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Les à-côtés de la plaque

plaque-immatriculation
Ludwick Hernandez. CC BY-NC-ND.

Cet été, vous avez peut-être demandé à vos enfants de compter le nombre de plaques belges sur l’autoroute des vacances. Aujourd’hui, c’est votre jour de chance : vous allez apprendre combien a payé l’heureux propriétaire de l’immatriculation 17-Milou et pourquoi nos plaques font de nous des êtres uniques en Europe.

S’il avait lu quelque chose là-dessus, il s’en souviendrait. Mais ce n’est pas le cas. Alain Dupont va fouiller dans ses archives mais ne trouvera rien. Comment expliquer ce « rouge » sur fond blanc ? L’homme était pourtant bien placé pour nous répondre : il collectionne les plaques d’immatriculation belges, loisir parfois coûteux, et scrute leurs reliefs historiques depuis qu’une loi sur la police de roulage a obligé les usagers du bitume et de la terre battue à en apposer une sur leurs véhicules. C’était en 1899, âge de l’émail, quand les plaques étaient noir et blanc, avant de devenir blanches sur fond bleu. Puis, en 1928, sans que Monsieur Dupont ni nous-mêmes ne puissions encore expliquer pourquoi, les plaques sont devenues rouge et blanc. Du rouge comme sur la langue du lion du duché de Brabant, qui expliquerait la présence de cette couleur sur le drapeau belge.

Médor est toutefois en mesure de vous délivrer une information clé : nos plaques rouge et blanc font de nous des exceptions européennes. Nous sommes le seul pays de l’Union à ne pas avoir opté pour des lettres et des chiffres noirs, pourtant plus lisibles selon les canons graphiques.

Rubis sur courbes

Ce rouge n’est pas n’importe quel rouge, peint au gré des humeurs d’un fournisseur officiel. La couleur est imposée par le législateur (qui appelle d’ailleurs la « plaque » une « marque », dans les textes de loi). Depuis 2010, il s’agit du RAL 3003, un rouge rubis qui équivaut à un Pantone 704 – au cas où vous chercheriez à repein­dre les murs de votre appartement.

En Belgique, pays du débat de fond et des projets essentiels, une polémique a agité les travées parlementaires lorsqu’il s’est agi de fixer cette couleur, à un moment où l’on adaptait les plaques aux normes européennes. Étienne Schouppe, secrétaire d’État à la mobilité issu du CD&V, pensait remplacer le rouge et blanc par deux couleurs qui l’arrangeaient sur deux tableaux : le jaune et le noir. En plus de ressembler étrangement aux poteaux de circulation et au drapeau flamands, ils offraient, il est vrai, des garanties de contraste et de visibilité importantes. Laurette Onkelinx et le cdH, à l’époque de leur grand amour, monteront au créneau pour fustiger ce choix, et la Belgique optera pour le rouge rubis.

Il n’y aura pas d’embardée communautaire au final et le rouge rubis sera adopté. Encore un grand compromis dans l’escarcelle nationale, au grand dam de Touring Secours et du Syndicat national du personnel de police et de sécurité, qui auraient aimé que la lisibilité passe en priorité.

Très codifiés par la loi quant à leur taille et leur couleur, les caractères de nos plaques échappent parfois aux formes rigoristes en se permettant d’arrondir un peu les angles des lettres, bien davantage que les Français, plus austères dans ce domaine minéralogique.

Mais un espace de liberté graphique plus large encore s’offre aux usagers belges : la possibilité de « tuner » sa plaque à sa meilleure convenance. Contre 1 000 €, l’automobiliste peut abandonner l’austère combinaison de chiffres et de lettres contre une tournure de son cru, à condition de respecter quelques conditions. L’une des principales, c’est que la plaque ne peut pas contenir uniquement des chiffres. Ah oui, on ne peut pas non plus personnaliser la plaque de son tracteur, hélas.

Dans le monde anglo-saxon, où est né le phénomène, on appelle cela une « vanity plate ». Une plaque de vanité. Répandue en Europe de façon plus ou moins permissive, cette opportunité de tuning appréciable est particulièrement usitée en Belgique. Entre mars 2013 et mi-juin 2018, 19 079 plaques ont été réalisées.

La magie du « lol »

Médor, toujours en quête de sensations, a contacté le SPF Mobilité pour savoir qu’elles étaient les inscriptions les plus truculentes depuis l’élargissement des conditions de personnalisation, en 2014. Claude Pourtois, responsable communication de la DG Transport routier et sécurité routière, a dû nous décevoir. Une plaque est une donnée personnelle : le respect de la vie privée s’applique à elle aussi. Le web étant un ami de longue date, nous avons découvert un florilège dans les images qu’il charrie : de la fantaisie LOL, RD-D2, Batman-1, 17-Milou, Oufti, du politiquement engagé Notax, Police, de l’hommage artistique Zucchero, du bon goût évitant la censure de la DIV FCUK-OFF. Un site, licenceplate.be, recense une cascade de plaques de ce style et affiche près de 10 000 abonnés à sa page Facebook. De quoi convertir les trainspotters et occuper la rentrée au travail.

Esprits extrêmes, ne vous réjouissez pas trop vite : vous ne pourrez pas mettre ce que vous voulez sur votre plaque. Une liste noire de 120 combinaisons refusées existe. « Elles ont trait à l’histoire – nazisme –, à des noms de dictateurs ou sont des insultes », précise Claude Pourtois. Hormis ces tournures interdites, le champ des possibles reste large pour les épris de customisation onéreuse. L’État belge espère que la mode va perdurer. En décembre 2015, il faisait passer le prix de 1 000 à 2 000 €. Pour faire marche arrière un an et demi après. La demande s’effondrait.

Jusqu’à aujourd’hui, ces plaques ont rapporté 19 millions d’euros. Les soubresauts de la vanité humaine, l’État belge s’en frotte les mains.

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