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Tout ça ne nous rendra pas le pôle Sud

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Mathieu Lecouturier & Roberta Miss. CC BY-NC.

La station Princesse-Élisabeth, joyau belge en Antarctique, a été construite dans un élan de romantisme béat. Le privé et l’État ont porté le projet ensemble. Mais depuis l’ouverture de la station en 2009, ils passent leur temps à se tirer dans les pattes. Dix-sept plaintes ont été déposées en justice, occasionnant plus d’un demi-million de frais pour l’État. Sans accord négocié cette année, la station pourrait rapidement être ensevelie sous la neige.

Le 23 février 2016. Un homme de loi, assermenté, affronte une tempête de neige. L’huissier, mandaté par l’aventurier des pôles Alain Hubert, rejoint la station polaire Princesse-Élisabeth. Le vent glacial ne le détourne pas de sa tâche : réaliser un inventaire des avoirs de la base. Mais, à l’intérieur, les militaires belges ont barricadé les armoires. Mission impossible pour l’huissier, il faut rentrer au pays. L’été s’achève sur le continent austral. Les rares visiteurs qui s’aventurent aussi tardivement n’ont pas la certitude de trouver un avion pour le retour. Il y a plus d’un siècle, les Belges ont été les premiers à réaliser l’exploit d’un hivernage en Antarctique. Tentant de repousser plus au sud les limites de la connaissance humaine, l’équipage de la Belgica, dirigé par le commandant Adrien de Gerlache de Gomery, était resté bloqué 375 jours dans les glaces en 1898. Encore un peu et la Belgique devenait aujourd’hui le premier pays assez givré pour y faire hiverner un huissier !

Dix-sept plaintes alimentent une saga judiciaire qui se joue autour de la station polaire belge. Elke Sleurs, la secrétaire d’État (N-VA) à la Politique scientifique (qui a démissionné le jour de notre bouclage), a déjà dépensé un demi-million d’euros en frais d’avocats, l’équivalent du salaire de 10 chercheurs pendant un an. L’avenir de la station est-il compromis ? La recherche scientifique belge y est au point mort, les tensions entre Alain Hubert et l’État belge ont atteint un sommet difficilement franchissable, même par les plus grands aventuriers.

Sur le terrain, l’état de la base se détériore. Ancrée sur un éperon rocheux, la soucoupe argentée continue à briller. Mais Alain Hubert accuse l’État de ne pas avoir déneigé lors de la saison dernière. Une poutre du garage s’est effondrée. L’administration de la Politique scientifique (Belspo) pointe, elle, la gestion d’Alain Hubert. L’aventurier aurait laissé 27 conteneurs de déchets accumulés au fil des années, dont le coup de rapatriement s’élève à 500 000 euros. Mais surtout, il est accusé de ne pas avoir réalisé les investissements technologiques nécessaires au bon fonctionnement de cette plateforme high-tech : le système informatique de la station tourne sur Windows XP, les logiciels ne sont plus à jour, le prototype de bioréacteur pour traiter les eaux usées a été abandonné…

Retour en Antarctique

Au départ, pourtant, le projet est né dans un bel élan de romantisme environnemental. En 2004, Alain Hubert convainc le ministre des Affaires étrangères Louis Michel (MR) de construire une station polaire zéro émission en Antarctique. La quatrième année polaire internationale se profile et la Belgique n’a pas de projet propre à présenter. La construction de la station, portée et cofinancée par le privé, constitue une opportunité pour renouer avec une tradition de recherche polaire australe dont la Belgique fut pionnière.

