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Médocs à remballer

Importations parallèles

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Axel Korban. CC BY-SA.

Deux sociétés belges sont championnes de l’« importation parallèle » de médicaments. L’intérêt direct pour le patient ? Selon les experts, aucun. Huit fois sur dix, ces médocs sont aussi chers que les originaux. Ce business discret coûterait de 10 à 15 millions d’euros annuels à la Sécu. Et en « grattant » plus loin, vous découvrirez l’autre face de la pilule…

Ouvre l’armoire. Saisis ta pharmacie. Prends un médicament au hasard. Ouvre la boîte, sors une plaquette. Retourne-la. Tu vois cette feuille d’aluminium argentée, y a-t-il une deuxième couche collée sur la première ? Oui. Alors, gratte-la délicatement. Avec une pièce de monnaie, avec un petit couteau. Et apparaît alors un autre nom que celui indiqué sur la boîte. Tu croyais acheter du « Diovane » ? Tu as acheté du « Valsartan Sandoz ». Tu croyais acheter un médicament original ? Raté. Tu as acheté une marque générique. Et cela fait (au moins) cinq ans que cela dure.

En juin dernier, Thomas De Rijdt, à la tête du département de pharmacologie de la KULeuven, président de l’Association belge des pharmaciens d’hôpitaux, a fait ce même test. Il a publié sur Twitter des photos de médicaments au blister gratté, découvrant un autre nom que celui du médicament dit « princeps » (l’original). Il interpelle alors l’EMA (l’Agence européenne des médicaments) et la ministre belge de la Santé Maggie De Block. Avec les hashtags #traceability, #FMD (pour Falsified Medicines Directive, NDLR), #patientsafety et cette phrase : « L’impression qu’on a laissé la porte arrière ouverte. Qui explique ? »

Allons-y…

Ces médicaments nous viennent d’Europe. De Tchéquie, Pologne, France, Roumanie, Espagne, Irlande, Slovénie, etc., via deux sociétés belges : PI Pharma et Impexeco. Au nom du libre marché, elles achètent des médicaments à un grossiste intermédiaire dans un pays d’Europe, les réemballent via des sociétés en France, en Irlande, en Belgique et surtout en Roumanie. Ils sont stockés en Irlande et vous les achetez enfin en Belgique. Un vrai tour d’Europe. Afin que le patient belge retrouve ses repères sur les petites boîtes blanches, l’importateur doit reconditionner le médicament dans un emballage familier, le renommer si nécessaire ainsi que traduire la notice dans les trois langues nationales. Tout est légal et réglementé.

Si vous prenez des médicaments pour réduire le cholestérol, pour gérer votre tension, ou soigner une dépression, vous avez peut-être consommé une pilule issue de ce commerce. Pour vendre leurs produits sur notre territoire, les importateurs déposent une demande d’autorisation de mise sur le marché auprès de l’Agence fédérale des médicaments et des produits de santé (AFMPS). En juin 2017, 347 autorisations étaient en cours. Le rythme des demandes d’importation parallèle s’accélère : 24 dossiers en 2010, 178 en 2016.

En dépenses Inami, ce marché représentait 6 millions d’euros en 2004, 36 en 2014 et 45,5 en 2016. C’est peu sur un marché global de quatre milliards d’euros. Mais rien que la vente via les importations parallèles de la molécule « atorvastatine » (de la famille des statines, pour diminuer le taux de cholestérol) concerne chaque année 60 000 patients. Les quantités vendues via ces importateurs sont passées de 0,52 % à 0,96 % du marché belge en un an (de 2014 à 2015, derniers chiffres disponibles).

