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Des yeux plus gros que le ventre

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Mathieu Lecouturier & Roberta Miss. CC BY-NC.

La SNCB intensifie la surveillance dans les gares et les trains. Elle prétend ainsi dissuader les infractions en tous genres et aider les enquêtes de la police. Pourtant, rien n’indique que les caméras permettent de combattre la criminalité.

Voyagez en train, vous serez filmé. C’est le message assez direct glissé par la SNCB à ses usagers, en annonçant la mise en place de 3 000 caméras de surveillance dans ses nouveaux trains à partir de la fin 2018. Contrairement à celles qui existent déjà sur le réseau, elles pourront envoyer les images en direct au centre de contrôle de Bruxelles.

À la SNCB, on semble apprécier la vidéosurveillance, puisque 9 000 yeux électroniques sont déjà en place dans les trains et les gares du pays. Un tout nouveau dispositif de caméra à 360°, posée sur une remorque au milieu d’un quai, est même testé dans la gare de Bourg-Léopold.

Et 2 300 nouvelles caméras vont être installées dans les gares au cours des prochains mois, soit pour en remplacer d’existantes, soit pour couvrir des points qui n’étaient pas encore surveillés. Cette mesure est payée en puisant dans une enveloppe globale de 14 millions d’euros filée par le gouvernement à la SNCB pour la sécurisation du rail au sens large : système de caméras, embauche d’agents, installation de portiques. Le tout constitue bien sûr une réaction aux attentats du 22 mars. L’appel d’offres est en cours, mais le porte-parole de la SNCB, Thierry Ney, n’a pas voulu nous donner une estimation du montant qu’elle était prête à investir dans ces achats de caméras.

Efficacité douteuse

On peut se douter que la note sera salée. Une étude commandée en 2011 par le SPF (Service public fédéral) Intérieur estimait que le coût d’installation d’une caméra oscillait entre 8 000 et 27 000 euros, selon la qualité du matériel. « Effectivement, on peut dire que lorsqu’il s’agit de surveillance, la SNCB met les moyens, glisse Franck Dumortier, chercheur au CRIDS, le Centre de Recherche Information, Droit et Société de l’Université de Namur. C’est aussi une solution facile pour montrer que les gouvernants sont actifs sur la question de la sécurité. »
Car, finalement, quel est l’objectif précis poursuivi par la SNCB ? Son porte-parole Thierry Ney en voit deux : la dissuasion, la contribution aux interventions de sécurité et aux enquêtes sur des délits, des plus graves (crimes, actes de terrorisme) aux plus banals, tels que le vol à la tire ou le vandalisme. Et il lance un chiffre : « En 2015, on a reçu 3 400 demandes d’images dans le cadre d’enquêtes policières, et dans 80 % des cas, ces images ont aidé la police. »

Même si elles peuvent servir de preuves sur le plan pénal, une étude du criminologue Vincent Francis (UCL – 2011) montre que les caméras de la SNCB n’ont qu’« un impact très relatif sur la criminalité ». L’étude constate plutôt un déplacement des faits, la caméra incitant les « publics “à risque” à aller ailleurs ». Francis soulève de plus que « les caméras de surveillance ne permettent que très rarement la détection d’infractions en temps réel ». Logique : le flux d’images devient tellement gargantuesque qu’il est impossible de les regarder toutes en même temps.

Le problème des caméras de surveillance, c’est qu’elles coûtent les yeux de la tête alors que leur impact s’avère difficile à évaluer : il est noyé dans une série d’autres paramètres qui influent sur la criminalité. Plusieurs participants à l’étude du SPF Intérieur, dont des policiers, ont indiqué que l’effet dissuasif était… proche de zéro. Une autre étude du département de l’Intérieur, datant de la fin 2012, affiche « des résultats peu convaincants quant à l’efficacité des caméras et pourtant, la conclusion reste enthousiaste vis-à-vis de la vidéosurveillance », relève, perplexe, Corentin Debailleul. Ce géographe de l’ULB a récemment étudié la répartition géographique des caméras de surveillance à Bruxelles. Il a scruté le positionnement des caméras à la gare du Midi et il explique qu’elles sont désormais placées afin de pouvoir reconnaître tous les visages. Il rappelle que la SNCB est tentée par les dispositifs de reconnaissance faciale.

En juillet 2016, le ministre fédéral de la Mobilité François Bellot (MR) avait indiqué à la Chambre que la SNCB planchait sur « un système de caméras intelligentes » qui « pourrait avoir une plus-value, dans la reconnaissance faciale, la détection de colis suspects ou d’un bagage abandonné ».

Controverse juridique

Pour le chercheur du CRIDS Franck Dumortier, cette poussée de fièvre en matière de surveil­lance pose question. « Avec des caméras mises en réseau, comme la SNCB en dispose déjà, il devient possible pour le transporteur public d’opérer le suivi d’une personne. Or, cela relève des missions de police judiciaire. Une telle observation, c’est une méthode particulière de recherche qui doit être décidée par un procureur du Roi, pas par une société de transport. »

Le juriste prévient : en mai 2018, le nouveau Règlement général européen sur la protection des données sera directement applicable. « Il stipule que les États membres doivent faire une analyse d’impact afin de voir si un traitement potentiellement intrusif – comme multiplier les caméras intelligentes, les mettre en réseau, etc. – est vraiment en phase avec l’objectif visé par la mise en place de tels systèmes de surveillance. » En cas de non-respect du cadre européen et si un recours devait être introduit par un particulier ou une autorité publique, une entreprise comme la SNCB pourrait devoir payer des amendes allant jusqu’à 20 millions d’euros !

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