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Au temps où la télévision n’avait pas encore envahi tous les foyers, il était courant de passer ses soirées en écoutant des disques. Certains de ceux-ci relataient les aventures de nos scientifiques aventureux. Ils étaient parfois accompagnés de diapositives pour joindre l’image au son.
Collection privée. Tous droits réservés

À la fin du XIXe siècle, l’Antarctique attirait de nombreux chasseurs de phoques et aventuriers empressés de planter le drapeau de leur nation au plus près du pôle. De 1897 à 1899, le voyage de la Belgica est une première par son caractère exclusivement scientifique. L’aventure, écrit Michel Brent, a eu « le mérite de porter au-delà de nos étroites frontières la notion selon laquelle notre pays, s’il pouvait investir dans des opérations commerciales de grande ampleur comme la colonisation du Congo, était également capable de travailler avec désintéressement au service de la science ». Le Trai­té sur l’Antarctique, rédigé 60 ans plus tard par 12 pays dont la Belgique, est guidé par le même esprit. Signé en pleine guerre froide, en 1959, le texte gèle provisoirement les revendications territoriales, bannit toute activité militaire et nucléaire, promeut la coopération internationale entre scientifiques. Pour faire partie du club, la seule condition est de mener une activité de recherche en Antarctique.

En 1958, le fils d’Adrien de Gerlache, Gaston, y avait construit la base Roi-Baudouin. Mais la Belgique manquait de moyens financiers pour entretenir son bâtiment qui, après dix ans de bons et loyaux services, s’enfonce à jamais dans les glaces. La construction d’une nouvelle station nationale doit redonner à la Belgique un poids politique significatif au sein du Traité et dans la préservation d’un continent dont l’étude est devenue cruciale pour appréhender les changements climatiques.

Cependant, tout le monde a encore en tête l’échec de la base Roi-Baudouin. Alain Hubert veut s’assurer que la nouvelle station s’inscrira dans la durée. Le privé (sa Fondation polaire internationale, dont il est le directeur) s’engage à la cofinancer et à en faire donation à l’État. En contrepartie, l’État y poursuivra une activité de recherche scientifique et confiera la maintenance et la logistique à son partenaire privé unique : la Fondation. Le deal est entériné en 2007 dans une convention signée entre Marc Verwilghen (VLD), alors ministre de la Politique scientifique, et la Fondation polaire internationale (FPI).

Le « secrétariat polaire »

En 2009, la station Princesse-Élisabeth, conçue et construite par l’équipe d’Alain Hubert, est inaugurée en grande pompe et à grands frais par des ministres rayonnants de bonheur (Sabine Laruelle – MR, Pieter De Crem – CD&V) autour d’une coupe de champagne sur la banquise. Mais en coulisses, l’idylle est déjà rattrapée par les chif­fres. La facture pour la construction de la station s’élève à 21,4 millions d’euros contre les 6,4 initialement prévus. Le privé a financé plus des deux tiers. Si l’on tient compte de la mise à disposition de fonctionnaires et de militaires, la proportion de moyens investis par l’État et le privé tournerait plutôt autour de 50/50, estime Didier Hellin (MR), à l’époque directeur de la politique scientifique au cabinet Laruelle. Déjà des divergences d’appréciations !

À cela s’ajoute une dimension personnelle. L’amitié qui liait Philippe Mettens, alors directeur de Belspo, et Alain Hubert, fait place à l’affrontement. Le patron de Belspo tient à garder la gestion de la station dans le giron de l’administration. Alain Hubert revendique son autonomie et préfère que la gestion passe par une fondation : la sienne. C’est dans ce contexte tendu qu’est créé, en 2009, le secrétariat polaire, un service d’État à gestion séparée, hébergé au sein de Belspo. Son « conseil stratégique » (l’équivalent d’un conseil d’administration) est composé pour moitié de représentants du privé (des amis de la Fondation polaire) et du public (des représentants des cabinets ministériels). Le secrétariat polaire valide et contrôle le budget des missions logistiques assurées par la Fondation polaire. Et coordonne notamment les programmes de recherche sur le terrain. L’administration n’y a qu’un pouvoir consultatif.

