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La bonne dame et la p’tite stagiaire

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Charlotte Chauvin. CC BY.

Choisir une semaine lambda. Consigner, au fur et à mesure, le sexisme vécu au féminin. Dans les détails du quotidien. Voici le résultat des courses, d’une violente banalité.

Lundi

Dans le train Bruxelles-Tournai, une femme est assise avec ses deux enfants, un garçon et une fille. Ils doivent avoir 7 ou 8 ans. Je les remarque parce qu’ils font un bruit monstre en ouvrant leurs paquets de gâteaux. Ils descendent à Ath. Quand le train entre en gare, la mère alpague la gamine : « Aide-moi à ranger. » La petite ramasse les briques de jus et les paquets de gâteaux, qu’elle refile à sa mère. Le garçon n’en fait pas une. Enfin si, il s’est levé pour descendre du train.

Mardi

Ce matin, j’ai fait les courses chez Carrefour. Entre midi et deux. En chargeant un pack d’eau minérale dans mon caddie, j’en fais tomber un autre. Un employé surgit dans le rayon pour m’aider à le ramasser. Je souris, le remercie. Son collègue accourt et balance : « Ah la bonne dame, elle a fait tomber de l’eau ? C’est pas bien. Il est où le fouet ? Mouahahah [rires gras]. » Je change vite fait de rayon.

À 14 heures, rendez-vous à la banque avec mon compagnon pour un projet de crédit immobilier. Le banquier nous précède dans le couloir et lance, guilleret : « Je vais chercher ma petite collègue et j’arrive. » Je lui réponds : « Ah bon, elle a un problème de taille ? » Gêné, le « conseiller » bredouille l’air sincère que non, c’est parce qu’elle est stagiaire. De mon côté, tout aussi gênée, je me demande si j’aurais osé lui rentrer dans les plumes s’il avait eu 30 ans de plus – il doit en avoir 25 – ou si je n’avais pas déjà reçu l’offre de crédit d’une autre banque.

Mercredi

Aujourd’hui, je suis en reportage dans le nord de la France. En voiture, pendant que la campagne défile, j’écoute France Inter. Ovidie, réalisatrice militante et ex-actrice porno, est invitée pour présenter son documentaire Pornocratie, les nouvelles multinationales du sexe. L’émission commence par un extrait du film.

C’est le témoignage d’un professionnel, à Budapest, capitale européenne du porno :

« C’est pas compliqué, une fille qui est vierge du cul arrive, aujourd’hui c’est anal et double, demain c’est double anal, après-demain […] on essaie de lui en mettre trois dans le cul. Y a pas une fille au monde naturellement constituée qui peut prendre trois bites dans son cul si elle a jamais fait anal hier, ça n’existe pas. Il y a un moyen de le faire : on lui fait prendre deux petites pilules d’un produit qui sert à faire les accouchements, les muscles se détendent, et puis après on lui fout un kilo de lidocaïne dans le cul, comme ça elle sent plus rien. […] Ils détruisent les meufs, parce qu’ils les cassent en plus. Ces gens-là, ils méritent une balle dans la tête. » J’ai accouché il y a un an. Et là, j’ai envie de vomir.

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Charlotte Chauvin. CC BY

Pour le reste de la journée, RAS. Ah, si quand même… Le soir, ma belle-fille regarde la télé et tombe « par hasard » sur Touche pas à mon poste, l’émission de « critique des médias » (sic) de Cyril Hanouna, blâmée jusqu’au CSA pour ses sorties sexistes et diffusée chez nous sur Plug RTL. Hanouna, pour ceux qui n’ont pas suivi, c’est cet animateur qui s’était amusé à faire toucher son entrejambe à l’une de ses invitées, en prétextant un jeu de devinettes pratiqué les yeux fermés. Ma belle-fille me jette un coup d’œil rapide, me dit : « T’inquiète je change, je change. » Soudain je pense à cet article – celui que vous êtes en train de lire – et je fais d’une pierre deux coups, me glissant au passage dans la peau du parent super-ouvert : « Vas-y, laisse, j’ai envie de me faire un avis, après tout, je n’ai jamais regardé. » On a laissé trois minutes top chrono. Ce n’est donc pas un condensé du « pire » de l’émission. Juste trois minutes prises au pif :

Une participante à Hanouna : « Je vous trouve succulent. »

Hanouna : « Non mais elle,
elle a trop la dalle. »

La participante : « Ah ah ah ah. Ah ah ah ah. »

Puis Hanouna lance un QCM
à ses invités.

C’est au tour d’une femme, dont j’ignore totalement l’identité mais qui est censée être une célébrité.

Cyril Hanouna lui demande :
« Qui a gagné le prix Goncourt
en 2016 ? »

L’invitée : « Le quoi ? »

Hanouna est très ostensiblement mort de rire, et joue avec son invitée : « Mais enfin, le GON-COURT ! Les chevaux ! Hein, le Goncourt, les chevaux, tout ça. » Il insiste lourdement pour la mettre sur la mauvaise piste, avec de gros clins d’œil à ses acolytes, au cas où l’on n’aurait pas encore compris sa démarche de ridiculisation en cours.

L’invitée se résigne : « Ah oui, OK, je vois. »

Jeudi

Dans les journaux, ça polémique autour de l’invitation de Roman Polanski, poursuivi pour agression sexuelle sur mineure, à présider le jury des Césars (entre-temps, le réalisateur a renoncé à cette invitation, se déclarant au passage « très meurtri » par ce désistement forcé…). En passant sur Facebook, j’observe, médusée, des commentaires crasses sur le physique de Maggie De Block, sous couvert d’une critique de sa politique, qualifiée de « lourde », « de poids »…

Et comme d’habitude, j’essaie de faire abstraction du bombardement de liens publicitaires m’invitant à acheter des produits en lien avec la grossesse, les enfants en bas âge ou la beauté.

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Charlotte Chauvin. CC BY

Vendredi

Aujourd’hui, j’ai emprunté la chaussée de Bruxelles, une des principales artères d’entrée dans la ville de Tournai, qui bouchonne tous les matins et tous les soirs. C’est seulement 400 mètres après avoir croisé cette enseigne que j’ai tilté. J’ai donc fait demi-tour pour prendre en photo ce petit bijou (que je ne vois donc même plus, à force) :

Samedi

J’habite à deux pas de la Grand-Place de Tournai. On y croise régulièrement quelques touristes. Cet après-midi, je surprends un couple, un plan à la main, qui se dirige vers la place en question. La femme se trompe visiblement de direction. Son mari l’insulte : « T’es vraiment idiote, tu vois bien que c’est pas par là, non mais putain ! » Elle ne dit rien et le suit. Je la cherche du regard, nos yeux se croisent, j’appuie mon regard qui signifie « mais quel con, je compatis ». Cette femme me fusille du regard.

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Dimanche

Aujourd’hui, dans les médias, les Américaines sont partout. Hier, elles ont défilé par millions (500 000 participants rien qu’à Washington, selon les organisateurs, la plus grosse manif depuis le mouvement contre la guerre au Vietnam), pour protester contre l’investiture de Donald Trump, dénoncer sa politique, son sexisme primaire et sa misogynie hors catégorie. D’autres parties du monde les ont rejointes. Même en Antarctique, une marche a été organisée. Le nouveau président des États-Unis, qui estime que, « quand t’es une star, elles te laissent faire. Tu peux tout faire. Tu peux les attraper par la chatte, tout faire », est d’ailleurs aussi celui qui nous a donné l’envie de faire ce petit journal.

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