Vesdre : Une rivière à réparer

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Depuis juillet 2021, deux stations d’épuration et plusieurs kilomètres de collecteurs d’eau sont hors service sur la rivière. Les travaux à réaliser sont complexes. Ils seront finis en 2024, s’engage l’intercommunale de gestion des eaux AIDE. La pollution qui en découle nuit fortement aux poissons, et montre le coût environnemental à long terme des inondations.

« Mais au fait, ça en est où les travaux sur les stations d’épuration de la Vesdre ? Ça commence à durer, non ? »

La question revient souvent, depuis deux ans, au hasard de rencontres entre sinistrés, naturalistes ou citoyens lambda. En juillet 2021, les ouvrages qui servent à la collecte et l’épuration des eaux usées dans la vallée ont été lourdement touchés par les inondations.

Deux stations d’épuration, à Wegnez et Goffontaine, deux villages situés sur le territoire de Pepinster, sont toujours hors service. Les médias ont largement relayé les conséquences. « La Vesdre et la Hoëgne, ‘égouts à ciel ouvert’ », titrait Le Soir en juillet 2022, un an après la catastrophe. Pourquoi les travaux prennent-ils autant de temps et qu’est-ce que cela nous dit sur la gestion des eaux usées sur ce territoire ?

La réponse devait venir de l’Association intercommunale pour le démergement et l’épuration des communes de la province de Liège (AIDE). Cette intercommunale à 100 % publique a envoyé à Médor un ingénieur du service 7, en charge des études et travaux. Benoît Piron est même venu jusque dans ma cuisine, ordinateur dans la sacoche. La rétrospective des évènements a pris du temps. Et le moins qu’on puisse dire, c’est que la situation n’a pas été simple.

« Une septantaine d’ouvrages ont été mis hors service par les inondations. Essentiellement sur la Vesdre et l’Ourthe. La Meuse nous a épargnés. » Par ouvrages, Benoît Piron entend des éléments du réseau d’assainissement, qui prend en charge les eaux usées. Ce sont par exemple les égouts qui passent dans la rue, le réseau de collecteurs qui réceptionne l’eau des égouts, ou encore des stations d’épuration.« Lorsque l’eau s’est retirée, il a fallu faire un état des lieux. Cela a pris des milliers d’heures. En quelques semaines, voire quelques mois, la plupart des ouvrages ont pu être remis en service. » La station d’épuration de Membach (à l’ouest d’Eupen), par exemple, est en état de marche. En aval, en direction de Liège, c’est plus compliqué.

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La station d’épuration de Goffontaine devrait être remise en service à la mi-2024.

Le prix de l’aluminium

« Quand on a vu que la station de Wegnez et celle de Goffontaine, près de Pepinster, étaient sous l’eau, on a vite compris qu’on avait un problème, notamment au niveau de l’installation électrique. Par chance, les bâtiments des deux stations sont restés en bon état. » Un premier appel d’offres pour une étude préparatoire sur la réparation ne reçoit qu’une seule réponse. Avec un prix beaucoup trop haut pour l’AIDE. Le marché est révisé, deux autres sociétés répondent enfin, avec un prix plus correct. Le parcours d’obstacles n’est pas fini. Pour la réparation en elle-même, « on a décidé de faire deux marchés pour aller plus vite. Une partie électromécanique, et, pour gagner du temps, un marché pour les transformateurs à haute-tension. » Zéro réponse pour ce dernier !

Des délais de livraison de 12 à 18 mois pour l’aluminium refroidissent les rares sociétés qui auraient pu y répondre. Elles ne veulent pas s’engager sur un prix qui aura peut-être explosé au moment de recevoir la marchandise. C’est la queue de comète de la mondialisation… Les pénalités prévues dans les marchés en cas de retard de livraison peuvent décourager aussi. « Mais c’est au moins la garantie que les entrepreneurs ne s’engagent pas n’importe comment », explique Benoît Piron.

Les chantiers de remise en état ont finalement été commandés. Ils sont en cours de réalisation. La station de Goffontaine doit être terminée mi-2024. Coût des travaux : 2,9 millions d’euros. Celle de Wegnez devrait redémarrer fin 2024. Plus douloureuse encore : 5 millions. Mais il y a aussi le collecteur d’égouts. Et là aussi, de nombreux citoyens ne comprennent pas pourquoi il n’est toujours pas opérationnel entre Goé et Goffontaine, aux alentours de Verviers.

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Travaux de réparation d’une conduite d’eau, à Renoupré.