Alain Hubert exige et obtient, en outre, la présidence du conseil stratégique. « Mon conseil d’administration (de la FPI) a exigé que je sois président comme condition pour assurer la crédibilité du projet au niveau international », se targue l’aventurier. « Alain Hubert est un personnage charismatique. Il est capable de convaincre les gens qui ont de l’argent, il a beaucoup de relations dans le monde politique, confie Johan Berte, son ingénieur, qui finira par rejoindre le camp de Belspo. Il a tous les atouts pour lancer des projets géniaux. Mais une fois que ça devient concret, ça coince. Au lieu de confier la gestion à ceux qui s’y connaissent, il veut tout contrôler lui-même. »

Ce secrétariat polaire pouvait-il fonctionner correctement, avec des représentants politiques, et non de l’administration, des « cabinettards » peu investis, diront certains ? « Si on avait eu de vrais fonctionnaires, des experts de l’environnement, du droit international, les choses auraient été différentes », tacle Philippe Mettens. Dans un rapport de 2012, la Cour des comptes est extrêmement critique sur le secrétariat. « Il n’est associé en aucune façon à la gestion concrète de la station. Son rôle se limite à un certain nombre d’actes formels. […] Le secrétariat polaire ne dispose pas, dans la pratique, des instruments prévus pour accomplir ses missions. » Ni de moyens suffisants.

À 13 000 kilomètres de là…

Pendant ce temps, en Antarctique, la cohabitation n’est guère plus aisée. « À la station, précise un proche de Sabine Laruelle, Alain Hubert se considère comme le roi dans son royaume ! » Les militaires taxent l’explorateur d’autoritarisme. Alain Hubert rétorque qu’ils sont incapables de collaborer avec des civils. Et balance au passage une anecdote croustillante à leur sujet. « Un jour, un cameraman espagnol venu faire un reportage me demande s’il n’y a pas un sommet à faire dans le coin. Je lui en montre un. Mais il me dit que ça a déjà été fait et me montre sur YouTube une vidéo du chef instructeur des paras-commandos qui fait l’ascension à ski et rebaptise le sommet du nom de son grand-père, un jour où il était censé être en mission avec un scientifique ! »

Des tensions surgissent également entre Alain Hubert et les scientifiques. Des équi­pes belges se retrouvent en concurrence avec des scientifiques étrangers, invités par Alain Hubert, des participants de la mission 2010/11 s’inquiètent de la sécurité, l’ambiance n’est pas au beau fixe. Des chercheurs accusent l’explorateur d’avoir fait sauter des rochers sans les avertir alors qu’ils travaillaient avec des instruments sensibles aux vibrations. Entre 2009 et 2013, à trois reprises, des pays du Traité Antarctique effectuent des inspections de routine à la station. Malgré ces conflits, leurs rapports sont positifs.

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Les scientifiques et techniciens ont pris l’habitude de garnir leur veste des insignes créées à l’occasion de leur mission sur le continent antarctique.
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Conflit d’intérêts ?

Des ego blessés, un aventurier qui n’en fait qu’à sa tête, une administration qui ne cesse de lui mettre des bâtons dans les roues, distillant habillement dans la presse des informations au moment opportun, un secrétariat polaire qui manque de moyens humains pour gérer la situation… Tous les ingrédients sont réunis pour que la situation s’envenime. Les conventions de départ font l’objet d’interprétations contradic­toi­res. Dans son rôle d’opérateur logistique privé de la station, mais fonctionnant essentiellement avec des deniers publics, la Fondation polaire internationale doit-elle respecter les marchés publics ? Les avis diver­gent. La suspicion s’installe.

Les frais de maintenance facturés à l’État par la Fondation ne cessent d’augmenter, passant de 1 million d’euros prévus annuellement à 3 millions – somme qui reste malgré tout raisonnable aux yeux de divers observateurs. Par contre, les informations que la Fondation fournit au secrétariat polaire sont « plutôt rudimentaires et se bor­nent à mentionner le coût des activités, sans expliciter leur contenu », poursuit la Cour des comptes.

