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Et pourtant, ils bandent

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Carl Roosens. CC BY.

Pour baiser sans crainte de surpeupler la planète, les hommes ont une solution radicale : la vasectomie. 8 700 Belges ont choisi cette contraception définitive l’an dernier. C’est plus qu’il y a dix ans, mais loin des 20 % de Britanniques.

Depuis sa « vasecto », ses po­tes l’appellent « Chaton ». Mais Roland rassure tout de suite ceux qui seraient inquiets : ça ne l’a pas fait débander. « Quand j’en parle, direct on me demande si ça a des effets sur la sexualité. Pourtant ça n’en a aucun. Pour résumer, disons que ça fait 20 fois moins mal qu’un coup de pied dans les couil­les. Point barre. » Roland a la quarantaine entamée, deux enfants au compteur, et la certitude de ne pas vouloir remettre le couvert. Tout comme sa compagne, qui au rayon pilule a déjà bien donné, des poussées d’acné aux migraines carabinées. Alors il y a quelques années, Roland s’est lancé : « J’ai dit à Martha : c’est peut-être à mon tour de m’occuper de tout ça ? »

Et pour Roland, tout « ça » pouvait se régler d’un coup de bistouri. Il y a 40 ans, son père aussi était passé sur le billard. « Je m’en souviens très bien, il avait passé une semaine sur un hamac les couilles à l’air. »

En 2016, l’INAMI a enregistré 8 780 vasectomies en Belgique, contre 7 334 en 2010. Un chiffre en légère augmentation, mais pas de quoi révolutionner une conception de la contraception quasi exclusivement féminine depuis le boom de la pilule dans les années 1960.

Aujourd’hui, dans le monde, 18 % des femmes ont recours à la stérilisation, contre 3 à 5 % des hom­mes. D’ailleurs, Martha, la compagne de Roland, « n’aurait jamais envisagé » la vasectomie. « J’avais pensé à tout, même à la ligature des trompes, mais pas à ça. C’est la femme qui passe son temps chez le gynéco, qui accouche, alors on se dit que la contraception est une affaire de femmes. »

Pourtant, la vasectomie est une intervention bien maîtrisée, bien moins invasive que la ligature des trompes, dont les risques de complication restent importants. Elle consiste à sectionner – sous anesthésie locale – les canaux déférents qui transportent les spermatozoïdes. Une micro-incision au niveau des testicules, invisible à l’œil nu, ou alors après avoir sorti la grosse loupe. Même pas besoin de dormir à l’hosto.

Ça libère

Thierry Roumeguère, chef du service Urologie au CHU Érasme (ULB), détaille le profil des candidats : « On observe une évolution du rôle que souhaitent jouer les hommes dans la contraception. Ceux que je rencontre veulent être davantage proactifs, avec l’idée que tout ne doit pas être assumé par leur compagne, surtout quand la pilule est mal supportée. » Ou que les contraceptifs hormonaux suscitent des craintes. La plupart de ses patients ont entre 45 et 55 ans, et il voit pas mal de cou­ples remariés, qui ont chacun déjà des enfants.

Mais pour le médecin, il ne faut pas se leurrer, ceux qui viennent le voir « sont des personnes qui ont accès à l’information, qui viennent d’un milieu socioculturel favorisé ». On est loin de l’époque où la vasectomie était cantonnée aux pratiques eugénistes ou de contrôle forcé de la natalité. D’ailleurs, pour certains hommes, la vasecto est vécue comme une vraie reprise de pouvoir sur la contraception. C’est le cas d’Eric, 50 ans : « En étant vasectomisé, j’étais sûr de ne pas essaimer ailleurs que dans mon foyer ! Je le dis d’ailleurs régulièrement aux femmes que je rencontre pour une aventure : je ne suis pas dangereux ! Ça libère… » Mais certaines femmes disent que leur désir s’effondre face à un homme « stérile » – oui oui, on en a rencontré. Tant mieux, répond Eric. « Si elles pensent ce genre de trucs, ça m’arrange. Ça fait déjà un premier tri ! »

