Au rendez-vous des paumés

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Maxime Sabourin. CC BY-NC-ND.

C’est la face sombre de Namur. Un square du centre squatté par les oubliés. Juan et Juan, adoptés tout petits, souffrent d’un trouble de l’appartenance. Patrick vit en rue. Rencontre sauvage et mortelle, une nuit de l’hiver 2015.

Namur, square Léopold. Aux environs de 2h15 du matin, le 18 novembre 2015. Patrick Arnold va sur ses 60 ans. Nul ne sait précisément ce qu’il a fait au cours des heures qui ont précédé. C’est un homme très cultivé. Un fan de tennis. Si la vie lui avait souri, il serait dans un lit douillet après une journée de travail en tant que responsable administratif d’une boite de conseil en marketing. C’est la dernière fonction qu’il a exercée, dix ans plus tôt. Patrick est fort comme un chêne en apparence, grand, élancé, mais tellement fragile au fond de l’âme. Il est célibataire, atteint du syndrome de Korsakoff, un trouble neurologique causé par l’alcoolisme. Sa mère le rassurait. Leur relation était « fusionnelle », selon une proche. Mais elle est décédée. Sa sœur veillait dès lors sur lui et sa profonde dépression. Mais le grand frère bipolaire a fini par briser le lien.

Au procès, cette femme, digne malgré tant d’horreur, dira ceci : «  Le mot sdf me fait du mal. J’ai lu dans la presse que ce qui lui est arrivé était presque moins grave parce qu’il était un sans domicile fixe. À la fin, l’envie manifestée par Patrick de bénéficier de sa liberté était trop forte. Il voulait vivre en rue, à la débrouille.  »

Au bout de la rue de Fer, à Namur, il y a une ancienne galerie commerçante et dessus, un parking. Puis c’est la gare. C’est là, en plein cœur d’une ville bourgeoise et commerçante qu’est mort « petit papa Noël », comme le surnommaient ses neveux, en référence à sa barbe blanche. Aux abords du square Léopold, d’où le bourgmestre cdH Maxime Prévot veut écarter les clochards sans s’attaquer aux dealers. Patrick se trouvait au mauvais endroit. À moins qu’il attendait ça, de mourir, comme l’a suggéré aux policiers un de ses assassins.

Procès glaçant

La veille, le 17 novembre à 11h15, Juan et Juan croisent eux aussi leur destin. Ils s’étaient rencontrés et liés d’amitié dans des institutions de soins neurologiques. Ils ont tous deux le début de la vingtaine, ils ont grandi dans des familles bienveillantes et aisées, ils ont tous deux été adoptés en Amérique centrale, Juan S. au Guatemala, Juan V. au Mexique. Ce jour-là, Juan V. sort tout juste de l’institut psychiatrique de Dave où il a été soigné pour des soucis de boisson. Et il accourt chez son pote qui habite un studio derrière la gare. D’une certaine manière, ce qui va se passer ensuite était prévisible. Devant la cour d’assises de Namur, au troisième jour d’un procès épouvantable, le 24 octobre 2018, la mère et le père de Juan de Mexico ont énuméré leurs nombreux appels à l’aide auprès de la justice :

«  Les troubles de l’appartenance subis par notre fils n’ont cessé de prendre de l’ampleur. Ils empêchaient une relation apaisée avec lui. Un jour, il menaçait de mettre le feu à la maison, un autre il s’acharnait avec des pavés sur notre voiture. À défaut qu’on lui trouve une place d’accueil dans un centre spécialisé, nous avons écrit un peu plus d’un mois avant les faits au procureur du Roi en lui demandant de remettre notre fils en prison.  »

Un autre courrier serait parti au parquet de Namur le jour du drame.

A 11h15, donc, à la sortie d’un centre psychiatrique où les très longs séjours sont impossibles, Juan retrouve Juan. Les heures qui suivent ont été reconstituées avec minutie afin de déterminer - sans succès - s’il y avait un meneur. En résumé, ils mangent au Resto du cœur proche de la gare, ils zonent, accompagnent un pote à l’hôpital, boivent des coups. A 1h55, un début d’ivresse les amène de force au commissariat après une altercation de Juan V. avec un automobiliste. «  Ce dernier avait un souci avec mon client, présenté comme un ‘basané’  », relèvera l’avocat de Juan V., le pénaliste Marc Nève face aux jurés, citant le PV de police. Ensuite, ils s’approchent du fameux square Léopold via la rue de Fer. Les caméras de surveillance de la ville en attestent. Les deux copains tombent sur Patrick Arnold, piquent ses affaires, repèrent l’alliance familiale qu’il porte au doigt. Ce peu d’argent serait déjà un trésor.

American History X

La mise à mort d’une brutalité inouïe durera deux heures. Filmée par une caméra de parking, la vidéo est montrée en intégralité et dans un silence d’abîme au jury d’assises en présence de la sœur de la victime ainsi que des parents des accusés. L’homme au sol, sans défense, est frappé à coups de poings, de pieds, de bâton, pour lui arracher l’alliance symbolique. Il est laissé par les bourreaux dans une mare de sang, complétée par leur urine. Comme si les auteurs avaient joué une séquence d’American History X, leur référence.

«  Lundi, j’ai gardé les yeux ouverts face à la vidéo, dira un des parents à la barre, deux jours plus tard (…) On a plongé une famille dans la souffrance (…) Mais on sait que tu es en crise. Nous sommes tes parents, Juan. Demain, on sera encore là.  »

Le verdict annoncé il y a deux ans est dur à encaisser pour ces parents adoptifs qui pensaient bien faire : 20 et 18 années de prison. «  Attention, ce trouble de l’appartenance n’est pas un simple trouble de la personnalité  », avait insisté en dernier recours la mère d’un des accusés, tournant le regard vers les journalistes. Sous-entendu, l’enfermement ne règlera rien. Elle n’a pas été entendue. Aujourd’hui, en intégrant dans le décompte de la peine la période de détention provisoire, on approche tout doucement du tiers. Ce qui autorise en théorie des congés pénitentiaires.

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