Le collecteur et les mille chambres

Dans les années 60, une ancienne intercommunale a décidé de placer une grande partie de cette conduite, cruciale pour l’évacuation des eaux usées… sous le lit de la rivière. Généralement, les collecteurs se trouvent à côté. Pour vérifier son état ou l’entretenir, on y accède grâce à des chambres de visite, qui peuvent être situées à même la rivière. Il y en a plus de mille dans la vallée de la Vesdre. Benoît Piron décrit ce qui s’est passé pour ce collecteur de tous les enjeux, les 14 et 15 juillet 2021. « Sans mauvaise blague, certaines chambres de visite situées au milieu de la rivière se sont prises des voitures qui flottaient sur l’eau. Des déchets, du gravier se sont infiltrés dans le collecteur. Parfois, celui-ci se situe quand même vers la berge. Mais des berges ont été ravinées et le collecteur mis à nu. Il a fallu un temps considérable pour établir un diagnostic précis des dégâts. »

Dans ces cas-là, les travaux se déroulent en deux phases : on cure le collecteur, on le nettoie, et on fait une endoscopie avec une caméra qui plonge dedans pour voir s’il n’y a pas des dégâts structurels. Comme à la maison, quand une canalisation se bouche de manière anormale. Ensuite, un entrepreneur fait les travaux éventuels. Ici, en l’occurrence, la remise en service entre Goé et Goffontaine est prévue pour fin 2024, maximum. Était-il possible de complètement repenser le collecteur en fonction de futures inondations, sur un tel laps de temps ? Non, selon Benoît Piron. « Déplacer le collecteur sur la berge ou l’enterrer un mètre plus bas aurait coûté des sommes colossales et aurait pris des années de plus. »

Depuis la mi-juillet 2021, et ça durera encore une bonne année, les eaux usées qui arrivent à Goffontaine et Wegnez sont donc rejetées dans la Vesdre. « Je ne vais pas vous dire qu’elles sont épurées par le Saint-Esprit, lance Benoît Piron. Si la rivière a un pouvoir auto-épurateur, elle ne peut s’occuper de toute la charge qu’elle reçoit aujourd’hui. »

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À hauteur de Goffontaine, dans un paysage magnifique, la perte de poissons a été considérable.

Hécatombe chez les poissons

La Région wallonne ne cache pas la gravité de la situation. « En amont, de la source à Eupen, la Vesdre ne souffre d’aucun stigmate, explique Nicolas Yernaux, porte-parole du Service public de Wallonie (le SPW). La Vesdre moyenne, d’Eupen à Verviers, affiche une perte d’abondance de poissons (44 %) et de biomasse (67 %). » Pourtant, ici, les stations d’épuration et le collecteur (au moins jusqu’à Goé) sont opérationnels.

Le problème vient en partie des travaux de la Région dans la rivière. En juillet 2022, le Pêcheur belge, le magazine de la Fédération sportive des pêcheurs francophones, a étrillé les pouvoirs publics en raison ds pelleteuses présentes dans le cours d’eau. « Plusieurs dizaines de kilomètres de rivière » ont été anéantis. Des atterrissements, ces amas de sable, de galets, qui se forment en bords de rivière, ont été détruits.

Le SPW est conscient du problème mais veut défendre son travail. « Nous sommes les premiers à le regretter, car les atterrissements jouent un rôle crucial pour la protection de la faune ou l’auto-épuration des cours d’eau. Mais c’est oublier les tonnes de déchets que nous avons dû enlever des rivières. Il y a des atterrissements où des voitures étaient ensevelies. Par ailleurs, d’autres endroits de la rivière où nous avons travaillé ont été moins touchés. La sécheresse de 2022 a amené de très faibles débits et une eutrophisation de l’eau qui ont sans doute lourdement impacté la qualité de la Vesdre. »

C’est à la station de mesure de qualité de l’eau de Wegnez que la situation est la plus dramatique. Les mesures de la Région wallonne ont mis en évidence une perte de 90 % du nombre de poissons.

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La Vesdre a été modelée par l’économie. C’est ici, notamment, qu’est née la révolution industrielle en Belgique.

Algues en croissance

Nous avons montré ces mesures et ces graphiques à Jean-Pierre Descy, un expert en écologie aquatique, ancien professeur à l’Université de Namur et collaborateur scientifique à l’ULiège. Il a l’habitude d’effectuer ses propres mesures sur la Vesdre. À la lecture des données wallonnes, il tire quelques conclusions :

« Les concentrations en oxygène à Wegnez sont plus faibles qu’ailleurs. Ce qui indique la pollution par des effluents non traités. » Les effluents, ce sont les eaux usées.

