Djeb, djeb, djeb
Enquête (CC BY-NC-ND) : Céline Gautier
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Quand notre Premier ministre Charles Michel prononce son slogan politique préféré, « job, job, job », on entend les oiseaux chanter. Même en anglais, l’accent du Brabant wallon ne meurt jamais. Jusqu’à tuer sa crédibilité ?
La première fois, c’était en octobre 2015. Charles Michel présentait les trois priorités de son gouvernement : « job, job, job ». Depuis qu’il a trouvé sa formule, il la sort à tout bout de champ, dérapant quelques fois dans un drôle de « djeb djeb djeb » qui frise le « tchip tchip tchip ».
Traditionnellement, le Premier ministre belge se doit d’être
« asexué linguistique », ce qui – note pour les non-Belges – signifie qu’il ne roule ni pour les Flamands ni pour les francophones, quelles que soient sa langue maternelle ou ses préférences sexuelles. Il est censé être bilingue et s’adresser à tous. Mais avec ses petites culbutes de prononciation, quand il évoque la réforme « fiskèle », la valeur du « travéye » ou le besoin de « rekenaissance », à qui parle-t-il vraiment ?
Cul de poule
Le Premier, bourlingueur de Jodoigne à Wavre, ne peut cacher qu’il est un pur enfant du Brabant wallon. « C’est l’accent du “Béwé” », s’amuse le linguiste de l’UCL Michel Francard. Dans cette partie de la Belgique, il n’est pas rare qu’on prononce « tarte à l’djote » « tartaldjet ». Le son est projeté « vers l’avant de la bouche », avec un pincement antérieur des lèvres, analyse le professeur. C’est l’accent du personnage de Gonzague (Gonzègue), pastiché par l’humoriste Richard Ruben, et que l’on qualifie volontiers – surtout dans le riche Béwé, d’ailleurs – de « pedzouille ».
« C’est dans les manières de langue – et en particulier les plus inconscientes, les plus inaccessibles en tout cas au contrôle conscient, comme la prononciation – que se conserve et se dénonce le souvenir, parfois renié, des origines », écrivait Pierre Bourdieu dans L’Économie des échanges linguistiques. Le sociologue français relevait lui aussi une prononciation « fine bouche » ou « lèvres pincées » dans les classes sociales dominantes.
N’en déplaise à Bourdieu, Charles Michel ne maintient pas toujours son accent régional. Sur « job, job, job », il fait même parfois du Obama, bouche ouverte et gorge profonde. « Des personnes qui manient bien la langue, observe Michel Francard, arrivent à une accommodation linguistique, c’est-à-dire à un accent moins marqué, plus neutre. » Le Premier ministre de tous les Belges tente, sans doute, de se fondre dans la masse. Quitte à renier son joli petit accent. Allez, dommége, quoi.