Une vision à la libido joyeuse, aux antipodes d’une autre, qui a la « dent » dure : celle qui considère, même inconsciemment, que la virilité passe toujours par la fertilité. Et qui s’accompagne même d’une cartographie édifiante, que rappelle Thierry Roumeguère : « En Europe, plus on descend sur la carte, moins on pratique la vasectomie. » Comprenez : un Britannique envisage sans trop de problème un coup de bistouri (20 %), alors qu’un Italien aura plutôt tendance à le voir comme un coupage de couilles. On notera au passage que, d’après l’urologue, l’augmentation du nombre de vasectomies en Flandre est légèrement supérieure à celle de la partie francophone du pays.

Avec son témoignage de chaton épanoui, Roland pensait « faire des émules ». Il a eu tort. Pourtant, les urologues sont formels : la vasectomie ne peut entraîner l’impuissance ni altérer les orgasmes. Christian, médecin, père « satisfait » de quatre enfants et vasectomisé, confirme : « Oui mon éjaculat a diminué au départ. Ça a modifié les sensations, mais tout est rentré dans l’ordre. » Petite précision anatomique, qui vous permettra de briller en société : ce n’est pas l’éjaculat qui provoque l’orgasme, mais la contraction du périnée lors de l’éjaculation.

Alors, pourquoi pas plus de convertis à la vasectomie ? La faute au caractère irréversible – même s’il est possible de « reconnecter » les canaux dans certains cas, sans garantie. À la Fédération laïque des centres de planning familial, on nous le dit clairement : « Non, la vasectomie n’est jamais abordée dans des campagnes d’information de grande échelle. » Dans les fascicules sur la contraception, en bout de course, elle est parfois mentionnée, mais c’est tout. Les campagnes de contraception ne sont déjà pas systématiques, alors la vasectomie passe forcément au second plan. C’est plutôt dans les cabinets médicaux que le médecin en parle, quand ses patients évo­quent la ligature des trompes.

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Carl Roosens. CC BY

Sperme au frais

Dans les cabinets d’urologie, le côté définitif de la chose est aussi au cœur des consultations. « Il n’y a pas de règle pour accepter ou non une demande de vasectomie, mais on s’assure toujours, via des entretiens, que ce choix est mûrement réfléchi », explique Thierry Roumeguère, qui évite généralement de la pratiquer sur des hommes de moins de 35 ans qui n’ont pas d’enfants. Et qui rappelle qu’à chaque vasectomie, on conseille au patient de conserver des paillettes de sperme au frais, au cas où. Thierry Roumeguère a déjà pratiqué une vasectomie sur un homme jeune, à qui il avait conseillé d’attendre. « Il est revenu quelques années plus tard, car il avait changé d’avis. » Alors, pour l’urologue, qui observe aussi les recompositions familiales de plus en plus nombreuses, « chaque praticien doit le faire comme il le sent, au cas par cas ».

Un cas de conscience que ne comprend pas Christoph, 31 ans, qui sait depuis ses 15 ans qu’il ne souhaite pas être père. Quand il a parlé « vasectomie » à deux urologues de son entourage, on lui a répondu qu’à son âge et sans enfant, c’était peine perdue.

« C’est mon corps, mon choix, et on ne le respecte pas, comme si ma décision était moins adulte, moins valable que celle d’un homme de 35 ans qui aurait déjà deux enfants. Alors que si on pousse la logique, pourquoi lui ne le regretterait-il pas plus que moi, qui ne veut pas d’enfant du tout ? » En attendant, Christoph peut toujours tester le caleçon chauffant. Si si, ça existe et ça fonctionne. À condition de le porter au moins huit heures par jour, pendant deux à trois mois. Et de passer outre à une suspicion du côté du cancer des testicules. Christoph n’a pas été convaincu par l’argumentation. Chez Médor, on le comprend.

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