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Le second juge

La parole d’un juge face sa jeune. Episode 3/3

Monsieur A. est juge au tribunal de la Jeunesse. Il se souvient très bien de Julie. Des histoires comme la sienne donnent tout le sens à son métier.

Monsieur A. se souvient bien de Julie, qu’il a suivie de 16 à 18 ans. « C’était une fille marquante et l’un de mes premiers dossiers comme juge de la jeunesse. Elle avait un mode d’expression inadapté pour attirer l’attention, qui a été fortement travaillé par son centre ».

Le parking qui révèle

Au fil des rencontres, monsieur A. apprend à la connaître. Les entretiens de cabinet sont des moments charnières : il sent les tensions, observe les gens se positionner les uns vis-à-vis des autres. « C’est pour ça que j’ai un bureau donnant sur le parking. Je vois les familles arriver. C’est extrêmement parlant dans le non verbal ».

Parfois le jeune passe devant, suivi par des parents penauds. Une mère complètement en retrait. Un père qui tape sur l’épaule du gamin comme pour le féliciter de rendre visite au juge.

La fréquence des rencontres de monsieur A. avec Julie est aléatoire : quand un juge confie la prise en charge d’un jeune à une institution, il voit l’ado à la fin du mandat donné à l’institution, mais il peut aussi le voir entre-temps, s’il y a dérapages ou en fonction du projet pédagogique du jeune.

Tout n’est pas facile dans les entretiens avec Julie. Elle s’énerve parfois, sort du bureau, claque la porte. Monsieur A. laisse faire. Elle reviendra quelques minutes plus tard. En s’excusant. « Je suis arrivé à un moment où Julie était plus pacifiée. Les coups de gueule, c’était du temps de Mme D. »

Cash

Quand un mineur est trop agressif ça, monsieur A. n’a pas la même écoute. « Je dis : ‘Ça ne va pas, ta manière de parler. Salut. Tu pars avec les policiers. Et je prends ma décision.’ » Lorsqu’un jeune est en crise, les juges ne paraissent jamais très sympathiques, dit-il. « Et les grosses crises ont été pour sa première juge. »

Mais Julie était attentive au regard qu’on portait sur elle. « Elle voulait que ce soit un beau regard. Elle a bien senti qu’on souhaitait qu’elle s’en sorte. Elle avait un grand crédit confiance auprès de moi. »

Pour monsieur A., Julie était cash, rentre-dedans, mais sincère. Ca aide. « Les jeunes qui racontent n’importe quoi, on les croit une fois, deux fois, et après on ne les croit plus. Après la mort de son père, Julie a montré une capacité de résilience quasi phénoménale. »

Un an d’attente

Le juge l’autorise à arrêter l’école. C’est un travail en trio entre Julie, son juge et l’institution qui la prend en charge. Son centre d’accueil avait une politique de non-rejet : on n’exclut pas le mineur à la première escarmouche »’. Parfois, les éducateurs en ont bavé. Mais Julie s’y est sentie bien, rassurée.

Julie a été suivie par l’un des 9 services résidentiels spécialisés subventionnés par la communauté française : 77 places pour traiter une délinquance répétitive dans un cadre plus ‘familial’ que l’IPPJ. Aujourd’hui, les places libres y sont rarissimes. Monsieur A. n’essaye quasiment plus d’y envoyer un jeune. Les listes d’attente sont parfois d’un an. Quand la place s’ouvre, on est à côté de la plaque concernant le jeune. Le contexte a évolué, la demande est dépassée.

La carte postale

Depuis 2019, les services résidentiels d’observation et d’orientation sont aussi inaccessibles à ces jeunes qui comme Julie, ont fait de mauvais choix, sans être de mauvais bougres. Monsieur A. le regrette : avec ces services, « le jeune pouvait suivre l’école dans un certain cadre, sans être uniquement entouré de jeunes en conflit avec la loi ». Quand les parents ne veulent ou ne peuvent pas reprendre un jeune qui est en IPPJ, monsieur A. est parfois obligé de l’y laisser. « Et là, le système devient maltraitant : parce que ce n’est plus sa place. Sa place est dans un milieu plus familial, normalisé ».

Pour monsieur A., les histoires comme celles de Julie donnent un sens à son métier. Aujourd’hui, elle a un chez elle, un job, un compagnon, un enfant. Du tiroir de son bureau, il tire une carte postale qu’elle lui a envoyée il y a 10 ans.

Au stylo rouge, l’écriture d’une écolière :

Je voulais vous dire merci pour tout le travail fait avec moi. Ça me tenait à cœur. J’ai beaucoup de projets pour la suite. J’entame dès la semaine prochaine une formation. Voilà tout ça pour vous dire merci :-).

PS : un jour j’écrirai mon histoire :-).

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Charlotte Pollet. Tous droits réservés

Les histoires de Médor : Chaque début de mois un nouveau récit, en 3 épisodes. Les publications se font les mardi, jeudi et vendredi de la 1ère semaine, à 11h. Gardez les yeux ouverts !

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