« Alain Hubert espérait que le secrétariat polaire serait une coquille vide lui permettant de faire ce qu’il voulait. Mais quand on travaille avec de l’argent public, il y a des règles à respecter », commente Didier Hellin. L’aventurier, si calme et posé à certains moments, sort de ses gonds et lève le ton pour imposer ses choix. Qu’il justifie, par la suite, par le pragmatisme du privé qui doit avancer, surtout en Antarctique où des décisions doivent être prises sur-le-champ et à temps. Le secteur public n’est pas efficace, clame-t-il. L’État, c’est la bureaucratie, l’inertie.

Malgré ces tensions, en 2010, la ministre Laruelle (MR) et Alain Hubert si­gnent un acte essentiel, prévu dès le départ : le protocole portant sur le transfert de propriété de la station. Avec 999 parts sur 1 000, l’État devient propriétaire et la Fondation polaire ne garde qu’une part. La gestion reste confiée au secrétariat polaire. Mais le nouveau propriétaire se voit aussi contraint à entretenir et à faire fonctionner la station polaire et ses équipements. Au risque d’en perdre la propriété, ce que la Fondation ne se prive pas de rappeler.

Avec l’arrivée d’un nouveau gouvernement, en 2011, Alain Hubert perd son alliée Laruelle. C’est Philippe Courard (PS) qui reprend la Politique scientifique dans l’équipe Di Rupo. Il tente de négocier une sortie de crise. Il reconnaît à Alain Hubert le mérite d’avoir réalisé un travail extraordinaire en construisant cette station, mais il ajoute  : « C’est un chien fou, il est impossible à maîtriser. Il veut que l’État paie tout, mais ne s’occupe de rien. » En 2013, Courard jette l’éponge. Son projet de création d’une AISBL (asbl internationale) censée apporter plus de souplesse dans la gestion, n’est pas accepté, ni par Alain Hubert, pourtant favorable dans un premier temps, ni par Philippe Mettens, toujours convaincu que tout doit rester dans le giron de l’administration. Alors que son ministre de tutelle négocie un accord, Philippe Mettens estime qu’il doit déposer une plainte au pénal con­tre Alain Hubert pour « conflit d’intérêts et prise illégale d’intérêts ». Il s’appuie notamment sur un audit réalisé en 2012 par Ernst&Young, qui pointe l’existence de trois fournisseurs de la station dans lesquels Alain Hubert figure comme associé. S’est-il ainsi enrichi illégalement ? A-t-il simplement travaillé avec des amis de confiance par facilité, comme cela peut se pratiquer dans le privé ? Le document montre aussi que les prix pratiqués étaient concurrentiels par rapport au marché.

La justice ne s’est toujours pas prononcée sur cette affaire qui pourrait pourtant faire basculer le dossier dans un sens ou dans un autre. Elle laisse dès lors planer la suspicion et contribue à pourrir la situation.

La fuite en avant d’Elke Sleurs

Jusqu’à l’arrivée des nationalistes flamands de la N-VA au pouvoir, le médiatique Alain Hubert est choyé par les politiques qui n’ont pas osé le désavouer pub­liquement. Elke Sleurs, qui arrive à la Politique scientifique, semble décidée à récupérer la station coûte que coûte, balayant tous les accords passés avec la Fondation sur son passage. Alors que des négociations sont en cours avec les repré­sentants de la Fondation, Piet Steel (diplomate flamand) et Philippe Bodson (baron et patron réputé), la secrétaire d’État prend tout le monde de court en adoptant un arrêté qui modifie le fonctionnement du secrétariat polaire et écarte Alain Hubert. Elle saisit ensuite le tribunal de première instance de Bruxelles pour interdire à l’explorateur de se rendre à la station. À terme, la secrétaire d’État veut relancer l’idée d’une AISBL, ce que prévoit d’ailleurs l’accord de gouvernement.

