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Khalil le banni arrive en Ardenne

Episode 1/3

Le 22 mai 2002, Khalil Alnawawrah atterrit en Belgique. Ce Palestinien de Bethléem, banni de son pays, est accueilli dans une famille belgo-palestinienne installée au fin fond de l’Ardenne. L’ancien combattant découvre le bowling et les boîtes de nuit.

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Aniss El Hamouri. Tous droits réservés

Du poulet et des pommes de terre cuits au four, une quiche chèvre-épinards, des nems et des falafels. Khalil me reçoit autour d’une table bigarrée. Ce grand costaud de 43 ans aime cuisiner. Cela occupe une bonne partie de son temps. Sinon, il va se défouler chez Basic Fit. Ou en forêt promener ses chiens. Les deux colosses aboient devant leurs niches installées dans la cour. « Je vis comme un retraité », explique mon hôte. « Tous les jours sont les mêmes. Je tourne en rond, et ça tourne en rond dans ma tête. La nuit, je ne dors pas. J’ai les nerfs. Mais je ne veux pas commencer avec les médicaments. J’ai acheté de la camomille pour me calmer. J’ai arrêté le thé et le café. »

L’homme vit avec Cristina, sa compagne, dans un petit appartement du quartier Helmet à Schaerbeek. Il se connaissent depuis 2010. Elle est aide-soignante. « Je l’ai vu triste, fâché et maintenant déprimé, explique-t-elle. Il voit les autres qui avancent et lui pas. Il voudrait travailler, se sentir utile. »

Khalil Alnawawrah n’a pas toujours eu cette vie recluse et monotone. Il a grandi dans les collines de Cisjordanie, au sein d’une famille de 10 enfants implantée à Bethléem. Les services de renseignement israéliens l’accusaient d’être un terroriste des Tanzim, le bras armé du Fatah. Le groupement de Khalil aurait été impliqué dans une série d’attaques contre des civils et des militaires israéliens. Il aurait tiré à plusieurs reprises sur des véhicules israéliens qui passaient sur une route sécurisée (réservée aux colons). L’homme est accusé d’avoir tué un Israélien lors d’une de ces attaques.

Deuxième Intifada

Nous sommes au début des années 2000, au cours de la deuxième Intifada, une période de violence entre Israël et la Palestine. L’armée israélienne mène l’opération « Rempart » destinée à venger l’attentat suicide de l’hôtel Park de Netanya, le 27 mars 2002 : 31 morts et 143 blessés. Le gouvernement d’Ariel Sharon lance alors une opération militaire visant à frapper les infrastructures terroristes palestiniennes essentiellement à Naplouse, Ramallah, Jénine et Bethléem.

La ville sainte de Bethléem tombe en quelques heures. Le 2 avril, plusieurs combattants, dont Khalil, se retranchent dans la basilique de la Nativité, bâtie sur le lieu où Jésus serait né. Ils sont rejoints par des civils et des ecclésiastiques. En tout, près de 230 personnes occupent le sanctuaire.

Le 10 mai 2002, grâce à la médiation de l’Union européenne et du Vatican, Tsahal accepte de lever le siège en échange du bannissement de 13 présumés terroristes vers 6 pays européens : 3 iront en l’Italie, 3 en Espagne, 2 en Irlande, 2 en Grèce, 1 au Portugal et 1 en Belgique. Le treizième, jugé trop dangereux, sera envoyé en Mauritanie.

Khalil Alnawawrah arrive en Belgique le 22 mai 2002. Il ne sera donc jamais jugé pour les faits que lui reproche l’État hébreu. A-t-il du sang sur les mains ? S’agit-il d’un terroriste ? De quel rang exactement ?

Le Conseil de l’Union européenne adopte la position suivante concernant l’accueil des « bannis de Bethléem » sur le sol de six pays membres : les États organiseront « un hébergement temporaire pour des raisons humanitaires ». Les questions liées au logement, aux conditions de vie, aux relations avec les membres de leur famille, l’accès à l’emploi ou à la formation professionnelle seront régies par le droit national de chaque État. Mais il est suggéré que les pays se concertent pour que les mesures d’accompagnement soient semblables pour tous.

