Branlette et pipette
Enquête (CC BY-NC-ND) : François Corbiau
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Via les réseaux sociaux, des hommes proposent « d’aider » des femmes seules ou en couple à réaliser une insémination artisanale. Un don de sperme plus rapide, moins coûteux mais moins sûr que la procédure via les centres de procréation. À mi-chemin entre don de soi et plan cul.
« On règle tous les détails par mail, puis on se retrouve dans une chambre d’hôtel. On ne va pas boire de verre. Je demande 20 euros pour l’essence avant. Je vais dans la salle de bains. Je fais ce qu’il faut, je donne le pot et je m’en vais. » Avec Yvo (tous les prénoms ont été changés), le modus operandi est réglé comme du papier à musique. C’est sa façon à lui de se protéger.
L’opération dure une dizaine de minutes, pas plus. « Il n’y a rien d’érotique ni de passionnant. C’est plutôt ennuyeux, comme une formalité à remplir avant de rentrer chez soi. »
À l’écouter, donner son sperme est un acte politique : « Avoir un enfant ne peut être réservé aux seuls couples hétéros ou aux femmes qui en ont les moyens. »
Lui ne pratique que le don de sperme sans pénétration. C’est la « méthode artisanale » (voir mode d’emploi ci-dessous). « Avec la méthode naturelle ou semi-naturelle, j’aurais l’impression d’être le “géniteur” et plus seulement le “donneur”, explique cet habitant de Flandre occidentale. Au moins comme ça, je ne risque pas d’attraper quelque chose. »
La quarantaine bien tapée, Yvo compte déjà plus de 80 dons à son actif. Selon ses dires, certaines femmes sont très prudentes, d’autres pas du tout. « C’est souvent le cas des femmes très jeunes, déjà trop contentes d’avoir trouvé un donneur à moindres frais. Parfois, elles ne demandent même pas les analyses pour les maladies sexuellement transmissibles (MST). Elles sont prêtes à tout pour avoir un enfant. Certains donneurs l’ont très bien compris et exploitent cette détresse pour “tirer un coup”. »
Montrer patte blanche
« Attention, ceci n’est pas un site de rencontre hot ! Un enfant n’est pas un jeu ou un prétexte ! Soyez très vigilantes ! » Impossible de louper le message d’avertissement sur insemination.forumprod.com. Sur ce forum comme sur les réseaux sociaux, chaque nouvel inscrit, homme ou femme, doit montrer patte blanche et s’engager à respecter un code de bonne conduite. Tout propos déplacé ou comportement suspect est immédiatement dénoncé par ses membres. En tout, une vingtaine de groupes fermés francophones existent sur Facebook. Les plus connus comptent entre 2 000 et 4 000 membres. D’autres, plus modestes, s’appuient sur une communauté de 200 à 1 000 personnes actives. La plupart des demandes et des offrandes proviennent de France. Dans 15 à 20 % des cas, les échanges concernent une femme ou un donneur belges.
Judith a opté pour le forum insemination.forumprod.com. « Le design est celui d’un site des années 90, mais il ne faut pas se fier aux apparences. Il y a beaucoup d’infos et tout le monde est là pour la même chose, ça réagit très vite. » D’autant que cette jeune Bruxelloise annonce d’emblée n’accepter que les dons « naturels ». « C’est quand même mieux que de faire ça avec une seringue dans la salle de bains », s’amuse-t-elle.
Parmi la vingtaine de messages reçus, elle fait vite le tri. « Je vois rapidement à qui j’ai affaire, j’ai l’habitude avec les sites de rencontres. » En tout, elle contacte deux donneurs. « Le premier habitait Namur et se déplaçait à Bruxelles. On a fait l’amour mais ça n’a pas “matché”. Physiquement, il n’était pas ma tasse de thé. »
Avec le second, en revanche, le contact passe tout de suite. « Il était mignon, intelligent, attentionné. Au début, il a posé beaucoup de questions sur moi et mon entourage. Pourquoi je faisais ça ? Est-ce que ma famille me soutenait ? Puis rapidement, il est venu chez moi et on a fait l’amour. D’abord à des moments précis en fonction de mes ovulations et puis tout le temps. On est sorti du cadre. »
Les banques de sperme et les centres de procréation médicalement assistée (CPMA), ce n’est pas son truc. « C’est long, compliqué et trop aseptisé. » Le récit de sa collègue, qui a tenté plusieurs inséminations artificielles, achèvera de la convaincre. « J’ai trouvé ça barbare. En plus, j’ai un problème avec l’idée de donner de l’argent pour du sperme. Je voulais faire l’amour avec le donneur et que mon enfant naisse d’un acte de tendresse », sourit-elle en caressant son ventre rond. Dans son annonce, Lionel insiste sur la « beauté du moment et la tendresse de l’échange ». En quatre ans, ce Montois de 48 ans a donné son sperme à une douzaine de reprises. Il est le géniteur de six enfants, en Belgique et dans le nord de la France. Quand on lui demande pourquoi il propose son sperme, il parle de geste généreux, désintéressé. « Ma copine ne peut pas avoir d’enfants. Alors le don, c’est un geste pour aider ceux qui se trouvent dans la même situation. »
Lui prend toujours le temps de rencontrer les femmes avant. Après leur avoir montré les résultats de ses tests pour l’hépatite B, la syphilis, la chlamydia et le VIH, ils se mettent d’accord sur le type d’insémination. « Moi, je ne pratique que la méthode dite “naturelle” ou “semi-naturelle” mais pas l’artisanale. C’est mieux pour l’insémination », se justifie-t-il.