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Axel Korban. CC BY-SA

Et donc, certaines de ces molécules venues d’ailleurs ont des atomes crochus avec les bals masqués. Devinez, devinez, devinez qui je suis ? En juillet 2012, comme le montre la photo ci-dessous, PI Pharma, une des deux sociétés qui pratiquent l’importation parallèle en Belgique, a donc obtenu l’autorisation d’acheter du Valsartan Sandoz 160 mg pour le réemballer en Diovane Novartis 160 mg. Soit le produit d’une firme générique (Sandoz) pour un médicament original (de Novartis). Opération répétée en octobre 2016 ainsi qu’en février et avril 2017. Selon les données de l’AFMPS de 2010 à 2017, le Femara, le Plavix, la Rilatine, le Viagra, l’Arava, le Solian, l’Actonel, le Stilnoct, l’Exelon ou le Lipitor ont également été autorisés sous marque générique (Sandoz, Zentiva, etc.) ou sous le nom de la molécule active dans un pays européen, pour être revendus comme des « originaux » en Belgique.

Cela dit, pas de quoi mettre les menottes aux fournisseurs. L’échange marque générique/produit original est minoritaire dans les 347 autorisations d’importation parallèle. Et l’Agence fédérale des médicaments et des produits de santé confirme : « La combinaison génériques/originaux est autorisée par la législation européenne. » Mieux (ou pire, c’est selon), « un refus d’une autorisation d’importation parallèle par le simple fait que deux médicaments ne sont pas fabriqués par le même fabricant est contraire à la libre circulation des biens ».

Cette bénédiction européenne n’empêche pas les critiques virulentes du secteur. Mazette ! C’est même pire qu’évoquer le nom du PS en plein congrès de la N-VA : « Un système délirant », « cela ne sert à rien », « personne n’y gagne ».

Unanimité contre eux…

Pourquoi tant de haine ? Plusieurs reproches pleuvent sur l’importation parallèle. Du reconditionnement sauvage. « Pour vendre ces médicaments d’importation parallèle en Belgique, il faut modifier la boîte, la notice et même parfois le nombre de comprimés, commente Pierre Duez, chef de service en chimie thérapeutique et pharmacognosie à l’Université de Mons. Des boîtes de 25 comprimés sont enregistrées à 20 comprimés et les importateurs découpent le blister. Ça, je l’ai vu. Et donc je me dis : acheter la boîte, changer la boîte, changer la notice, découper le blister, remettre le blister, la notice et finalement ils gagnent encore de l’argent sur la vente ? Moi cela me sidère. C’est un système qui est complètement délirant. »

Autre attaque fréquente : en achetant des stocks dans les pays à bas prix, les importateurs provoquent des ruptures de stock. « Un vrai problème de santé publique, selon Matthieu Montalban, professeur à l’Université de Bordeaux. Je suis très hostile aux stratégies des Big Pharmas, mais je suis aussi très hostile au principe de libre circulation des médicaments au niveau européen. L’autoriser entre des marchés différents, avec des prix des remboursements, des accords États-entreprises différents d’un pays à l’autre, c’est absurde. »

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Axel Korban. CC BY-SA

Les importateurs se défendent. Ils insistent sur leur processus de contrôle de qualité, sur la responsabilité de ces « Big Pharmas » – les grands noms du secteur – qui par leurs quotas nationaux provoqueraient les pénuries. Mais rien n’y fait. Dans un milieu aussi divisé que celui de la santé, les médicaments d’importation parallèle réalisent une performance remarquable : faire l’unanimité. Contre eux. De l’avis des Mutualités chrétiennes, « l’importation parallèle n’apporte aucun avantage aux patients ni à l’assurance maladie. De plus, pour le patient et le prestataire de soins, il y a un manque de transparence par rapport au médicament qui est réellement importé ». Sous ces conditions, les Mutualités chrétiennes trouvent cette pratique « inadmissible ».

