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Les maux du pavé

Médor en 1ère rénové

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Anne Brugbni. CC BY-SA.

Notre bonne vieille pierre bleue wallonne n’a plus la cote sur les chantiers publics. Depuis les années 1990, des pavés au rabais venus de Chine, d’Inde ou du Vietnam inondent le marché. Des économies de bouts de chandelle aux lourdes conséquences environnementales et sociales.

Du calcaire vietnamien dans le parlement de la Fédération Wallonie Bruxelles, 5 000 m² de pierre chinoise sur les quais de Meuse à Liège, et des semi-remorques de pavés indiens devant le quartier des Guillemins…

Débarquant chez nous au quart ou à la moitié du prix de leurs équivalents locaux, les pierres asiatiques raflent de nombreuses adjudications publiques. Si la différence de prix allèche les autorités, l’addition, à terme, se révèle bien plus salée. Alors que les pierres bleues de Chine ou du Vietnam ne sont pas systématiquement de mauvaise qualité du point de vue mécanique, les pavés de grès « Kandla », provenant d’Inde, sont souvent beaucoup moins fiables. À Ciney en 2009, 18 000 m² de pavés asiatiques défaillants ont dû être arrachés et remplacés, neuf ans à peine après leur pose, par des pavés belges en béton. Coût de la réfection : 106 000 €. En avril dernier, à Liège, les pierres chinoises du Cadran ont elles aussi dû être remplacées par un autre revêtement. Budget de cette métamorphose ? 550 000 euros pour un kilomètre de voirie… Difficile de savoir combien a coûté le projet initial : le cabinet de Maxime Prévot, ministre wallon des Travaux publics, n’a pas pu le retrouver.

« On ne compte plus les réalisations ambitieuses mais ratées qu’il a fallu remplacer, après quelques années d’usage seulement, par des solutions au rabais comme des revêtements de béton ou d’hydrocarboné, au détriment du caractère esthétique de l’ensemble et de l’intégration dans le cadre bâti ancien », regrette Francis Tourneur, secrétaire général de l’asbl Pierres et Marbres de Wallonie.

L’autre partie de la note se paye loin de nos yeux et du cœur pavé de nos villes : les prix rikiki des pierres asiatiques sont taillés à l’aune de la faiblesse des normes sociales et environnementales en Chine, au Vietnam et en Inde.

En 2015, De Standaard révélait la forte utilisation de main-d’œuvre enfantine dans les carrières du Rajasthan. Le quotidien confirmait ce que diverses ONG n’ont cessé de dénoncer depuis plus de 10 ans au travers de multiples rapports. Mais la fabrication des pavés indiens ne se limite pas à l’exploitation des enfants. Elle détruit aussi les terres agricoles, met à mal des réserves d’eau, saccage des milieux naturels et génère une pollution importante de l’air… Ce pavé dans la mare n’a en réalité eu que peu de conséquences en Belgique.

En Flandre, des villes importantes comme celles de Gand et de Malines ont annoncé qu’elles n’admettraient plus ce type de pierre sur leurs futurs chantiers. « Aujourd’hui, explique Marc Pinte, agent du service d’urbanisme de la Ville de Gand, nous n’acceptons les pavés exotiques que s’ils sont accompagnés d’un document certifiant qu’ils n’ont pas fait appel au travail des enfants. Mais il faut bien admettre qu’il est difficile de vérifier la véracité de ces documents. »

Dans le sud du pays, le gouvernement wallon a approuvé en 2012 puis actualisé en 2014 une circulaire proposant l’intégration de critères éthiques, sociaux et environnementaux dans les marchés publics impliquant des pierres naturelles régionales, tout en encourageant leur utilisation face à la concurrence étrangère. Mais ces clauses non contraignantes n’ont à ce jour pas encore fait l’objet d’une application concrète. Les chantiers de la gare de Mons et celui du tram de Liège, pour ne citer que ceux-là, risquent de pencher pour de la pierre asiatique ou irlandaise…

Vers un nouvel âge de la pierre

Pour Armand Boite, échevin des travaux de la Ville de Tournai, la circulaire ne résout pas tout : « Il reste par exemple difficile aujourd’hui d’éviter la pierre irlandaise. Nous avons été fort critiqués lorsque celle-ci a été utilisée pour rénover la rive gauche de l’Escaut, mais elle provient du même banc géologique que la pierre bleue belge, et est de qualité tout à fait comparable. La rejeter serait d’ailleurs contraire aux règles du marché européen. »

Pour trancher entre pierre locale et pierre importée, conseille Francis Tourneur, il faut opter pour une approche coût-bénéfice. Il renvoie à un mémoire universitaire récent d’Alexis Dion, un étudiant de l’ICHEC. « Si on prend en compte l’impact du choix de la pierre sur l’emploi, sur la balance commerciale nationale et sur le produit intérieur brut belge, grâce aux charges sociales ou aux impôts payés par l’entreprise productrice, choisir des pierres belges amène un retour sur investissement important pour les pouvoirs publics. » Ce retour sur investissement représente un quart du coût global de la fourniture, et rend donc la pierre belge, au total, moins chère que la pierre irlandaise. Pour les produits asiatiques, toujours plus compétitifs mais moins fiables, outre les surcoûts de remplacement ou de réparation, il faut également considérer le coût environnemental lourd lié à leur transport. Pour charmer à nouveau les maîtres d’ouvrage du public et du privé, l’asbl Pierres et Marbres de Wallonie vient de lancer l’appellation « Pierre locale ». Voici peut-être le premier sort pour estomper, chez ces maîtres d’ouvrage, les charmes bon marché de la pierre globale.

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