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M.-C. Marghem : un accroc sans plan

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Colin Delfosse. CC BY-NC-ND.

De mémoire de politologue, aucune campagne électorale belge n’a jamais eu comme priorité le climat ou l’énergie. C’est donc inattendu : le bilan de Marie-Christine Marghem se trouve au cœur des débats. Pas sûr que tout le monde s’en réjouisse au MR.

Le 2 décembre dernier, la manifestation « Claim the Climate » rassemblait plus de 70 000 personnes à Bruxelles. Événement doublement inédit, par son ampleur d’abord, par le fait que Marie-Christine Marghem, ministre fédérale en charge du dossier et à ce titre première destinataire du message des marcheurs, y impose sa présence – les mauvaises langues diront que c’est sans doute ce qu’elle impose le mieux – avant de se rendre en avion à Katowice pour une réunion COP24 de quelques heures où elle n’ouvrira pas la bouche.

Ce jour-là, la Belgique est quasiment sortie du nucléaire : un seul des sept réacteurs nucléaires installés sur notre territoire reste en activité. Un résultat qu’Olivier Deleuze, le père de la loi de sortie du nucléaire imposée par Écolo 15 ans plus tôt, n’aurait jamais espéré si rapide. De tous les prédécesseurs de M.-C. Marghem au gouvernement fédéral (soit, depuis Olivier Deleuze : Fientje Moerman, Paul Magnette, Melchior Wathelet et Catherine Fonck), qui peut se prévaloir d’un bilan aussi « resplendissant » ? Réussir à enfin imposer les enjeux climatiques au sommet des priorités politiques, tout en renvoyant le nucléaire à un lointain souvenir…

Seuls inconvénients : la présence de la ministre à la manifestation ne semble pas du goût d’une bonne partie des marcheurs, qui y voient moins de convergence que de récupération (un groupe Facebook est même créé pour encourager ses membres à prendre un selfie ironique avec elle). Quant à l’extinction quasiment complète du parc nucléaire, elle n’est ni définitive, ni planifiée, ni rassurante. Elle résulte plutôt de 15 années de tâtonnements, d’hésitations, de « jeu de la montre » et d’absence complète de vision, marquées récemment par la découverte de fissures – de moins en moins micro – dans les centrales, la distribution de pilules d’iode à la population et les annonces répétées de risque de black-out. Si la Belgique est de facto quasiment sortie du nucléaire en décembre 2018, c’est en contradiction flagrante avec la décision contestée de la ministre… de prolonger de dix ans la durée de vie des réacteurs de Doel 1 et 2. En termes d’approvisionnement énergétique, la Belgique est moins sortie du nucléaire qu’entrée dans le chaos. Et s’il fallait résumer la situation, c’est sans doute aux mots d’une Agence tous risques dyslexique qu’il faudrait recourir : « J’adore qu’un accroc se déroule sans plan. »

Mustang 100 000 volts

Sortir du nucléaire et réduire les émissions de CO2, ces deux objectifs résument la quadrature du cercle de notre politique énergétique : s’il est de moins en moins populaire, l’atome demeure une des sources d’énergie les moins émettrices de CO2 et la Belgique y fait un recours beaucoup plus intensif que ses voisins, à l’exception de la France, dans son approvisionnement en électricité. De 2014 à 2019, la personne choisie par le MR pour résoudre ce casse-tête se nomme donc Marie-Christine Marghem. Le totem que la Tournaisienne âgée aujourd’hui de 55 ans avait gardé de ses années chez les guides paraissait de bon augure. Quoi de plus énergique et déterminé que le « Mustang » dont elle avait été affublée ? Si le totem s’avérait prometteur, que dire alors du « quali » de 100 000 volts qui s’y ajoute ? À l’encéphalogramme plat de la politique énergétique belge devaient succéder des électrocutions en chaîne !