Alors, voilà, Médor a voulu rencontrer un de ces parias du pharma : la société PI Pharma, protagoniste principal de ce marché en Belgique. Et Médor a rencontré Leon Van Rompay…

54 procès

Mai 2017. Zaventem. Malgré un soleil d’Afrique qui s’est égaré en Flandre, un senior tiré à quatre épingles déboule le pas décidé, chemise blanche fermée sur un nœud papillon, manches boutonnées sur les poignets. Sans esquisser le moindre signe de lassitude, il va mener l’entretien à l’énergie, le regard bleu intense, la réponse à (quasi) tout et la prononciation volontaire, explosant les d et surtout les p (comme dans « PerPlexe »).

Deux bonnes heures d’entretien où, au bout du compte, après avoir bien promené Médor, l’homme conclut la séance par un « je me suis bien amusé ». Cela fait un bout de temps que Leon Van Rompay s’amuse à jongler avec les pilules. En 1999, ce chimiste de formation lance Doc­Pharma, société spécialisée dans les génériques. Trois ans plus tard, son chiffre d’affaires avoisine les 20 millions d’euros avec un bénéfice net de 886 000 euros. En 2005, la société indienne Matrix prend le contrôle de Doc­Pharma, tout en rachetant les parts de Leon pour 47 millions d’euros. Ce qui à l’époque avait déjà dû bien l’amuser.

Son fils Stijn a participé à l’aventure DocPharma. Aujourd’hui, c’est lui qui est à la barre du nouveau business d’importation parallèle (couplé avec le générique). Dans la famille Van Rompay, on crée des entreprises comme d’autres prennent des kilos en trop. Stijn pèse 35 sociétés. Moins tonitruant que le père, plus charmeur. La filiation est claire. Comme le paternel, le fils est intarissable sur le secteur pharmaceutique. Comme son géniteur, il annonce une heure d’entrevue, en allonge deux, se lance dans un exposé du secteur avant même la première question. Stijn Van Rompay a beau assurer que 90 % des sociétés pharmaceutiques jouent le jeu, c’est un autre chiffre, cité par l’« International Business Unit Director » de PI Pharma, Johan Jacobs, qui retient l’attention : « On a eu 54 procès avec l’industrie des médicaments. Et ils ont tous confirmé la logique de libre circulation en faveur de l’importation parallèle. »

Quand Médor a soumis le cas du réemballage Valsartan/Diovane à Novartis, l’entreprise suisse a modérément apprécié le document. « Les produits auxquels il est fait allusion sont des produits d’importation parallèle et le “rebranding” a été réalisé par des entreprises non affiliées à Novartis, explique Belinda Delys, porte-parole du groupe en Belgique. Novartis considère le remplacement de marque de produits génériques par la marque de produits originaux comme constituant une infraction de marque et une pratique commerciale déloyale. Des actions en justice sont actuellement menées contre les importateurs parallèles engagés dans de telles pratiques. » Quelles sont ces « actions » ? Pas de commentaire.

Le patriarche Leon Van Rompay ne s’attend pas à des cadeaux dans le secteur. Il se souvient ainsi d’un vendredi après-midi à l’AFMPS, début 2000. Motif de la convocation : un petit « c » qui devait être grand sur l’emballage d’une boîte contenant du chlorhydrate (HCl au lieu de Hcl). La fonctionnaire fédérale attend alors du patron un geste fort. Un geste aussi grand que le « c » est petit. Et Leon reste de marbre. « Si vous essayez de me faire dire que je retire le produit du marché parce qu’il y a un petit c au lieu d’un grand C, je ne le ferai pas. Et si vous m’invitez encore, Madame, pour ça, j’essaierai toute ma vie de vous remplacer de ce job ! Vous n’en êtes pas digne. » Et le patriarche Van Rompay a quitté la pièce. Carrément. Et réemballer une marque générique en original, c’est « digne » ?

