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La queue en tire-bouchon

Quand Médor indague sur un détail-farce du quotidien

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Baptiste Virot. Tous droits réservés.

Les petits Manneken-Pis vendus aux touristes ressemblent à de vilains nains de jardin. Mais d’où sortent-ils ?

Le véritable Manneken-Pis, réalisé par Jérôme Duquesnoy l’Ancien, est un petit colosse à la chevelure bouclée qui loge au Musée de la Ville de Bru­xelles, Grand-Place. C’est sa copie conforme qui pisse au coin de la rue de l’Étuve et de la rue du Chêne. La Ville, propriétaire de l’œuvre, vante « la finesse d’exécution des traits de l’enfant ». Et la conservatrice du musée, Bérengère de Laveleye, évoque une « magnifique statue baroque », datant de 1619-1620.

Dans les magasins de souvenirs du centre-ville, ce petit prodige urinant se vend en version statuette, tire-bouchon ou porte-clés, en polyester ou en métal, à partir de 1,95 euro. Et il y a le choix : celui qui a les cheveux tout plats, celui qui a un ventre de Bouddha ou celui qui n’a pas dormi depuis 10 jours. Rappelons que, 70 ans après la mort d’un artiste, il n’y a plus de droits d’auteur. « C’est surtout aux cheveux que l’on voit à quel point les copies sont ratées », observe la conservatrice.

Comment est-ce possible ? Mireille Ruytinx, propriétaire du magasin La Vieille Lanterne, en face du Manneken-Pis, nous montre son étalage. « Tous ces petits Manneken-Pis viennent d’Asie… » L’un de ses fournisseurs, la société liégeoise Martini et Fils, a fabriqué des statuettes en plâtre pendant quatre générations. « Dans les années 90, on a envoyé nos moules au Vietnam », explique Michel Martini. De là, reviennent trois modèles en polyester, dont l’un « pas du tout ressemblant » (c’est lui qui le dit). Les moules s’usent avec le temps. Dans les ateliers d’Extrê­me-Orient, on les refait sur des copies de copies ou on comman­de de nouvelles statuettes à des sculpteurs locaux qui n’ont jamais mis le pied rue des Bouchers. À force, la qualité finit par baisser.

Des vrais faux

Dans les années 2000, la Ville de Bruxelles s’est émue de voir son emblème si maltraité. Elle a déposé la marque « Manneken-Pis » mais s’est alors retrouvée à devoir produire elle-même des porte-clés et des taille-crayons. « Ce n’était pas notre mission de faire du marketing », souligne Bérengère de Laveleye. Cette protection commerciale n’a donc pas été renouvelée.

Mais il en reste quelque chose : en 2003, l’atelier de moulage des Musées royaux d’art et d’histoire avait réalisé un moule en silicone du Manneken-Pis original. Depuis, il produit des copies conformes de grande qualité, en plâtre, pour le Musée de la Ville ou pour les particuliers (250 euros en blanc, 400 euros en version patinée). Le jour de notre visite, un peloton de Manneken-Pis attend son heure entre un buste de Lavoisier et des statues Chimú (comme dans L’Oreille cassée). Nez fins, abdos solides et cheveux délicieusement bouclés. Pas de doute, ces faux sont bien vrais.

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