Prometteuses, les circonstances l’étaient un peu moins. Sa nomination à l’Énergie, à l’Environnement et au Développement durable, Marghem la doit peu à son intérêt pour ces sujets – chacun s’accorde pour dire que si le CD&V ne l’avait pas réclamé, le portefeuille de la Justice lui aurait mieux convenu, au vu de sa carrière d’avocate et de ses investissements parlementaires préalables. C’est en réalité une triple caractéristique personnelle, géographique et clanique qui a joué. Être femme (dans un gouvernement qui en compte très peu), hennuyère et fidèle à la famille Michel. Dans les guerres intestines qui l’opposent à Didier Reynders au sein du Mouvement réformateur, la députée s’est toujours tenue du côté de Jodoigne et de Wavre. Même si ses adversaires les plus acharnés n’ont pas remis en question sa capacité à investir rapidement des dossiers qui lui étaient étrangers, sa nomination a laissé un goût amer à deux des ministrables libéraux plus férus qu’elle en matière énergétique : David Clarinval et Jean-Luc Crucke.

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Bernard Libert. CC BY-NC-ND

Un si lourd héritage

À cette opposition interne s’en rajoute une autre, interne au gouvernement celle-là. Chez certains partenaires de la majorité, N-VA en tête, le respect du principe de sortie du nucléaire relève moins de l’engagement convaincu que d’une concession à ce qu’ils vivent comme une forme idéologique de « politiquement correct ». Les déclarations récentes de Bart De Wever en faveur de la construction d’une centrale nucléaire « de nouvelle génération » l’attestent aujourd’hui de manière beaucoup plus claire que pendant la législature.

Contestée au sein de son parti, peu soutenue au sein de son gouvernement, Marie-Christine Marghem hérite en outre d’une dizaine d’années de gestion du secteur énergétique au fédéral où quatre ministres issus de trois partis (Open-VLD, PS et CDH) n’ont pas privilégié une logique de continuité, ni, pour la plupart, placé la volonté de sortir du nucléaire au cœur de leurs priorités. À cette faiblesse structurelle s’ajoute le rôle dominant d’Electrabel. Cette société est « le » véritable cabinet fantôme de l’énergie – ou, en matière nucléaire, le cabinet de l’énergie fantôme. Tous les leviers décisionnels sont passés à Paris, au sein d’Engie, sa maison mère. Pour être clair, les enjeux de durabilité et les logiques d’investissements de long terme nécessaires à la transition énergétique y pèsent peu au regard de la rentabilité de centrales nucléaires déjà amorties.

Dans ces conditions peu favorables, tout plan de bataille solide suppose une capacité à forger des alliances solides avec certains des nombreux acteurs clés du système énergétique belge : forcément Electrabel et sa maison mère Engie, Elia (gestionnaire du réseau de transport d’électricité), la CREG (Commission de régulation de l’électricité et du gaz), la galaxie – ou est-ce une nébuleuse ? – nucléaire, les gouvernements régionaux, etc. En l’occurrence, c’est moins la solidité des alliances qui a marqué cette législature qu’un festival de retournements. Et on pourrait les qualifier de machiavéliques s’ils avaient donné les résultats espérés.

C’est pas moi, c’est l’autre

La liste des volte-face est longue et loin d’être exhaustive. Après s’être ménagé les grâces d’Electrabel en réduisant le montant de la « rente nucléaire » qui lui est réclamée, la ministre libérale tient soudain la firme pour responsable des risques de black-out de cet hiver dans un tweet du 29 septembre 2018 : « Désolant de constater les effets du sous-investissement chronique dans certains secteurs stratégiques comme l’énergie ! Moi qui croyait (sic) que la sécurité était une priorité. »

Si la Belgique se dissocie des ambitions européennes en matière d’efficacité énergétique (abstention sur une proposition de directive) et d’énergies renouvelables (vote contre une directive) au lendemain de la manifestation du 2 décembre, elle en impute la faute à la Région flaman­de. Son prédécesseur, le CDH Melchior Wathelet, avait-il passé un appel d’offres en faveur de centrales au gaz nécessaires pour pallier la sortie du nucléaire ? Il est enterré en début de la législature au prétexte que l’Europe n’en voudra jamais, avant d’être ressorti quatre ans plus tard. Le dossier des provisions nucléaires (censées garantir le financement du démantèlement des centrales et le casse-tête de la gestion millénaire des déchets nucléaires) est au point mort ? C’est la faute de son administration qui ne fait rien. En termes de bilan, il ne surnage pas grand-chose de plus qu’un pacte énergétique qui prévoit une sortie du nucléaire pour 2025, sans que ne soient précisées les modalités permettant de donner quelque crédit à cette ambition.