Tanguy Schmitz, ex-patron de la société mouscronnoise Impexeco (la deuxième société belge dans l’importation parallèle), confirme ce tour de passe-passe pharmaceutique : « Impexeco n’a jamais fait de telles choses, mais il est vrai que, parfois, des médicaments se retrouvent sous un même emballage avec des excipients différents. »

Leon Van Rompay, lui, reconnaît la pratique et s’en défend : cette concurrence permet de faire pression sur le prix du médicament original, l’entreprise devant alors abaisser son prix pour récupérer les parts de marché captées par PI Pharma. Encore un peu, l’action des importateurs serait philanthropique. Joris Van Assche, de Febelgen (fédération des génériques), n’en est pas convaincu : « La logique qui sous-tend le modèle (des importateurs parallèles, NDLR) est la concurrence sur le marché mais, si je peux me permettre, ils n’ajoutent à ma connaissance rien à cette concurrence. L’importateur parallèle agit de façon très ponctuelle sur le marché. »

Dans cette histoire de génériques vendus pour des originaux, les Big Pharmas réinventent l’histoire de l’arroseur arrosé : l’entreprise Sandoz (et son Valsartan qui apparaît au grattage) est en effet la société productrice de génériques de… Novartis. Le cas n’est pas isolé. Les géants du marché ont organisé leur propre concurrence de génériques, et il y a de fortes chances que leurs médicaments originaux et génériques de même gamme soient des produits totalement identiques (même si Novartis, Sanofi et Pfizer pour le Viagra ne l’ont pas confirmé à Médor malgré nos demandes). Ce que feraient les importateurs parallèles, c’est « simplement » emballer les uns dans les autres. À l’insu du consommateur, voilà presque une ode au générique, la preuve ultime de leur équivalence, de leur efficacité et l’invitation à les acheter en masse.

Si Novartis est très fâché, le citoyen a-t-il, lui, des raisons de l’être encore plus ? Analysons ce courroux potentiel sous le triple angle de la santé, de la transparence/ confiance et du prix…

La santé d’abord

La santé, d’abord. Pas de souci de ce côté-là. Stéphanie Pochet, pharmacienne à la faculté de pharmacie de l’ULB, confirme. « On a montré dans des études de pharmacocinétique que le médicament passait dans le sang de la même manière, c.-à-d. avec la même quantité de principe actif à la même vitesse. On accepte une variabilité qu’on va retrouver chez une personne si elle prend le même médicament un jour puis le lendemain. Pour des médicaments dans le domaine cardiovasculaire, comme les statines ou le sartan que vous citez, une méta-analyse a été réalisée en 2016 (sur la base d’un grand nombre d’études) qui jugeait l’efficacité des traitements ou l’apparition d’effets indésirables. Et elle a renforcé les preuves de l’équivalence clinique entre génériques et médicaments originaux. Les médecins peuvent être rassurés quant à la prescription des médicaments génériques dans les maladies cardiovasculaires. »

Bémolons tout de même ce propos rassurant par un risque, aujourd’hui théorique, incarné par les médicaments dits « à marge thérapeutique étroite ». Soit des médicaments pour lesquels les concentrations thérapeutiques maximales dans le sang sont proches des niveaux toxiques. En gros, la dose curative est très proche de celle de l’intoxication. Par précaution, pour ces médicaments, comme les antiépileptiques, les anticoagulants, les antiarythmiques, les hormones thyroïdiennes, le médecin veillera à ne pas changer de traitement, maintenant soit le générique, soit l’original. Mais la loi autorisant le remplacement d’un original par un générique avec les importations parallèles, comment s’assurer qu’une de ces substitutions ne concerne jamais ces médicaments à marge thérapeutique étroite ?

« Je n’ai pas de soucis avec la substitution mais je trouve que le patient doit être informé. Et dans ce cas-ci, la substitution se fait de manière cachée. »

Une autre inquiétude est relayée par le professeur Thomas De Rijdt (KUL). Les excipients (des composants d’un médicament mais sans effet thérapeutique) des médocs substitués ne doivent pas forcément être les mêmes selon la législation européenne. « Si votre patient ne sait pas quelle marque il prend, le risque existe qu’il soit allergique à l’un des excipients. » Même si on parle de quantité minime, « des réactions peuvent avoir lieu avec de petites doses », souligne Sophie Pochet (ULB).

