hélène vire à l’acharnement. Et au gynéco bashing. Le 16 mars dernier, l’Université des femmes – organisation féministe belge – organisait un colloque « Gynécologie et féminisme : cause commune ? ». Marie-Hélène Lahaye partageait la tribune avec deux gynécos, qui font l’unanimité pour leur attention aux bonnes pratiques. Quelques jours plus tard, Marie accouche là rédige un post qui les dézingue. Le titre : « Pourquoi même des soignants respectueux font parfois taire les femmes. » Ce qu’elle dénonce : « Leur mot d’ordre était d’être positifs […]. Malgré les appels de la salle rap-
­­pelant l’étendue des violences pendant l’accouchement et le caractère exceptionnel de ces deux médecins non représentatifs de la profession, ils ont maintenu leur position consistant à ne parler que des expériences encourageantes sur l’air de “Tout très va bien Madame la Marquise”. » Puis, elle enfonce le clou et politise : « Dans un contexte féministe, cette attitude consistant à ne vouloir parler que des bonnes pratiques est problématique dans la mesure où elle nie les violences faites aux femmes. En effet, comment dénoncer les viols en ne donnant que des exemples d’hommes qui respectent en toutes circonstances le consentement des femmes ? Il est malvenu que des gynécologues, si bienveillants soient-ils, tentent de les réduire au silence pour donner une bonne image de la profession. »

Les deux gynécos dont elle parle, on les retrouve un jour d’octobre, au CHU Saint-Pierre. Ce post, ils se le sont pris en plein : « Je devais être à 22/12 de tension quand j’ai lu ça », explique Julie Belhomme. Elle et son collègue, Yannick Manigart, responsables du bloc accouche­ment, n’ont pas attendu Marie-Hélène Lahaye pour encourager les mères à bouger pendant l’accouche­ment, leur permettre de boire et manger, leur parler des techniques non médicamenteuses pour soulager leurs douleurs, éviter les procédures invasives type épisiotomie, induction, etc. Et pour militer, au sein de la profession, pour une évolution des pratiques vers plus de respect des patientes. Dans les w.c. du service obstétrique, une affiche rappelle à tous les soignants ces bonnes pratiques à garder en tête.

« Réactionnaire ! »

Pour eux, ce que décrit Marie-Hélène Lahaye est tout simplement faux. « Personne dans cette table ronde n’a jamais demandé à aucune femme de se taire. D’ailleurs, elle était même invitée et n’a pas été interrompue. Pourquoi devrais-je me taire ? Pourquoi ma parole et mon engagement pour la santé des femmes, celui de toute ma vie, auraient-ils moins de poids que sa parole ? » Mais au-delà de ce parole contre parole, ils voient surtout dans ses écrits et discours un danger sanitaire : éloigner les femmes des hôpitaux, en diabolisant les médecins et surtout l’hôpital en général. Et faire trinquer les plus pauvres : « La pathologie médicale est clairement corrélée à l’origine sociale. En s’éloignant de l’hôpital, ce sont les plus pauvres qu’on fragilise. Nous, nous souhaitons apporter du confort pour tous, et donc à l’hôpital, pour les femmes sans pathologies comme pour celles qui en présentent. »

Cette critique, ils la partagent avec une partie des… féministes ! Dans un texte publié en réponse à ce fameux billet de Marie accouche là, l’Université des femmes, à l’origine de la table ronde qui a mis le feu aux poudres, va même plus loin et qualifie les écrits et discours de Marie-Hélène Lahaye de « réactionnaires » et « manichéens ». L’organisation lui reproche notamment de dévaloriser de façon systématique les techni­ques obstétricales, pour valoriser un « retour à la nature » de l’accouchement, hors hôpital, légitimant un « essentialisme biologisant ». Et précise : « Cet essentialisme biologisant réduit le corps sexué des femmes à la procréation, et invite à penser que les femmes savent “naturellement” comment fonctionne leur corps. […] Si les femmes sont naturellement faites pour mettre des enfants au monde, pourquoi lutterions-nous pour engager des causes communes entre féministes et gynécologues ? » Comprenez : à force de casser du sucre sur l’hôpital et de vanter, par opposition, le corps de la femme qui serait naturellement fait pour accoucher, Marie-Hélène Lahaye serait en train de reconstruire les barreaux de la prison machiste, qui a enfermé les femmes dans leur rôle de maman docile à la maison, parce que ce serait leur essence, leur nature.