Bowling et boîtes de nuit

En Belgique, Khalil est accueilli par Mahmoud, un Palestinien installé en Belgique depuis les années 1960. Il est connu des autorités palestiniennes du pays. « Ce sont elles qui m’ont contacté. Elles savent que je n’ai jamais eu de problème. J’ai ensuite reçu la visite des autorités belges. Puis, Khalil est venu ici ’à l’essai’pendant quatre jours. Et il est resté. »

Mahmoud est entrepreneur en bâtiment, marié à une Belge et père de cinq enfants. Sa maison est juchée en bordure de forêt, dans une petite ville du cœur de l’Ardenne. C’est là que je rencontre Khalil pour la première fois, en août 2002. Son frère, croisé lors d’un reportage à Bethléem quelques semaines plus tôt, m’avait donné son numéro de GSM. À mon retour en Belgique, je l’appelle à tout hasard…. « Le banni de Bethléem » accepte une interview pour le journal Le Soir.

Ce tuteur emmène Khalil sur ses chantiers. Il est habile de ses mains mais, à 24 ans, le jeune homme sait à peine lire et écrire. « À Bethléem, l’école fermait sans arrêt. Difficile d’apprendre dans ces conditions », explique-t-il. Il entame des cours de français et d’arabe. Avec les enfants de la famille, il découvre les joies du bowling et des boîtes de nuit. Une nouvelle vie s’offre à lui, à mille lieues des collines de Palestine. « Je pense qu’il sera contraint de rester ici un certain temps, souligne Mahmoud. Il est donc primordial qu’il s’intègre, qu’il ne reste pas avec des Arabes. »

Mais Khalil a le mal du pays. Plusieurs fois par jour, le jeune homme se poste devant la fenêtre, le regard vers les cimes des sapins à l’horizon. Là-bas, quelque part bien loin, il y a sa terre natale. Cette région en guerre contre les Israéliens. Il les a combattus avec ses frères, comme lui membres d’une mouvance du Fatah.

« Je ne savais même pas à quoi ressemblait la Belgique. C’est moi qui ai choisi l’exil plutôt que la prison en Israël. N’empêche, je trouve le temps long. J’ai quitté ma famille, mon pays, ma terre… Même si je suis entouré, je me sens seul. »

L’ancien combattant fait des cauchemars. « Le matin, il me dit qu’il a encore vu le visage de ses amis morts, explique alors Mahmoud. J’aimerais qu’il soit suivi psychologiquement. C’est très important qu’il puisse sortir toutes ces atrocités de sa tête. »

Dans les premiers jours, la présence policière est quasi permanente autour de la maison ardennaise. Mahmoud doit fournir un rapport quotidien aux autorités belges, le déroulé heure par heure des faits et gestes de son protégé. Il voit bien que celui-ci est triste, qu’il s’ennuie. Mais il se tient bien. Tellement bien qu’au fil du temps, la surveillance policière s’estompe.

L’éclat de la ville

Un jour, un cousin de la famille emmène Khalil à Bruxelles. La ville le fascine. Tout est nouveau : les grands boulevards, les lumières, les boutiques, les bars. La paix et la liberté. En mai 2003, il annonce à son tuteur qu’il veut s’installer dans la capitale. Fatigué de l’occuper et de le surveiller, celui-ci ne le retient pas. « Au début, il venait travailler avec moi, m’expliquait Mahmoud en 2003, pour un article paru dans Le Soir. Enfin, travailler… Il s’y mettait deux heures et puis c’était tout ! Il s’ennuyait. Pour finir, il ne m’écoutait plus. Il voulait la liberté. Et moi aussi, je dois dire. »

Mahmoud ne veut plus de ce rôle de tuteur. Il renonce à vouloir cadrer Khalil qui, visiblement, a d’autres aspirations que de l’aider sur ses chantiers. Il écrit aux autorités belges pour leur dire qu’il se décharge de toute responsabilité envers le jeune Palestinien. Et Khalil part à Bruxelles.

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