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Axel Korban. CC BY-SA

Dans la gestion de ces risques, c’est lé­galement à la « Commission pour les médicaments à usage humain », au sein de l’AFMPS d’identifier au cas par cas un danger pour la santé publique et d’émettre un avis défavorable. « Mais ces décisions sont, le plus souvent, déléguées à l’Agence européenne des médicaments (EMA) », explique Yves Horsmans (UCL), vice-président de la Commission (qui confirme le risque sanitaire des substitutions), « car les entreprises pharmaceutiques visent les marchés européens et valident leurs médicaments à l’EMA ».

La transparence

Deuxième enjeu : la transparence/confiance. « Le patient a le droit de savoir ce qu’il prend, assure Caroline Lebbe, coordinatrice de la cellule médicaments au sein des Mutualités chrétiennes. Pour moi, je n’ai pas de soucis avec la substitution mais je trouve que le patient doit être informé. Et, dans ce cas-ci, la substitution se fait de façon cachée. Ni le patient, ni le pharmacien, ni le médecin ne sont au courant. Ce n’est pas correct. Parfois on coupe, on colle, et je trouve cela choquant, les patients perdent confiance dans les médicaments, les prestataires de soins. Ils se posent des questions. Or la confiance est essentielle… » Fabienne Bryskère, administratrice déléguée chez Multipharma (un réseau de 250 officines anciennement liées aux Mutualités socialistes), abonde dans le même sens. « Si la boîte n’est pas exactement la même, cela peut poser problème pour des patients âgés par exemple. Surtout s’ils sont “polymédiqués”. On parle simplement d’une boîte de 90 gélules plutôt que 88, mais nous ne voulons pas perturber nos patients. Si nous achetons via l’importation parallèle, ce qui est peu fréquent, nous voulons exactement le même produit dans le même emballage. »

« Discutez avec un pharmacien et vous verrez bien si, lui, il est au courant de cette substitution », ajoute Caroline Lebbe (Mutualités chrétiennes). Médor a donc fait le test et a rendu visite à une pharmacienne en Wallonie. Soit un échantillon de toute évidence non exhaustif des 5 000 officines en Belgique. « Oui, je vends du Diovane PI Pharma et… ah oui, en dessous, c’est du Valsartan ! Comment peuvent-ils ? C’est tromper le patient et le pharmacien ! » Elle n’était donc pas informée. L’étonnement est d’autant plus grand que les prix des deux produits ne sont pas identiques. Pour 98 comprimés, le Valsartan est à 25,67 euros, le Diovane Novartis à 29,89 euros pour un même produit. La différence d’un peu plus de 4 euros est supportée par le patient (1 euro) et par l’Inami (3 euros). Dans d’autres cas, le médicament importé est vendu moins cher que l’original, mais plus cher qu’un générique dans la même molécule.

Le prix

Et c’est donc là qu’arrive le problème du prix. Sans le savoir, le patient achète au prix fort (et l’État rembourse) des originaux importés qui s’avèrent être des génériques… Impossible de connaître le coût total de ces substitutions pour la collectivité. Les quantités de stocks vendues ne sont pas révélées et les prix peuvent varier de mois en mois. Elles ne concernent qu’une minorité de médicaments dans un secteur qui lui-même représente un pour cent de la vente de médicaments. Peu de médicaments sont concernés. Mais, dans le secteur de santé, sous pression financière, chaque million économisé est le bienvenu.

Mais il y a un deuxième problème lié au prix. Non seulement on achète trop cher des originaux qui sont des génériques (on l’a vu), mais même quand on achète de l’original pour de l’original (et du générique pour du générique), on payerait encore trop cher ces médicaments d’importation parallèle (on va le voir).