Alors bien sûr, Marie accouche là ne dit pas qu’elle souhaite que les femmes fuient les hôpitaux. Mais sur son blog – suivi par 90 000 visiteurs l’an dernier – on trouve : « L’obstétrique véhicule une conception misogyne des parturientes en considérant que les femmes sont par nature dangereuses pour elles-mêmes et leur bébé, et qu’elles sont inaptes à assurer la fonction que leur anatomie a pourtant prévue, à savoir mettre leur enfant au monde. » Son tout premier post, au lancement de son blog, était encore plus cash. Elle y partait de son expérience personnelle et en tirait des conclusions générales : « Mon accouchement naturel a confirmé mon sentiment. Les femmes sont des mammifères capables de mettre au monde leurs enfants seules, dans la sérénité et la bienveillance. La nature a doté les femmes d’un corps fonctionnant à la perfection, apte à procréer, et doté de la faculté et de la puissance nécessaire pour accoucher. »

Mais, parce que rien n’est jamais si simple, elle concluait : « Au slogan des an­nées 1970 “Un enfant si je veux, quand je veux”, il y a urgence à ajouter les mots “comme je veux”. » Sa défense est simple : « Je ne veux pas couper la femme des avancées médicales, au contraire. Mon combat, c’est de dire que la femme doit pouvoir choisir. Être informée pour choisir. Mon curseur est là, et pas ailleurs. » En féministe libertaire, Marie-Hélène Lahaye défend le droit à l’IVG, à la contraception, à la péridurale, mais aussi au « sans péri » et à l’accouchement le plus naturel possible, y compris à domicile.

Retour de bâton

Ce genre de position titille d’ailleurs le courant écologiste depuis pas mal d’années. Notamment via l’écoféminisme ou la deep ecology (écologie profonde), qui critiquent le mode de pensée capitaliste rationalisant, qui a placé la nature et les données biologiques comme des éléments dont il fallait se libérer. Jusqu’à l’excès. De façon prévisible, c’est sur les questions du corps des femmes et des tâches ménagères, qui ont toujours admirablement servi le patriarcat, que le débat fait des étincelles. Parce que le retour de bâton n’est jamais loin, surtout à une époque où les fondamentalismes religieux voient leur cote remonter.

Ce qui n’a pas empêché Marie-Hélène, en digne électron libre connecté, de raconter ça : en janvier 2016, elle publie sur son profil Facebook une photo. On la voit, enceinte de quatre mois, entourée de son mari et de son fils. Sur les réseaux sociaux, elle a décidé de témoigner de son choix : elle vient de l’apprendre, les jumeaux qu’elle attend sont condamnés. La fausse couche est inévitable. Elle aurait pu subir une interruption médicale de grossesse. Mais le couple a décidé, en négociation constante avec l’hôpital, d’essayer d’accoucher de ces deux fœtus chez elle, « de manière naturelle », et en tous cas « d’éviter toute précipitation et de rester hors de l’hôpital » si c’est possible.

Quelques jours plus tard, de nouveau sur Facebook, elle qualifie ce choix de « fécond ». « Malgré une hémorragie lors de la naissance du deuxième tout-petit, les risques pour moi sont toujours demeurés sous contrôle. » L’équipe de l’hôpital, avec qui le couple a sans cesse discuté des rapports bénéfices/risques, a « accepté de nous accompagner chaque jour, pendant quinze jours, sans cautionner notre démarche, mais sans l’interdire non plus. » Un témoignage d’une intensité rare, qui montre à quel point le corps de la femme s’est toujours situé au cœur d’enjeux majeurs. Son témoignage, chacun pourra s’en servir. Les anti-IVG pourraient le retwitter, tout comme certaines féministes ou écolos. Marie-Hélène, elle, y voit un autre tabou à briser : celui de la fausse couche, qui concernerait une grossesse sur quatre et dont personne ne parle jamais.

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La Petite Frappe. CC BY-SA
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