Les liaisons toxiques
Gaia contre la science
En 32 ans, l’association belge de protection des animaux Gaia s’est taillé une place de choix auprès du grand public grâce à des campagnes chocs et des victoires en faveur du bien-être animal. En coulisses, Gaia affiche un visage plus sombre, où son action trouve des relais à l’extrême droite et s’allie à l’industrie chimique.
Un poulet, un chat, un cochon, tous tirés à quatre épingles dans des costumes très sérieux. Les élections de juin 2024 approchent. À la télé, sur les réseaux sociaux, de drôles de bêtes bien sapées appellent à « voter animaux ». Une campagne signée Gaia.
Pendant les élections, l’association de protection des animaux est partout. Et d’ailleurs, tout le monde la connaît : ses campagnes de publicité tapissent les stations de métro, les pages des magazines et s’immiscent jusque dans les toilettes des bars et restaurants. Ses prises de position sont massivement relayées par la presse et ses fondateurs sont régulièrement invités sur les plateaux télé en tant qu’experts de la cause animale.
La liste des victoires revendiquées par Gaia depuis sa fondation en 1992 s’égrène en un long chapelet. L’arrêt de la vente d’œufs de poules en cage en 2023 et l’abolition des « courses de grenouilles perchées sur une charrette », l’interdiction du gavage d’oies en Flandre et à Bruxelles, la fin des courses de chevaux en rue : c’est eux ! La nomination de ministres du Bien-Être animal dans chaque région en Belgique ? Encore eux. Tout comme l’inscription du bien-être animal dans la Constitution en mai 2024. Cette mesure, saluée à travers le monde, pourrait offrir aux associations un nouveau levier juridique pour contester une série de pratiques comme l’abattage rituel ou le broyage des poussins.
Gaia est une machine de guerre. Ou plutôt un « animal politique », pour reprendre les termes de Michel Vandenbosch, son fondateur. Celui-ci s’enorgueillit dans son livre Les combats de Gaia du compagnonnage de Jean-Claude Vandamme ou de Pamela Anderson et a figuré à plusieurs reprises dans la liste des personnalités préférées des Flamands, et même des francophones. L’association rassemble 80 000 adhérents en Belgique (56 000 de plus que Natagora et à peine moins que le WWF Belgique). Elle peut compter sur un budget de 17 millions d’euros et possède une base de militants toujours prompts à manifester, tenir un stand et relayer les messages de la maison mère, quitte à inonder d’e-mails les élus du pays.
C’est avec son âme sœur de la cause animale, Ann De Greef, que Michel Vandenbosch fonde Gaia en 1992. Trente-deux ans plus tard, le duo dirige toujours l’association, passée experte en coups d’éclat. Gaia et son combat attirent la sympathie du public. Au fond : qui n’aime pas les animaux ? Pourtant, certaines méthodes de l’organisation posent de sérieux problèmes éthiques, lorsque Gaia s’allie à l’industrie chimique pour promouvoir sa cause ou inclut le Vlaams Belang dans une communication diffusée à la veille des élections. Car, pour Michel Vandenbosch et Ann De Greef, la cause animale semble justifier tous les moyens.
Moins de tests, plus de toxiques
Sur une affiche, un chiot mordille un brin d’herbe. Il remercie plus d’un million de signataires de l’initiative citoyenne européenne (ICE) « pour des cosmétiques sans cruauté - s’engager en faveur d’une Europe sans expérimentation animale ». L’initiative, qui a recueilli 1,2 million de signatures en 2023, est portée par une coalition européenne d’associations de protection des animaux, Cruelty Free Europe, parmi lesquelles Gaia. Ces ICE, lorsqu’elles dépassent le million de signataires, obligent la Commission européenne à se prononcer sur la possibilité de lancer un projet de directive ou de règlement.
C’est donc une belle victoire pour le collectif européen, et pour Gaia. D’ailleurs, c’est Ann De Greef qui préside aujourd’hui la coalition. Offensive, elle explique dans un communiqué que Cruelty Free Europe constitue un « poids contre les lobbys ». Mais quels lobbys ? « Les lobbys de la recherche », répond la fondatrice de Gaia, qui ne vise donc pas les mastodontes de l’industrie chimique ou pharmaceutique. Au contraire, cette mégapétition est soutenue par de grands industriels, en particulier par Unilever ou Dove, qui ont participé à son financement. « Ce qui est frappant dans de nombreuses discussions réglementaires, c’est que les positions des associations de protection des animaux peuvent parfois profiter aux industriels, voire être alignées avec elles », déplore Natacha Cingotti, ancienne responsable « santé et substances chimiques » pour l’ONG Heal, Alliance pour la santé et l’environnement.
