Nuits blanches et fièvre jaune

Sur la piste du vaccin belge - Épisode 1/3

À la KU Leuven, un laboratoire de recherche peaufine son vaccin contre le Covid-19. Trop tard pour un vaccin belge ? « Pas du tout », répond Johan Neyts, virologue, que nous avons suivi dans sa course contre le virus. Une histoire qui commence… avant le début de la pandémie.

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Hugo Ruyant. CC BY-NC-ND

20 septembre 2019, environ trois mois avant l’apparition du coronavirus. Johan Neyts, virologue à l’Institut Rega (KU Leuven), se tient devant un parterre de scientifiques à Wuhan, en Chine. Sa conférence s’intitule : « Antiviraux, beaucoup a été fait, mais la route reste longue. » Il rappelle que des médicaments antiviraux ont été développés avec succès contre les virus de l’herpès, contre l’hépatite B ou C, la grippe ou le VIH. Que c’est déjà bien, mais que ça ne suffit pas. Qu’il y a d’autres virus causant des infections mortelles ou des pathogènes émergents ou négligés par la recherche et les décideurs politiques, et qu’il est nécessaire de développer des médicaments contre eux. Parmi ceux-là, la dengue, le chikungunya, l’hépatite E.

« J’ai dit que le monde n’était pas prêt à faire face à la prochaine pandémie, et parmi les virus que je mentionnais, il y avait la famille des coronavirus. À l’époque, on en connaissait six qui touchaient l’homme : deux très dangereux, le coronavirus du syndrome respiratoire aigu sévère (SARS-CoV-1, apparu en Chine en 2002), celui du syndrome respiratoire du Moyen-Orient (MERS-CoV, apparu en Arabie Saoudite en 2012, transmis par le dromadaire) et quatre autres qui engendrent des symptômes similaires à ceux d’un rhume. Je n’aurais jamais pu m’imaginer que quelques semaines après, Wuhan deviendrait le point de départ d’une pandémie mondiale de coronavirus. »

Prévenir les États des dangers de ces maladies, cela fait des années que Neyts s’y emploie. Avec d’autres scientifiques, il a beaucoup prêché dans le désert, tout en continuant à mener ses recherches et tenter de financer son laboratoire.

« Un marathon en sprintant »

Alors, une fois le coronavirus débarqué, voilà Neyts, avec son équipe, au point de départ d’une course contre-la-montre aussi fascinante que semée d’embûches pour trouver un vaccin face au virus. Lors de nos entretiens, le virologue parle souvent de « combat », voire de « guerre » contre un virus « terroriste ». Les termes sont forts, mais ils traduisent bien l’état d’esprit qui s’empare de la communauté scientifique quand, mi-janvier 2020, la Chine rend public le code génétique du SARS-CoV-2.

Les laboratoires du monde entier, dans les universités et les firmes pharmaceutiques, sont dans les starting blocks. D’habitude, il faut de 10 à 15 ans pour fabriquer un vaccin. Alors que le virus s’empare du monde, les scientifiques vont tenter de développer en quelques mois à peine des vaccins mais aussi des médicaments antiviraux pour soigner les personnes touchées.

Au laboratoire de recherche en virologie, médicaments antiviraux et vaccins de l’Institut Rega (le Neyts-Lab comme ils l’appellent), Neyts et son équipe se mettent directement en action. Le Neyts-Lab est le seul laboratoire de recherche universitaire en Belgique à se lancer dans la chasse au vaccin. C’est un collègue de la KU Leuven, Piet Maes, professeur en virologie clinique, qui sera le premier Belge à isoler le nouveau virus, détecté sur une personne revenant de Chine.

Ce que Neyts et son équipe, une vingtaine de personnes démarrent alors, c’est un « marathon en sprintant ». Ça dort peu et ça travaille les week-ends, à l’Institut Rega, qui est un des rares endroits en Belgique épargné par le confinement. Ça ne l’empêche pas d’être touché, à l’époque, par la pénurie de masques. Neyts pense faire appel à l’armée pour avoir des FFP2 et des FFP3. Avec la KU Leuven, il décide finalement de les stériliser avec leurs propres systèmes de pointe. « Il fallait être très prudent avec cela, imaginez si jamais notre équipe se retrouvait contaminée, en pleine recherche, à cause d’un masque mal stérilisé. »

Référence mondiale

Le virologue connaît bien les marathons. Cela fait notamment des années qu’il travaille sur un médicament antiviral contre le virus de la dengue, qui fait cent millions de malades par an et en tue plusieurs milliers.

Méconnu du grand public, à l’époque, l’Institut Rega est pourtant une référence mondiale. Dans les années 1950, il développait un vaccin contre la polio. Aujourd’hui, 20 millions de personnes malades du SIDA se soignent avec une création de l’Institut, le Ténofovir, un antiviral actif sur le VIH, dont il empêche la reproduction contre des enzymes.

Si on cherche encore un vaccin contre le SIDA, c’est parce que ce virus mute énormément. Neyts et les autres scientifiques constatent qu’a priori, le Sars-CoV-2 semble plus stable. Fin mars 2020, Corinne Vandermeulen, directrice du centre de vaccinologie de la KU Leuven, ne doute pas qu’un vaccin contre le covid va voir le jour. « Si on a un vaccin qui crée une immunité effective et donc protège contre les formes les plus aigües de la maladie, c’est déjà bien. Mais ce qui serait encore mieux, c’est d’avoir un vaccin qui crée une immunité stérilisante, c’est-à-dire qui protège l’organisme d’être tout simplement infecté par le virus et que le pathogène ne se développe. »

À l’époque, c’est le vaccin candidat de l’Université d’Oxford, acheté par la firme pharmaceutique AstraZeneca, qui est le plus avancé, déjà en phase de test chez les êtres humains. Moderna a également déjà publié des premiers résultats de ses tests. Chaque laboratoire avance à un rythme effarant et avec des technologies différentes.

