Métal hurlant
Enquête (CC BY-NC-ND) : Boris Krywicki
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La Flandre recèle un vivier impressionnant de groupes de metal, dont plusieurs cartonnent à l’étranger… Mais dont on entend rarement parler. Médor s’est jeté dans la fosse.
Attends, ne confonds pas brutal death et goregrind, ça n’a rien à voir ! » Les fans ne rigolent pas avec les appellations du metal. Il existe depuis la fin des années 1960 et se subdivise en de nombreux genres. « Dans notre pays, c’est surtout le hardcore qui est représenté, avec des groupes comme Nasty ou Arkangel », jauge Germain, musicien dans le groupe Brutal Sphincter, qui tourne à l’international. Depuis le Portugal, Pedro, fin connaisseur, confirme cette tendance : « Le mouvement H8000, qui provient de Flandre occidentale, est connu à l’étranger pour avoir posé les jalons de ce sous-genre. Des groupes belges comme Length of Time ou Crawlspace ont été les premiers à allier les rythmes de la musique hardcore à la calibration du metal. »
Malgré ce succès, le metal peine à conquérir nos terres. « Ça reste très underground et je ne suis pas un centre culturel… » Francis Geron, gérant de la salle Spirit of 66 à Verviers, grommelle. « Ce n’est pas vendeur. Quand on tient une salle privée, il faut de grands noms, capables d’attirer 200 personnes au minimum. » Ce briscard de la musique en Wallonie laisse le metal aux maisons des jeunes et… à la Flandre, où le genre attire davantage les foules.
Cyril Wilfart, animateur chevelu de l’émission Classic 21 Metal, rappelle qu’« on y trouve le Graspop (à Dessel, en province d’Anvers, NDLR), un énorme festival du genre », tandis que Germain constate que les infrastructures adéquates y sont bien plus nombreuses. « En Flandre, l’offre est impressionnante et la demande suit : on compte une dizaine de concerts metal chaque week-end », décrit Guy D’haeseleer, tourneur flamand de l’agence TRF Booking, spécialisée dans le genre.
Politique culturelle
« On peut expliquer cette dominance septentrionale du metal par plusieurs facteurs, expose Christophe Pirenne, musicologue à l’Université de Liège. La démographie, bien sûr, mais aussi la politique culturelle de la Fédération Wallonie-Bruxelles : le Conseil des Musiques non classiques aide certains projets indé, pop ou rap, mais semble faire peu de cas du metal. » Les « métalleux », comme on les appelle, ont d’ailleurs sollicité cet organisme il y a quelques années pour « se plaindre de l’ostracisme institutionnel dont ils étaient l’objet », narre Christophe Pirenne.
Il semble qu’aucun groupe de metal belge ne vive de son art, malgré la forte demande flamande et une reconnaissance notable à l’international (tournées européennes, surtout en Allemagne, groupes étrangers qui embarquent volontiers nos compatriotes pour assurer leur première partie…). À l’exception, peut-être, de Channel Zero, formé il y a plus de 25 ans et toujours actif, dont les guitares saturées écorchent de plaisir des oreilles du monde entier. « Et encore !, nuance un musicien du milieu, leur batteur comptait surtout sur son magasin de piercings pour payer ses factures. »
Le manque de soutien des spectateurs wallons s’explique par une difficulté à identifier les groupes provenant du royaume, et donc à enclencher le moteur du chauvinisme. « Le public français semble bien plus attaché aux groupes de son pays, poursuit Cyril Wilfart. En Belgique, nos formations metal sont moins mises en évidence et, souvent, on va passer à côté de leur richesse. » Antoine, fan de metal, se rend souvent compte par hasard que des artistes qu’il affectionne sont belges. « Par exemple, Aktarum, j’en revenais pas de les entendre parler français entre eux ! » Thomas, chanteur et claviériste d’Aktarum, s’en amuse : « Il arrive parfois que le public nous salue en anglais, alors qu’on vient de Louvain-la-Neuve. » De nombreux groupes doivent convaincre les amateurs étrangers pour acquérir du prestige et être ensuite redécouverts par le public belge.
Troll metal
Aktarum a d’ailleurs inventé un nouveau sous-genre pour se démarquer de la masse : le troll metal. Thomas confesse : « En vrai, on joue du folk metal, mais on a choisi de relier ce style de musique typique des pays scandinaves à un univers médiéval-fantastique pour se forger une identité particulière. » Cette spécificité offre à Aktarum les scènes françaises et allemandes sur un plateau, tandis que le public wallon reste frileux, sauf quelques beaux nids à métalleux comme le Durbuy Rock Festival. « L’événement attire de plus en plus de bénévoles », témoigne Audrey Zimmer, responsable de leur organisation, comme pour démontrer que, si la Wallonie compte peu de passionnés, ceux que l’on rencontre sont toujours animés d’une motivation indéfectible. Et ’y a des filles ? « De plus en plus, on frôle le 50-50 », estime un festivalier.
Mais, en termes de fréquentation, on parle de 7 000 visiteurs cette année, contre 90 000 au festival électro-rock Les Ardentes, à Liège, en 2016, par exemple. « Les publics du metal belge forment, dans l’immense majorité des cas, des micro-milieux où les fans sont souvent des musiciens ou des proches de ceux qui sont sur scène », analyse Christophe Pirenne. « Dès ses fondamentaux, le genre ne cherchait pas à rallier une audience populaire », complète Cyril Wilfart. « Même si beaucoup de groupes belges ont un succès d’estime à l’étranger, dans ce monde qui reste de niche, il faut un coup de chance ou un album qui perce pour espérer accéder au stade professionnel. » Aktarum a beau sillonner les scènes européennes depuis 10 ans, ils éditent encore eux-mêmes leurs disques, « en attendant une proposition satisfaisante d’un label ».