Quoi qu’on puisse penser de ces multiples revirements et tentatives de disculpation, demeure au moins une pugnacité à toute épreuve et un véritable sens du combat. « Un ministre, ça ferme sa gueule ou ça démissionne », avait jadis clamé le Français Jean-Pierre Chevènement. À elles seules, les cinq années de Marie-Christine Marghem à la tête de la politique énergétique témoignent du fait que la maxime n’est pas parfaitement universalisable…

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La "Marghem-mobile" du MR Tournai. "Elle m’a porté chance trois fois" souligne M-C Marghem.
Bernard Libert. CC BY-NC-ND

« Compétences de merde »

Au fond, ce bilan que les optimistes qualifieront de contrasté ne diffère pas tellement de ce que les ministres et gouvernements précédents ont « réussi » à accomplir dans la recherche d’une vraie indépendance énergétique. Si différence il y a, elle réside dans la montée à l’agenda des questions climatiques. Aujourd’hui directeur politique d’Écolo, Michel Genet a organisé en 2009 une manifestation pour le climat, à l’époque où il s’épuisait chez Greenpeace : « 15 000 personnes, c’était du jamais-vu. Toutes les ONG étaient émerveillées. L’ampleur que le mouvement a prise aujourd’hui en dehors de toute société civile organisée ou en tout cas institutionnalisée était donc totalement imprévisible. »

Résultat à vérifier dans deux mois, la mère de toutes les élections sera marquée, beaucoup plus que quiconque ne pouvait l’imaginer, par les enjeux climatiques et énergétiques. Le mélange de promesses sans substance et d’attentisme qui avait caractérisé la politique belge jusqu’ici ne suffira plus à berner le quidam. Il se dit qu’au MR, lors de la distribution des portefeuilles ministériels de 2014, la réaction majoritai­re se résumait en quelques mots peu élégants : « C’est quoi, ces compétences de merde ? »

Le parti n’héritait en effet d’aucune compétence régalienne à l’exception des Affaires étrangères et celles qu’il avait à gérer tenaient plus du champ de mines que du tremplin électoral. Et encore, était-on encore bien loin de penser à l’époque qu’une de ces compétences « de merde » serait au centre de la campagne de 2019.

À lire la virulence des attaques de ceux qui – Johan Vande Lanotte (ex-ministre SP.A) et Jean-Marc Nollet (coprésident d’Écolo) en tête – portent à la Chambre la contestation de la politique du gouvernement en matière d’énergie, le totem de la ministre se fait moins prometteur qu’ironique. Et la vigueur renouvelée des manifestations pour le climat semble parachever la transformation de Mustang 100 000 volts en Autruche black-out.

Ultime ironie : le point le plus saillant de son bilan, c’est peut-être d’avoir contribué à relancer la carrière politique de son « meilleur ennemi », Jean-Marc Nollet, celui qu’avec son homologue flamand Kristof Calvo, elle surnomme Doel 1 et Doel 2. Plombé par le dossier du photovoltaïque, celui-là apparaissait comme le moins bien placé pour porter haut les couleurs écologistes au Parlement sur les questions énergétiques. Sans Marie-Christine Marghem, aurait-il été tout simplement concevable qu’il se présente à la coprésidence d’un parti dont les attaques répétées envers la ministre semblent être un des ingrédients de sa bonne forme actuelle ?

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La Marghem-mobile toute renversée, en mai 2017.
Bernard Libert. CC BY-NC-ND
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