Pour mener à bien la logistique de la campagne scientifique 2015/16, la secrétaire d’État N-VA envoie l’armée. Mais il lui manque des techniciens qui connaissent les arcanes de la station. Discrètement, d’anciens collaborateurs de l’explorateur sont débauchés, dont Johan Berte, un ingénieur de la Fondation. L’explorateur est blessé. « C’est comme si mon fils m’avait trahi. » Les dissidents créent la SPRL AntarctiQ quelques jours avant le lancement d’un marché public, sans publicité, par Sleurs. Et ils emportent le marché.

L’explorateur ne désarme pas. Alain Hubert se rend en Antarctique à la demande d’Alci, une société sud-africaine dirigée par un ami russe, pour construire une piste d’atterrissage pour des opérations logisti­ques à 60 kilomètres de la station, à Romnoes. La rencontre des deux équipes est épique.

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Grâce à Rolex, Alain Hubert avance toujours.

En « stoemelings », Alain Hubert vient chercher des engins de chantier à la station, dont une grue de 45 tonnes ! « On devait arriver 10 jours avant les officiels belges, mais on a été retardé par le mauvais temps et on est arrivé seulement quelques heures avant. On a pris ce qu’on pouvait. Quand j’ai vu l’avion de l’armée qui tournait autour de la base, on s’est taillé », raconte l’aventurier, arborant son éternel
sourire. Les Belges crient au voleur. Alain Hubert est sommé de rendre ce qu’il estime être « son matériel » sous peine de se voir astreint à une sérieuse amende. Il obtempère. « On a dû s’arrêter à 5 kilomètres de la station, descendre un par un des véhicules pour qu’ils soient inspectés. Les militaires avaient barré la route avec des rubans rouge et blanc. Tout le monde était habillé avec la même combinaison, portait les mêmes masques qui cachaient leurs visages. Les gars d’Alci qui étaient avec moi hallucinaient. Y en a un qui a mis un peu de musique sur un haut-parleur et s’est mis à danser devant les militaires… » Alain Hubert rentre alors en Belgique.

Pour la saison 2016/17, la secrétaire d’État se voit bien rempiler avec les militaires et AntarctiQ. Mais cette fois, Sleurs engage les dissidents comme fonctionnaires au sein de Belspo, lors d’une procédure menée très discrètement par le Selor. Au passage, l’of­fre d’emploi reprend des missions du secrétariat polaire.

Les membres de la Fondation, et non des moindres, affichent un soutien indéfectible à l’explorateur. Début 2016, un groupe de personnalités liées à la FPI et piloté par Marc Saverys, grand patron d’Anvers, dépose un recours au Conseil d’État pour demander l’annulation de l’arrêté par lequel Elke Sleurs modifie la gestion de la station. Le 23 septembre 2016, le Conseil d’État donne raison à la FPI : il suspend l’arrêté et rétablit, de facto, l’ancienne structure. Après 15 jours passés en Afrique du Sud, dans l’attente d’une autorisation pour se rendre à la base antarctique, l’équipe Sleurs rentre bredouille, aux frais du contribuable.

« Hubérisation » de l’Antarctique

Il n’y a donc pas eu, cette année, de campagne scientifique belge à la station. Mais Alain Hubert y est allé pour continuer à assumer son rôle d’opérateur logistique : préparer la station et la maintenir en état de fonctionnement.

En parallèle, il développe des activités liées à l’objet social de sa Fondation : la sensibilisation de l’opinion publique à la recherche polaire en vue d’étudier les changements climatiques. Tout simplement ? Ou, comme le prétendent ses détracteurs, en organisant aussi du tourisme friqué et lucratif ? Belspo découvre que Zai Lab, une société sud-africaine dirigée par un Anver­sois, a vendu un voyage de six jours pré­voyant une étape à la station polaire pour le réveillon de nouvel an.

Les touristes, qui auraient dû débourser 20 000 euros pour ce voyage, devaient arriver sur la piste qui a finalement été construite par Alci à Ronmoes. Inquiets, les pays du Traité ont mandaté la Belgique et la Norvège pour mener une enquête. Alain Hubert se défend de toute implication et renvoie la responsabilité à son partenaire.

