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Prendre le large

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Colin Delfosse. Tous droits réservés.

Caché sous une mer de dunes, entre Bredene et Le Coq, se niche le Zeepreventorium, un ancien sanatorium aujourd’hui reconverti en centre pédiatrique de revalidation unique en son genre. Cet établissement au style Art déco traite des centaines d’enfants et d’adolescents frappés d’obésité morbide, dans le cadre d’un programme, « Mens sana in corpore sano », de douze mois qui combine alimentation saine, activités sportives et vent du large. Médor a suivi le parcours de ces jeunes pendant une année scolaire.

Le 5 juillet 2017, 22 adolescents se rencontrent dans la cour du Zeepreventorium. La classe des Piranhas – les aînés du centre – est composée d’une quinzaine de Flamands, d’une poignée de Wallons et de quelques Bruxellois réunis dans un même but : perdre du poids. Les échanges sont timides, tout en retenue. Une heure plus tard, Myriam, Julien et les autres font leur première sortie de groupe dans les rues du Coq bordées de villas cossues, derniers reliquats architecturaux de la Belle Époque, lorsque la bourgeoisie belge venait s’y faire soigner. Les vacanciers, nombreux en ce mois de juillet et visiblement dans un autre état d’esprit, jettent des regards indiscrets vers les nouveaux venus. Les jeunes tentent de se glisser entre les joueurs de mini-golf à chapeau et les couples de vieux en bermuda.

Invisibles ou trop visibles

« Quand on leur demande la raison de leur inscription au Zeepreventorium, les jeunes nous répondent : “Parce qu’on ne me voit pas, ou parce qu’on me voit trop”, raconte Karel, un des animateurs qui travaille là depuis 25 ans. Il y a autant de problèmes que de jeunes : des divorces, des incestes, des problèmes sociaux, psychiatriques, des pourris gâtés, etc. Ils ne se rendent pas compte.
Ces jeunes sont rarement confrontés à eux-mêmes. Notre rôle est de les mettre devant un miroir. »

Le manque d’activité physique et les habitudes alimentaires ne sont pas les seules causes de la maladie. S’ajoutent l’environnement et les attitudes qui ont une forte influence sur l’obésité. « Les gens qui nous voient pensent que notre obésité est juste liée à la nourriture, alors que c’est pas forcément ça. » Pavlina, 18 ans, explique comment elle a franchi le pas et quitté son village de Taintignies (près de Tournai) pour le Zeepreventorium. « Pendant longtemps, j’ai vu des psychologues et des diététiciennes, j’ai essayé de faire régime. Parfois, je perdais du poids, puis je le reprenais assez vite. Je me suis dit que je devais faire quelque chose sinon j’allais être encore plus malheureuse parce que je me sentais mal dans mon corps. »

Une fois entrés au centre, les jeunes sont totalement pris en charge. Durant une année scolaire, ils sont logés, nourris et suivis. Le coût abordable du séjour (sept euros par jour) le rend accessible à tous, le logement, les repas, vêtements de sport et interventions médicales étant pris en charge par l’INAMI.

Une épidémie

Le monde compte de plus en plus d’obèses et la Belgique ne fait pas exception. Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), 12 % de la population adulte belge souffre de cette maladie. Chez les adolescents, le chiffre grimpe à 20 %. L’OMS va jusqu’à parler de risque d’« épidémie » d’ici à 2030. En Flandre comme en Wallonie, les réponses à cette menace sont encore… minces. Le Zeepreventorium fait figure d’exception dans le paysage. Construit en 1925 pour les tuberculeux à la station balnéaire de « Coq-sur-Mer », le centre soigne également les problèmes d’asthme, de mucoviscidose et, depuis les années 80, l’obésité.

À l’opposé des traitements de choc, le centre aborde le problème dans le temps long. Les deux premiers mois de vacances permettent de s’acclimater et de dompter ses peurs avant la rentrée. « Le plus difficile, c’est d’être loin de chez nous, de ne pas rentrer à la maison. Il faut gérer l’école et notre thérapie en même temps : les cours, les séances de kiné, le sport, les rendez-vous chez la diététicienne et les psychologues. C’est compliqué à assumer, mais une fois qu’on a compris le truc c’est bon ! »

Pour le Zeepreventorium, la distance avec la famille est primordiale pour installer de nouvelles habitudes, pour passer d’une vie « passive » à une vie « active ». Mais être coupé de son milieu est aussi ce qu’il y a de plus difficile pour les jeunes. Sur les 22 « Piranhas », cinq ont quitté le groupe en cours d’année, la plupart pour cette raison. Mois après mois, les autres finissent par trouver leur place dans le groupe. « Avant, nous étions les Beach Boys, mais on a changé le nom en Piranhas quand le centre s’est agrandi. On a choisi ce petit poisson avec des dents, car quand il mord il ne lâche plus », raconte Karel.

Dès septembre, les élèves sont autorisés à retourner tous les week-ends chez eux. « Deux fois par semaine, la nutritionniste vérifie notre poids. Le lundi quand on rentre de week-end et le vendredi avant de partir », explique Pavlina. En moins de huit mois, la majorité des jeunes sont devenus méconnaissables. Tous ne sont pas minces, mais ils ont changé. Pour Karel, l’essentiel est qu’ils modifient le paradigme : « Perdre du poids, ça ils en perdent tous ! Mais on voudrait qu’ils voient leur vie sous une autre perspective. Beaucoup de jeunes ne savent pas ce que le futur leur réserve, ce qu’ils vont faire de leur vie. Et s’ils peuvent nous quitter avec une vue claire de ce qu’ils feront après, on aura réussi. Notre rôle, c’est aussi de les former à prendre leur vie en main. » Plus qu’une cure, c’est un apprentissage social.

Tous semblent marqués par l’expérience, parfois de manière indélébile, comme Silke et Océane, qui se sont fait tatouer la date de leur entrée au Zeepreventorium sur l’avant-bras, en chiffres romains. « Ce qui a changé c’est qu’on est plus honnête avec nous-mêmes », témoigne Pavlina. Et, même si l’expérience est rude, d’aucuns appréhendent le retour : « Ici, on a des obligations. À la maison, ça ne dépend que de toi ! » Retourner dans sa famille, dans son ancienne école, affronter les autres. « Ce qui va être compliqué, c’est le retour à la réalité. Ici, c’est un peu un monde à part. » Dans cette société où tout est apparence, le regard des autres façonne l’identité. Notre mépris des gros, notre honte des obèses entravent ce chemin de l’acceptation de soi.

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