Sur le terrain européen, les ONG de défense de l’environnement sont très remontées contre les associations de protection des animaux dont elles dénoncent, généralement « off the record », la « collusion » avec l’industrie chimique et la diffusion « d’informations mensongères » au sujet de l’expérimentation animale. « Nous travaillons sans relâche pour bannir des substances toxiques, comme les microplastiques qui tuent des milliers d’oiseaux, ajoute une employée d’ONG de défense de l’environnement. Dans ce genre de combat, les associations de protection des animaux préfèrent que l’UE garde sur son marché des substances toxiques plutôt qu’avoir recours à l’expérimentation animale. » Car sans test sur les animaux, pas de données pour interdire les substances les plus toxiques… qui, dès lors, restent sur le marché européen.
L’initiative citoyenne (ICE) de 2023 promeut des « cosmétiques sans cruauté ». Pourtant, tester les effets de cosmétiques sur les animaux est déjà interdit dans l’Union européenne depuis 2013, en partie grâce à des collectifs comme Gaia. La cible réelle de cette pétition - lorsqu’on lit le texte dans son intégralité -, c’est en fait le règlement Reach. Ce texte européen, relatif à « l’enregistrement, l’évaluation et l’autorisation » des substances chimiques, oblige les entreprises à enregistrer tous les produits chimiques qu’elles mettent sur le marché. Ces données doivent permettre aux autorités d’interdire les plus toxiques, par exemple si elles provoquent le cancer.
Pour déterminer cette toxicité, il faut parfois recourir à des tests, souvent in vitro et, « en dernier recours », sur des animaux. Lorsque ces expérimentations ont lieu, elles sont généralement conduites sur des souris ou des rats, jamais sur des chiens, et encore moins sur des singes, contrairement à ce que laissaient entendre des affiches de l’ONG.
« Cette ICE induit le public en erreur, ajoute Natacha Cingotti. Le titre suggère un problème avec l’application de l’interdiction partielle des tests sur les animaux pour les cosmétiques, alors que le contenu demande une réouverture très large des réglementations. » Cruelty Free Europe, en réponse à nos questions, affirme « partager les objectifs de Reach, mais pas grâce aux tests sur les animaux, qui sont non seulement immoraux, mais ne sont pas nécessaires scientifiquement ». La coalition demande qu’une date butoir soit fixée à l’échelle européenne pour mettre fin à tous les tests sur les animaux. Dans ce combat, l’industrie monte de plus en plus souvent au créneau aux côtés des associations animalistes.
Pour une bonne partie de l’industrie chimique, l’absence d’expérimentation animale, c’est la garantie de substantielles économies. Car ces tests coûtent cher. C’est aussi, et peut-être surtout, l’entretien d’un certain flou quant aux effets de leurs substances. « Si une substance n’est pas testée sur les animaux, alors il n’y a pas de données permettant de juger de sa toxicité. Tant qu’il n’y a pas de données suffisamment solides, impossible de l’identifier comme substance dangereuse », explique Cécile Michel, de l’Agence française nationale de sécurité sanitaire (Anses). Sans test, les substances restent sur le marché.
Des alternatives à l’expérimentation animale se développent, notamment grâce à l’action de Gaia. Mais elles ne suffisent pas. « Les tests in vitro sont capables de répondre à des questions simples. Néanmoins, qu’il s’agisse de toxicité à long terme à la suite d’une exposition répétée à une substance chimique, ou de sa toxicité sur plusieurs générations, aucun test in vitro n’est actuellement capable de prédire ces effets. Il ne faut pas faire croire au public qu’il bénéficiera du même niveau de protection si on limite ou supprime les tests sur les animaux », clarifie Cécile Michel.
Gaia et ses alliés déclinent de multiples manières leur alliance avec l’industrie contre l’expérimentation animale. Cruelty Free Europe a signé, en 2021, un document politique avec le lobby de l’industrie chimique européenne, le Cefic (Chemical European Industry Council), en insistant sur le développement de méthodes alternatives. Ce partenariat se retrouve également sur le terrain juridique. Cruelty Free Europe s’est en effet battue, en « soutien à la cause », aux côtés de Symrise, une multinationale allemande spécialisée dans les cosmétiques, qui refusait de se soumettre à des tests sur des animaux réclamés par l’Agence européenne des produits chimiques (Echa). Le 22 novembre 2023, la Cour de justice de l’UE donnait raison à l’Echa contre la multinationale. Cette dernière contestait des demandes d’expérimentation animale pour vérifier les effets de l’homosalate, substance utilisée dans des crèmes solaires.
Certes, les tests sur les animaux sont interdits pour les cosmétiques. Mais des tests sur ces substances restent autorisés, selon Reach, si elles ont d’autres applications que cosmétiques ; pour la protection des travailleurs qui la produisent ou pour évaluer ses effets sur l’environnement. L’Echa s’inquiétait des effets de l’homosalate sur la santé des travailleurs, mais aussi sur la vie aquatique et suspectait que l’homosalate soit un perturbateur endocrinien. Ces tests visaient donc à protéger des humains et des poissons. Pourtant, Symrise et Cruelty Free les refusent catégoriquement. Dans son livre Les combats de Gaia (2017), Michel Vandenbosch reconnaît avoir trouvé « des alliés objectifs dans le monde des affaires » contre la « souffrance animale engendrée par Reach ».