La suite se passe généralement à l’hôtel, plus rarement chez les femmes elles-mêmes. « Elle se prépare dans la chambre et moi dans la salle de bain. Je me masturbe et, quand je sens que je suis “prêt”, je la rejoins. Si elle a opté pour la méthode semi-naturelle, je la pénètre au dernier moment. »
Les choses sont un peu différentes avec les couples de lesbiennes. « On prend plus le temps, on discute davantage avant et au moment même. » Quand elles sont en couple, il arrive que Lionel reste avec elles dans la chambre. « Elles se caressent devant moi, c’est plus facile. Je les regarde et ça m’aide. Je suis un homme tout de même ! », insiste le donneur, sourire en coin.
« J’ai du bon sperme »
Comme Yvo, Lionel met lui aussi en garde les femmes contre les autres donneurs. « Certains ne sont pas du tout respectueux. Ils font ça uniquement pour le sexe. Une femme m’a un jour montré les messages qu’elle recevait. C’était du genre “j’ai du bon sperme, t’en veux ? On baise quand tu veux !” Il y a aussi ceux qui disent qu’ils font ça gratuitement mais qui réclament de l’argent au dernier moment. »
Catherine Houba est gynécologue-obstétricienne au Centre de procréation médicalement assistée du Chirec à Braine-l’Alleud. Elle incite à la prudence. En soulignant l’importance des tests sanguins, par exemple. « C’est essentiel pour ne pas transmettre de MST. » Elle rappelle également que d’autres tests sont pratiqués dans les CPMA pour éviter les maladies génétiques. « Par exemple, on refuse systématiquement les dons de ceux qui souffrent de diabète, de schizophrénie, d’hypertension sévère ou encore de mucoviscidose. »
Autre risque : la consanguinité. D’après la loi belge, le sperme d’un même donneur ne peut conduire à des naissances chez plus de six femmes. Sur internet, il n’y a aucune limite. « Ma décision est prise, j’arrête… J’estime avoir fait du bon travail en tant que donneur avec plus de 65 grossesses », indiquait par exemple Francis David après avoir officié pendant plus de 10 ans sur le groupe Facebook « Don de sperme et soutien ».
En dépit de ces risques, qu’est-ce qui pousse des femmes à se tourner vers le don « sauvage » de sperme ? Pour le Dr Houba, c’est avant tout une question de délais. Un moyen de ne pas devoir attendre six mois à un an avant d’obtenir un rendez-vous dans un CPMA. Elle évoque aussi le coût. « Sans mutuelle en Belgique, il faut compter environ 300 euros pour l’insémination et 225 euros pour la paille de sperme. À cela s’ajoutent le suivi de cycle, les prises de sang et les analyses qui les accompagnent. En tout, le budget atteint facilement plus de 1 000 euros, 450 avec une mutuelle. »
Yvo avance une autre piste : certaines femmes optent pour le don sauvage de sperme parce qu’elles veulent à tout prix rencontrer le géniteur de leur enfant. « Elles souhaitent se faire une idée de la personne, se rassurer plutôt que de tomber enceinte d’un donneur anonyme. » Yvo a même créé une adresse mail spécifique pour permettre aux enfants nés de ses dons de le contacter à leur majorité. « Parce qu’une seule rencontre, plus tard, dans un lieu neutre où je lui explique qui je suis et ma démarche peut permettre d’éviter bien des souffrances. Un enfant a le droit de connaître ses racines. »
Signer son crime
Ce n’est que dans un second temps que le donneur signe généralement un document dans lequel il s’engage à ne jouer aucun rôle dans la vie future de l’enfant. Pour les donneurs, c’est une façon de se protéger contre une demande de reconnaissance en paternité. Pourtant, comme le rappelle le Dr Houba, un tel document n’a aucune valeur juridique. « Un juge pourrait très bien décider, dans l’intérêt de l’enfant, d’imposer un test de paternité. » Yvo est parfaitement conscient des risques qu’il prend. C’est pour cela qu’il ne signe jamais aucun document. « Pour moi, ce serait comme signer mon crime. »