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Marche ou crève

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Ismael Bennani & Orfée Grandhomme. CC BY-NC-ND.

Marche-en-Famenne est un commerce à remettre. Les ministres wallons Collin et Borsus rêvent de le reprendre des mains d’André Bouchat (cdH), bourgmestre depuis 32 ans ! Sous son règne, la ville est devenue un pôle économique régional, construit en dur. À défaut d’un modèle de développement durable et de cohésion sociale.

La ville-shopping

Marche compte une trentaine de statues et de sculptures monumentales. Mais les visiteurs pressés ne verront que celle-ci : un totem de grandes marques, avec le logo du constructeur local Houyoux. Il trône à l’entrée du shopping de la Pirire et ses 35 hectares (et demi) de bâtiments alignés qui accueillent les chalands de toute la région et aspirent leurs voitures. Ici, c’est « Mon rêve, ma cuisine » ou celle de « Ma vie » qui jouent les hôtesses d’accueil, là où Mons a confié ce rôle à Ikea, Louvain-la-Neuve à l’Esplanade ou Charleroi à Ville 2. La Pirire concentre 40 % des points de vente de la ville, sur des surfaces de 600 m2 en moyenne. Pour Yves Hanin, professeur d’urbanisme et de développement territorial à l’UCL, Marche a quelques atouts commerciaux : une localisation au carrefour de grands axes (dont la nationale 4) et assez éloignée d’autres villes de tailles équivalentes, potentiellement concurrentes. « Le zoning de Rochefort est très fortement impacté par la présence de Marche, relève Estelle Nicolay, de l’Association du management de centre-ville (AMCV). Ciney, qui n’a pas choisi un positionnement tellement clair, souffre aussi beaucoup. »

Le désert du centre

Au début de son ère, en 1989, le bourgmestre André Bouchat (cdH) attribuait au promoteur Houyoux une église désaffectée et la caserne de pompiers attenante. Naissait alors le Quartier latin – son hôtel 4 étoiles, son centre de wellness et sa brasserie-restaurant qui sert de refuge aux Marchois après 19 heures. L’établissement cartonne, au cœur du joli mais tout petit piétonnier très propre et bien rénové qui fait office de centre historique. Mais ici, le succès du Quartier latin est l’exception : les commerces à l’ancienne (ceux qui tirent leur volet sur le temps de midi), en moyenne six fois plus petits que ceux de la Pirire, ont fermé les uns après les autres. Le taux de cellules vides pour 195 espaces potentiellement commercialisables dans le centre est de 18,5 %, contre 13 % à Namur et 14,5 à Bastogne (chiffres de 2015). « Je prête une attention particulière à la coordination entre les différents nodules commerciaux afin d’éviter la création de déséquilibres », déclare André Bouchat. Mais pour l’AMCV, le cœur de Marche souffre terriblement, comme tout centre-ville confronté à un développement périphérique intense. « Le piétonnier, le lifting du centre-ville, les pierres de pays, c’est un peu court comme projet de ville », déplorent Jean-Luc Calonger et Estelle Nicolay (AMCV). Marche-en-Famenne, centre-ville « en crise », voit toutefois poindre un néon d’espoir : de petits commerces qualitatifs apparaissent, des artisans qui ne peuvent pas se payer les loyers de la périphérie. Pas encore un vrai processus de recommercialisation mais, peut-être, un pas dans cette direction.

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Ismael Bennani & Orfée Grandhomme. CC BY-NC-ND
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Ismael Bennani & Orfée Grandhomme. CC BY-NC-ND
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Panneaux publicitaires le long de la N4 et files autour du zoning de la Pirine.
Ismael Bennani & Orfée Grandhomme. CC BY-NC-ND

Le roi-bâtisseur

Le bourgmestre de Marche, André Bouchat (78 ans), en place depuis 1986, s’est imposé en tant que roi­- ­bâtisseur de la capitale de la Famenne. Sa philosophie : « Nous, les politiciens, ne laissons rien. Vous, les architectes, laissez vos pierres. » Et, si possible, du pays ! Fan de sculptures monumentales, il a parsemé sa ville d’œuvres d’artistes locaux, comme cette série « Élégances » en bronze poli devant le bâtiment de la Maison du Tourisme Famenne-Ardenne Ourthe&Lesse aux airs de Guggenheim ardennais. Colruyt veut s’implanter sur le boulevard qui fait la jonction entre les différentes parties de la ville ?

