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Mix en mixité

collectif bledarte
Collectif Bledarte. Tous droits réservés.

Séances de lecture féministe décoloniale le jour, DJ-set rap vénère la nuit. Rigolo, ambitieux, tout-terrain, le collectif Bledarte fait place aux minorités sur la scène culturelle.

À l’aise dans leurs baskets fluo, Maja Ajmia Yde Zellama et Rojin Açilan racontent leur vie, leur société, leurs identités de femmes racisées, radicales revendiquées. « Faut arrêter avec le discours color blind, qui ne veut pas voir les couleurs, lâche Rojin. Nous, on les voit, on les vit. Dire qu’il n’y a pas de races, c’est nier les inégalités sociales. » Et plutôt que d’occulter les différences, leur collectif joue des coudes pour les rendre plus visibles encore.

Ce groupe s’appelle Bledarte. Bled + art + e, l’étymologie est limpide : quatre femmes artistes, « chacunes d’un bled différent », qui s’appliquent à valoriser les minorités par l’art et la culture. « Devenir quelqu’un pour exister / Car personne nous a invités / Donc on est v’nu tout niquer. » Les mots des rappeurs du groupe PNL claquent comme la maxime de ces femmes, encore inconnues il y a un an. Aujourd’hui, elles sont programmées dans le réseau de la nuit flamande, et même à Paris, admettant bénéficier d’un effet de mode de « la culture hip-hop et des cités ».

Maja et Rojin mélangent trois langues par phrase et l’argot au jargon militant. Elles ont la vingtaine, sont belges, bruxelloises et musulmanes. Tandis que Rojin, aux fières origines kurdes, se dit appartenir « à la classe populaire », Maja explique ne toujours pas savoir situer son milieu social. D’une famille danoise aisée et d’une autre, tunisienne, plus pauvre, cela dépend surtout du contexte. Les deux femmes sont passées par « des écoles de bourges » tout en fréquentant « des milieux populaires où la criminalité, on connaît ». Aujourd’hui, elles sont étudiantes, éducatrices en maison de jeunes, artistes, DJ. Au cou, elles portent des chaînes en or et, sur les réseaux, des surnoms barrés – Maja est TarteletHarissa et Rojin, 7obbiste. Sur ces plateformes, elles jouent avec les codes du rap, de la société de consommation, du racisme décomplexé en exhibant chichas, Capri-sun et billets, puis ironisent sur la théorie complotiste du « grand remplacement. »

Elles écoutent des rappeurs type Djadja & Dinaz, lisent la politologue féministe et antiraciste Françoise Vergès, admirent les combattantes du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK). Leurs références sont aussi diffuses que leurs influences. « Nos identités, c’est un mélange de tout ce qu’il y a autour de nous », résume Rojin.

Gros son

Bledarte a commencé par être un groupe de parole pour femmes aux identités multiples, histoire d’aborder en paix les oppressions racistes, sexistes, homophobes qu’elles subissent au quotidien et dans le monde de l’art. « Le racisme structurel, c’est une culture organisationnelle blanche, impénétrable, créée par ces mêmes individus ; quiconque ne s’inscrit pas dans cette culture doit, au choix, s’adapter ou s’attendre à échouer », écrit Reni Eddo-Lodge dans Le racisme est un problème de Blancs, une de leurs références. « On est des meufs qui avons faim de la vie, avec une ambition hyper forte et pas dans la demi-mesure », rit Maja. Alors, elles s’organisent en collectif intersectionnel (prenant en compte la pluralité des formes de discriminations sexistes, racistes, de classe) et créent des espaces d’expression pour la jeunesse issue de l’immigration. Pour ce faire, elles lancent un festival gratuit, le Bledarte Zone, dès l’été 2018, en partenariat avec le lieu de concert molenbeekois VK et le coworking artistique LaVallée. Elles y exposent leurs créations (audio)visuelles, modèrent des discussions autour de questions raciales, balancent du gros son derrière les platines et invitent des artistes de tous horizons. Pour elles, s’offrir cette posture d’artistes multidisciplinaires, c’est montrer autre chose que les caricatures de « la femme maghrébine, musulmane et soumise » et, ainsi, « décoloniser les mentalités », c’est-à-dire déconstruire l’imaginaire raciste hérité de la période coloniale.

Grosse dédicace

Depuis le début de l’année académique, les quatre membres actives de Bledarte – TarteletHarissa, 7obbiste, Wu-tangu et Kidjofficial – sont résidentes au centre culturel flamand Beursschouwburg, où elles animent des lectures féministes antiracistes et des cours de DJing féminin. Leur public est composé de « jeunes de quartier, de femmes racisées, de personnes queers qui, comme nous, peuvent faire partie de tous ces groupes en même temps », observe Maja. Lors d’une conférence en octobre 2018, Wu-tangu jugeait tout de même nécessaire de préciser à l’audience qu’elles ne « détestent ni les hommes ni les Blancs ». Renverraient-elles l’image de harpies féministes faisant le jeu d’un repli communautaire ? Leurs détracteurs universalistes voient dans la démarche décoloniale une incitation aux divisions raciales, dénonçant un « racisme anti-Blanc. » Maja et Rojin s’en défendent : elles visent l’inclusivité, le dialogue et « s’adressent à tout le monde ». « C’est sûr que ça demande aussi de faire un pas vers nous mais ça a donné lieu à de trop beaux échanges », soutient Rojin. Ils ont lieu autour d’une table ou au son d’un set « raï, zouk, électro, rap, musique à chicha et booty shake », comme dans le hall du KVS (Théâtre royal flamand de Bruxelles) en septembre. « C’était la rencontre frontale entre des publics super différents. C’était ouf. »

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