In fine, le permis des touristes a été annulé. Mais une scientifique canadienne, travaillant aux États-Unis, est accueillie à la station. C’est la lauréate de la Bourse pour l’Antarctique du Fonds InBev-Baillet Latour, un sponsor privé de la recherche. Le signe d’une « hubérisation » de l’Antarctique, où le privé joue un rôle accru dans ce continent protégé par le Traité Antarctique et jusqu’à présent géré par les États ?

Dans cette vision, le secteur privé prendrait l’initiative pour animer les différentes bases en Antarctique, avec, au second plan, un soutien étatique. Cela ne semble pas illégal aux yeux d’Eric David, professeur de droit international de l’ULB. « Seules les activités pacifiques sont autorisées, stipule le Trai­té sur l’Antarctique, mais il ne dit pas que cette règle ne concerne que les États. […] Si un particulier construit une base en Antarctique, il peut prétendre à la propriété des murs, mais non à celle du terrain. » Cela semble favorable à Alain Hubert, mais, ajoute le professeur David, « un État partie au Traité peut fort bien interdire à ses nationaux d’aller en Antarctique ou d’y construire une base, ou réquisitionner ce bien pour cause d’utilité publique »

Obligés de s’entendre

Dans ce contexte, comment envisager l’avenir ? Malgré la décision du Conseil d’État plaçant le secrétariat polaire au cœur de la gestion de la station, Elke Sleurs poursuit sa ligne dure. En décembre 2016, elle annonce qu’elle ne nommera pas les membres du Conseil stratégique du secrétariat polaire. La Fondation a aussitôt répliqué qu’elle prend acte que l’État, ne respectant pas ses engagements, « renonce donc à ses parts de copropriétaire ».

Si rien ne change, les saisons prochaines seront également compromises. Les scientifiques continueront à être les premières victimes de ces tensions. La station perdra de sa superbe, la renommée internationale de la Belgique en prendra un coup. La sortie de crise passera donc par des choix politiques à opérer. Soit l’État décide de continuer seul et il devra monnayer la reprise à 100 % de la station pour un coût de 15 millions (moins les amortissements). Soit la Fondation polaire reprend seule la gestion de la station en rachetant les parts de l’État pour quelque 6,4 millions (moins les amortissements). Soit les parties sont condamnées à s’entendre, à organiser l’avenir conjointement… ou alors à vendre notre bijou de l’Antarctique.

« Le dialogue est incontournable pour envisager une sortie de crise », clament Piet Steel et Philippe Bodson (FPI), qui restent prêts à discuter, à organiser d’autres campagnes scientifiques en Antarctique, sous pavillon belge, ou avec d’autres partenaires aussi. Des contacts internationaux ont déjà été pris. Mais la Fondation garderait, selon eux, le leadership sur l’opérationnel. La secrétaire d’État Elke Sleurs, elle, a choisi une autre voie, celle de l’AISBL passant par des appels d’offres pour chaque mission. Elle devra alors changer la loi, les arrêtés royaux et les conventions de partenariat. Un travail de fond, qui devrait remettre l’Antarctique au centre du calendrier politique d’un gouvernement qui, manifestement, a d’autres priorités.

En 1963, Gaston de Gerlache faisait pression sur le gouvernement belge pour poursuivre les investissements dans la recherche polaire. In fine, un partenariat avec les Néerlandais avait permis de prolonger la vie de la base Roi-Baudouin de cinq ans. Aujourd’hui, la petite Belgique reste engluée dans ses clivages, incapable de valoriser une des plus belles bases jamais construites sur le continent blanc. Développer des partenariats internationaux pourrait assurer un avenir financièrement durable pour la station. Mais les bagarres qui se déroulent actuellement sur la banquise ont fini par faire fuir les investisseurs potentiels qui ne savent plus si c’est avec l’État ou la Fondation qu’il faut négocier.

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