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C’est en tout cas la version du SPF Économie, définitivement en pétard avec les importateurs parallèles. Cette administration fédérale fixe le prix du médoc payé en pharmacie en fonction d’informations liées aux coûts de production. Et là, l’État a la désagréable impression de se faire flouer. « Les importateurs parallèles imputent facilement 20 à 25 % de frais fictifs. Ils inventent des coûts qu’ils n’ont pas, et c’est le problème, on ne parvient pas à avoir de la transparence sur leur comptabilité », explique Françoise Marlier, conseillère à la DG Régulation et Organisation du marché au SPF Économie. La mécanique en vigueur ? Les entreprises importatrices déposent un dossier et justifient, selon une structure de coût prédéfinie, chaque dépense liée au médicament (achat du médicament, transport, remballage, pharmacovigilance, frais administratifs, transport, stockage, etc.). Et le hasard faisant bien les choses, alors que les prix des médicaments en Europe peuvent varier du simple au triple, le prix des médicaments importés s’avère très souvent… exactement le même que le prix des médicaments de référence. Au centime près ! Hasard à répétition miraculeuse ou foutage de gueule organisé ? Médor a comparé les centaines de prix pratiqués par les importateurs parallèles sur le marché belge. Résultat ? Sur la base exhaustive de tous les médicaments comparables (même nom et même conditionnement, soit 331 médicaments à la date de juin 2017), les prix d’importation parallèle s’alignent dans deux cas sur trois (68 %) sur le médicament « princeps ». Pour le tiers restant, 45 médicaments importés sur 106 sont plus chers que l’original. Donc, dans plus de 80 % des cas, l’importation parallèle vend soit à prix identique, soit à un prix supérieur. Drôle de concurrence, censée tirer la note du client vers le bas.

Le yéti des pharmas

Et fameux bouillon pour les caisses de l’État. Car, dans la foulée, les importateurs obtiennent aussi un remboursement de l’Inami équivalent à celui des concurrents. « La base de remboursement du médicament d’importation parallèle ne peut pas être supérieure au médicament de référence, explique Vinciane Knappenberg, coordinatrice « procédures » à l’Inami. Dans la majorité des cas, cette base est identique. » Quel impact pour la Sécu ? Comme l’exprime de manière fleurie Anne Hendrickx, de Solidaris (Mutualités socialistes), « ils se font complètement entuber aux Affaires économi­ques. Si ces médicaments ont 30 % de surmarge, il y a pas loin de 15 millions d’éco­nomie qui pourraient être réalisés ». Par an. Bientôt, l’administration devrait avoir la possibilité de demander des pièces comptables. Mais cela ne rassure qu’à moitié l’experte. « Pour voir clair, il faudrait disposer de toutes les pièces comptables de l’ensemble des produits, sur l’ensemble des pays concernés. » Peu réaliste… Incontrôlables ces importateurs parallèles ? Leon Van Rompay renvoie la balle au centre, sous-entendant que c’est tout le secteur qui prend des libertés avec les structures de coût. « Je constate que le SPF Économie n’accepte pas sur papier un bénéfice au-delà de 10 % pour un médicament, et pas plus de 5 % pour une importation parallèle, mais l’industrie pharmaceutique fait entre 10 et 20 % de marge. Comment font-ils ? » Autant le dire : la transparence des coûts, c’est le Yéti des pharmas. On joue à se faire peur, mais personne n’y croit vraiment.