Entraîner le système immunitaire

D’abord, il y a les vaccins à ARN messager (Moderna, Pfizer et Curevac, aussi, mais qui ne parviendra pas à faire aboutir son vaccin), qui font face à un enjeu crucial : c’est la première fois que cette technologie pourrait être mise sur le marché.

Ils ont le même objectif que tous les autres : entraîner le système immunitaire, en créant un leurre pour que celui-ci se rende compte qu’un pathogène est dans le corps et puisse développer une réponse contre lui.

Pour certains vaccins, on injecte dans le corps un agent infectieux (un virus, une bactérie) mais qui a été diminué ou inactivé, pour que le corps s’entraîne contre quelque chose qui n’est pas nuisible pour lui et se « souvienne » dès lors de comment réagir une fois confronté au vrai virus.

Pour l’ARN messager, « l’idée est de laisser nos cellules fabriquer elles-mêmes le composant contre lequel notre organisme va apprendre à se défendre », explique l’Institut national de la santé et de la recherche médical français. Donc ce genre de vaccin contient du matériel génétique (un peu d’ARN) qui va dire aux cellules humaines : mettez-vous à fabriquer des protéines spécifiques à un virus mais pas le virus entier.

Dans le cas du Covid 19, c’est la protéine pointe Spike. C’est elle qui permet au coronavirus de s’insinuer dans nos cellules et de s’y multiplier. Mais, si elle est toute seule dans le corps, c’est-à-dire non assemblée aux restes des éléments du virus, elle n’est pas dangereuse et notre corps doit s’y confronter pour combattre le virus. Le système immunitaire va donc détecter cette protéine et produire une réponse immunitaire (avec des lymphocytes, notamment) qui lui servira quand le vrai virus, lui, pointera son nez.

Ensuite, il y a les vaccins à vecteur viral comme l’AstraZeneca et le Johnson&Johnson (fabriqué par Janssen Pharmaceuticals, la filiale belge de Johnson&Johnson). Ici, ce que l’on injecte dans le corps ce n’est pas une version tuée (inactivée, comme on dit) ou atténuée du virus en lui-même mais bien un autre virus qui a été modifié pour ne plus pouvoir se répliquer et donc être inoffensif. Pour le coronavirus, ce sont des adénovirus qui ont été utilisés par AstraZeneca et Johnson&Johnson. Les scientifiques ont inséré le code de la protéine Spike à celui de l’adénovirus et une fois celui-ci injecté, il délivre des instructions aux cellules pour qu’elles fabriquent cette fameuse protéine.

Il y a, aussi, le Sinovac et le Sinopharm (Chine), des vaccins inactivés plus « classiques » mais moins efficaces, ou encore les vaccins sub-unitaires, dont le Novavax qui vient d’arriver sur le marché. Les sub-unitaires ne contiennent pas le virus entier mais juste la fameuse protéine Spike. Le système immunitaire l’identifie comme étrangère et produit une réponse pour la rendre inopérante.

La piste de la fièvre jaune

Depuis trois ans maintenant, les chercheurs du Neys Lab tentent d’adapter au Coronavirus un vaccin très ancien et bien connu pour d’autres maladies, dont le virus Ebola ou le Zika, transmis par le moustique. C’est celui contre la fièvre jaune, un vaccin à virus vivant atténué (on injecte le vaccin qui a été manipulé pour être affaibli). Une valeur sûre. « 800 millions de personnes ont été vaccinées avec cela depuis 80 ans », explique Johan Neyts.

En janvier 2020, son équipe commence à créer 8 prototypes de vaccins candidats. C’est Kai Dallmaier, un scientifique allemand qui dirige l’unité vaccin du Neyts-Lab qui est à la manette.

En se servant de la technologie ADN, les chercheurs de la KUL insèrent le code de la fameuse protéine Spike dans le code génétique du virus contre la fièvre jaune. Objectif : que notre système immunitaire se rende compte qu’il est confronté à la fois au virus de la fièvre jaune mais aussi qu’il se rende compte qu’il y a cette protéine du coronavirus. Et qu’il développe une réponse immunitaire pour les deux.

« Sur papier, cela a l’air simple, mais heureusement que nous avions passé quelques années avant la pandémie à tenter de le faire pour d’autres maladies, car c’est de la biologie moléculaire de très haut niveau », explique Neyts.

Son équipe développe donc huit prototypes de vaccins-candidats. Huit espoirs de contrer la maladie. Pour l’heure, nous sommes en avril 2020, et il s’agit s’agit désormais de les tester sur des hamsters.

Suite de cette course folle dans le prochain épisode.

Avec le soutien du Fonds pour le Journalisme en Fédération Wallonie-Bruxelles.

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  1. Côté secteur privé, Janssen Pharmaceuticals, filiale belge de Johnson&Johnson, sera impliquée dans le développement du vaccin J&J avec Janssen Vaccines, aux Pays-Bas.

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