Logique. Les deux stations d’épuration ne fonctionnent pas dans ce secteur. Mais les mesures en oxygène prises par le Pr. Descy à Pepinster, juste en aval de Wegnez, montrent des chiffres plus inquiétants en juillet 2022 et 2023 que ceux du SPW. Or, un manque d’oxygène dans l’eau est très mauvais pour les poissons.

« Il faut noter, dit-il, que les contrôles du SPW sont basés sur des prélèvements mensuels à des stations fixes. Ils ne sont pas appropriés pour mettre en évidence des situations critiques, par exemple lors de périodes de faibles débits en été. » Les concentrations en phosphore ou en ammonium montrent aussi une pollution par des eaux non traitées, poursuit Jean-Pierre Descy. « Cela explique notamment la forte croissance des algues vertes filamenteuses qui tapissent le fond de la rivière, de Goffontaine jusque Vaux-sous-Chèvremont. »

La Région wallonne se veut optimiste face à cette pollution qui, à la fin des travaux, se sera tout de même étalée sur plus de trois ans. Une fois les stations remises en service, elle annonce qu’elle continuera de surveiller le cours d’eau « pour s’assurer que le rempoissonnement naturel fonctionne ». Si ce n’est pas le cas, elle envisagera de lancer une campagne pour ramener des poissons. Tout serait donc bientôt réglé ?

Des eaux sales dans la Vesdre

Pas tout à fait.

À Verviers et en aval, les pêcheurs sont en colère. Mi-octobre, des truites de belle taille (30 à 35 cm) ont encore été retrouvées mortes dans la rivière. Une habitante du quartier de Renoupré a signalé la petite hécatombe à la Ligue royale des pêcheurs de l’est. On est bien en amont des stations hors-service. Des eaux polluées arriveraient encore dans la Vesdre.

Daniel Crul, le président de ce groupement de pêcheurs, pointe un autre lieu critique, en plein centre-ville de Verviers. Le ru de Dison s’y jette dans la Vesdre et contient des eaux usées. Il rappelle un incident qui remonte à cinq ans. En juillet 2018, un gros orage éclate dans la région. Des trombes d’eau arrivent dans les égouts qui se jettent dans le ru et font se décrocher des matières fécales et des déchets. Privés d’oxygène, les poissons à la confluence du ru et de la Vesdre, mais aussi bien plus loin, à Goffontaine, meurent en masse.

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Daniel Crul, président de la Ligue des Pêcheurs de l’Est, s’inquiète de la pollution du cours d’eau depuis des années.

La Ligue des pêcheurs de l’est attend un jugement en appel fin 2023. Ils ont poursuivi les communes de Verviers et de Dison suite à la perte de leur pêche. « Des eaux usées non épurées se déversent en effet dans la rivière, confirme Jean-Pierre Descy. C’est un problème qui ne sera pas résolu par la remise en service des stations, car ces eaux-là ne sont pas collectées. »

Début 2024, une étude hydraulique et hydrologique fort attendue servira à piloter les aménagements de la Vesdre prévus pour réguler au mieux son débit. « Il peut s’agir de laisser la nature recoloniser naturellement des sites, de ralentir l’écoulement des eaux avec des nouveaux méandres, de restaurer des zones humides dans le lit majeur des cours d’eau… », explique Nicolas Yernaux, le porte-parole de l’administration wallonne.

Les sommes investies seront importantes. De l’ordre de plusieurs dizaines de millions d’euros. Déjà, de plus petits projets ont été mis en place, appelés Quick Win. Notamment à Eupen, où « des travaux permettent d’encaisser des débits de plus de 50m³/seconde, contre 30m³ avant les inondations ».

Aller vers plus de résilience, c’est bien. Lutter mieux contre la pollution par les eaux usées, c’est autre chose. Il faudrait mener les deux de front.

Rendez-vous au prochain épisode, où l’on change de province en mettant le cap sur le Brabant wallon et une rivière qui déborde très souvent : la Dyle.

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  1. Phénomène qui se produit lorsqu’il y a un trop plein d’éléments nutritifs dans l’eau, surtout des nitrates et du phosphate, qui proviennent soit de phénomènes naturels, soit de l’activité humain (pollution agricole, par exemple). Les plantes aquatiques prolifèrent et font chuter la teneur en oxygène d’un cours d’eau, ce qui nuit à la faune aquatique, voire la fait disparaître.

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