En 2015, un groupe de travail consacré à cette « transparence du prix des médicaments » a pourtant été mis sur pied. Objectif : ouvrir cette boîte désespérément noire qui contient les coûts réels de production d’un médicament. Et ce pour tout le secteur (ce n’est pas une mesure ciblée sur les importations parallèles). Deux ans plus tard, le groupe discute toujours. La perspective d’une décision est-elle aussi bouchée que les artères d’un fumeur de Gauloises sans filtre ? Réponse ce mois de septembre 2017, date à laquelle une dernière réunion est appelée à faire le point et conclure. Pour le reste des enjeux autour de l’importation parallèle et malgré nos demandes de rencontre, la ministre De Block a dû nous confondre avec un médicament d’importation parallèle et nous a remballés. Tout au plus avons-nous reçu une réponse succincte relative à ce groupe de travail « transparence »  : « Le SPF Économie a demandé à l’industrie de faire des propositions pour savoir comment donner plus de transparence sur la structure de prix. Ces propositions seront ensuite discutées au sein du groupe de travail. » On a connu madame De Block plus tranchante et rapide dans sa prise de décision… Cependant, si la ministre libérale cherche à réduire un peu plus le prix de médicaments hors brevets, l’importation parallèle pourrait lui servir d’aiguillon. « Plus vous voyez de l’importation parallèle dans un secteur, plus vous pouvez estimer que le prix est encore trop haut en Belgique », avance Caroline Lebbe. Or, sur l’ensemble des médicaments d’importation parallèle, 105 concernent le système cardiovasculaire (dont 25 hypolipémiants qui visent à combattre le cholestérol), 93 le système nerveux (dont 28 antidépresseurs) et 37 le système gastro-intestinal.

En Belgique, ces types de médicaments coûtent 483,5 millions d’euros en dépenses nettes à l’Inami. Il y aurait donc encore des économies à faire dans ce secteur. Comment ? « Le vrai problème est l’impossibilité pour le pharmacien de substituer un médicament de référence prescrit, avance Fabienne Bryskère, administratrice déléguée chez Multipharma. Sans cette possibilité, le prix des médicaments ne baissera jamais. Un pharmacien ne peut pas proposer un géné­rique, donc au même effet thérapeutique, mais au tiers du prix. » Cette révolution copernicienne du système n’est pas prévue par la ministre De Block. Joris Van Assche (Febelgen, Fédération des génériques), s’il ne partage pas la solution de Fabienne Bryskère, partage le constat : « Nous, on essaie de faire valoir un prix inférieur mais le patient et le médecin ne s’en rendent pas compte. Et surtout pour les médicaments de type A, remboursés à 100 %, où personne ne constatera la différence de prix. »

L’Intérêt de qui ?

La diminution du prix des médicaments ne découlera pas d’une concurrence féroce en­tre Impexeco et PI Pharma. Les deux importateurs ont créé en mars 2017 l’asbl « Belgian Association of Parallel Importers » pour promouvoir le secteur et mener un « lobbying politique et économique pour le secteur ». Ces deux sociétés n’auront aucune difficulté à se réunir car, depuis 2013, année où Tanguy Schmitz, fondateur d’Impexeco, a donné les clés de sa boîte au concurrent, elles appartiennent au… même groupe et sont dirigées par les mêmes personnes. Pour la concurrence entre les deux acteurs, on repassera. Tout bénéfice pour PI Pharma ? Pour un chiffre d’affaires de 60 millions par an, Stijn Van Rompay évoque un faible retour sur investissement. « Actuellement, 5 à 10 % de notre gamme est vendue à perte. » Et pour le reste, « nos marges nettes en Belgique varient entre 2 % et 20 %, avec une moyenne de 5 à 10 %, grâce à un réemballage le moins cher possible tout en garantissant la qualité d’un grand éventail de produits. » L’homme d’affaires évoque aussi des marges plus gran­des remises aux pharmacies, ce qui ferait de l’importation parallèle une pratique appréciée par la plupart d’entre elles. Ce n’est pas l’avis des interlocuteurs rencontrés lors de cette enquête. Dans un secteur « santé » crucial et sous pression, payer des médicaments trop cher, au prix de l’original pour avoir parfois du générique, le tout au nom d’un principe de concurrence malmené, l’intérêt ne leur saute pas aux yeux. Du moins l’intérêt du patient…

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