D’accord, mais à condition que son logo orange soit collé sur de la pierre bleue. À Marche, on ne rigole pas avec le bon goût. La majorité cdH-PS, qui a du béton dans les entrailles, a-t-elle oublié qu’à la fin du XIXe siècle, une partie des terrains abritant désormais le Wallonie Expo (WEX pour les fidèles) avaient été légués par un certain Victor Libert, notable marchois, dans le seul but de bénéficier aux « vieillards indigents et malades » ? « Ceux-ci n’en auront pas vu la couleur », critique Jean-Pierre Georgin, chef de l’opposition MR au conseil communal. L’AMCV abonde dans ce sens : une ville, on la fait pour les gens, pas pour l’esthétique. Et l’association conseille une réappropriation citoyenne de l’espace public. À commencer par la minérale place des Foires, qui donne à voir une ligne esthétique forte mais ne donne pas envie d’y pique-niquer et dont la rénovation vient de faire l’objet d’une consultation citoyenne.

Combat de coqs

Bouchat est aussi député wallon. Sur la malbouffe, le commerce des armes ou l’avenir des institutions, on ne l’entend guère à Namur. Il n’est pas homme de débats mais d’action. Ses collègues, il les impressionne en ayant réussi à transformer son petit pré aux portes de la province de Luxembourg en un vrai pôle régional. Marche compte deux parcs d’activités économiques (commerces et entreprises), une caserne de pompiers, une prison, un centre de congrès et de spectacles, le WEX, qui accueille Julien Clerc, Jamel Debbouze ou le « Salon des mandataires ». Ça en fait de l’activité pour une ville de 17 500 habitants ! Les huiles de la politique locale l’ont bien compris. Lors des prochaines élections communales, en octobre prochain, Marche sera le théâtre d’un fabuleux combat de coqs : se présentent sur ces terres fructueuses le ministre wallon de l’Agriculture, René Collin (cdH), et le chef du gouvernement wallon, Willy Borsus (MR), surgi de ses forêts de Somme-Leuze. Mais le gagnant aura du boulot sur la route. Pour l’urbaniste Yves Hanin, Marche-en-Famenne est un moteur économique « super-performant » dont les résultats ne percolent pas auprès de la population. Le taux d’emploi des 15-64 ans y est, par exemple, inférieur à celui de villes limitrophes (60 % à Marche, 62 % à Ciney en 2016). Et « le revenu moyen par habitant est inférieur aux moyennes de référence, particulièrement celle de la province de Luxembourg », admet André Bouchat. « Jusqu’ici, la priorité a été accordée aux magasins et à la visibilité de la ville », récapitule Nicole Graas, de la locale Écolo de Marche-en-Famenne. Willy Borsus, quant à lui, promet « d’apporter un urbanisme à visage humain » et de travailler aux problèmes de mobilité et d’insécurité naissante. Bouchat, qui a longtemps maintenu le suspense sur sa décision de se présenter, serait, selon René Collin, en dernière place de la liste cdH.

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Bâtiments et enseignes de Marche-en-Famenne.
Ismael Bennani & Orfée Grandhomme. CC BY-NC-ND

Dormir à Marche

Après avoir ravalé la façade du commerce, Bouchat s’attaque au logement, avec comme objectif de faire passer sa ville de 17 500 à 20 000 habitants. « Bouchat n’a eu aucune opposition pendant trente ans, mais maintenant elle se lève devant la pression pour arriver à 20 000 habitants, assure Jean-Pierre Georgin (MR). On a prostitué à outrance nos terrains dans le but d’un développement quantitatif – qui ne sera plus du tout qualitatif d’ici 15 à 20 ans. » Dans son viseur, notamment, le projet mené par Houyoux d’un immeuble à six niveaux (R+6) dans le quartier de Notre-Dame. Les riverains ont demandé une dépollution des sols, une intervention des Monuments et Sites afin de respecter la chapelle de Notre-Dame des Grâces, une limite du bâti à R+4, et une réflexion sur la mobilité correspondant à cette augmentation du logement. Leur recours à la Région a été débouté par le cabinet Di Antonio (cdH) début mars 2018. Mais en parallèle à la course au logement, social et de standing, des initiatives de l’équipe Bouchat visent aussi à varier le type d’activités en centre-ville : un master en Architecture des systèmes informatiques, en collaboration avec les Universités de Liège et de Namur, une école de lutherie, un espace voué au cotravail et à l’entrepreneuriat, etc.

L’enseignement de Marche

La carte postale de Marche version 2018 s’inspire du controversé Learning from Las Vegas, un essai d’architectes américains des années 1970 vantant la couleur aguichante des néons, rangés le long des axes rectilignes. Fichu modèle. Sans les lumières et les casinos, Vegas redevient le néant dans le désert. Sans ses commerces, que devient Marche ? Une ville à taille humaine ou un trou perdu dans la Famenne ?

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Design par l’usager.
Ismael Bennani & Orfée Grandhomme. CC BY-NC-ND
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