Mais les méthodes de Gaia ne se limitent pas à des alliances discrètes avec des industriels. L’organisation entend mettre la pression sur le monde politique, quitte à s’appuyer sur des partis de droite dure, voire extrême.
Gaia serre sa droite
En 2014, une grande manifestation contre l’abattage rituel sans étourdissement, organisée par Gaia, rassemble plus de 10 000 personnes à Bruxelles. La veille de l’événement, Gaia publie un message visant à interdire la diffusion de messages discriminatoires lors de la marche. Mais le jour J, des cohortes du Vlaams Belang et d’autres groupuscules d’extrême droite défilent toutes bannières dehors. Ce combat contre l’abattage rituel n’est bien sûr pas l’apanage du Vlaams Belang, mais il prend une connotation particulière quand il est porté par un parti ouvertement islamophobe.
Dans son livre, Michel Vandenbosch décrit le Vlaams Belang avec ces mots ambigus : « Un parti à l’image islamophobe et raciste, exécré par l’establishment politique. » Cette « image islamophobe et raciste » n’a clairement pas empêché Gaia de faire figurer le Vlaams Belang, aux côtés de Groen, Défi ou du MR dans une campagne de communication diffusée à la veille des élections de 2018, provoquant des remous au sein même de l’association. Reprenant les codes visuels d’un bulletin de vote, la campagne faisait la distinction entre les « bons élèves », favorables à l’interdiction de l’abattage rituel, et les mauvais, favorables à son maintien, comme entre autres Écolo ou le PTB. Le Vlaams Belang pouvait afficher sa belle gommette verte, attribuée par Gaia. Alors coprésidente d’Écolo, Zakia Khattabi avait dénoncé une incitation de Gaia à voter pour le parti raciste, ce qu’a toujours nié Michel Vandenbosch. « La xénophobie n’est tout simplement pas inscrite dans l’ADN de Gaia », déclarait-il à l’époque. Sébastien De Jonge, nouveau directeur opérationnel de l’association, nous répond qu’il s’agissait de « couvrir l’intégralité du spectre politique et de donner aux électeurs une information complète ». Celui-ci reconnaît d’ailleurs que Gaia a participé à un échange avec le Vlaams Belang au Parlement flamand il y a quelques années, à la demande du parti. « Comme pour tous les partis qui en font la demande et qui disposent d’élus au sein d’une assemblée, Gaia transmet ses positions sur ces différents dossiers », justifie Sébastien De Jonge.
Car pour Gaia, le Vlaams Belang (VB) n’est pas vraiment un parti différent des autres. Comme en 2018, les élections de 2024 ont été l’occasion de présenter des candidats du VB sous un jour favorable, sensibles au bien-être animal, en affichant une forme de soutien tacite sans distinction. « La souffrance animale n’a pas de couleur politique et, quand on fait du lobbying, on cherche avant tout des alliés », assume un ancien employé de l’association. Il s’agirait donc davantage d’un calcul stratégique que d’une adhésion aux idées d’extrême droite.
Un avis que partage Carlo Di Antonio (Les Engagés), ministre wallon du Bien-Être animal de 2014 à 2019 : « Ils ne voient les choses qu’à travers le prisme du bien-être animal. Si demain on leur dit qu’un parti extrême monte au pouvoir et qu’ils obtiennent toutes leurs revendications, ils foncent. Vous pouvez leur dire que des enfants sont maltraités, ça n’a pas d’importance. Ce qui leur importe c’est les chiens ou les chats du village », analyse-t-il.
Peu importe le parti
Selon d’anciens travailleurs, un autre parti bénéficierait, encore davantage, des faveurs de Gaia… la N-VA, classée par de nombreux politologues comme un parti non pas d’extrême droite mais de droite extrême. « Ils prennent toujours la défense de la N-VA », témoigne Corinne Pochet, une ancienne salariée de Gaia. Quand La Dernière Heure lui demande, en 2021, quel parti politique lui semble le plus favorable au bien-être animal, la réponse de Michel Vandenbosch est sans équivoque. « Il est clair qu’en Flandre, c’est la N-VA, le parti du ministre du Bien-Être animal, Ben Weyts, qui va le plus loin […] Je me fous de quel parti il s’agit, tant qu’il respecte les règles démocratiques et qu’il se dévoue pour les animaux. La N-VA propose des idées intéressantes et sait comment convaincre ses partenaires. C’est un parti qui peut compter sur notre soutien ! »
Bien sûr, il n’y a pas que la droite et ses extrêmes. Le livre de Michel Vandenbosch montre comment les deux dirigeants de Gaia sont en lien direct avec la quasi-intégralité de la classe politique. Et jonglent habilement entre connivences, dénonciations et mise sous pression ; notamment grâce à des campagnes de mailings effrénées, parfois « invasives », selon des cibles de ces campagnes. En trente ans, Gaia s’est rendue incontournable auprès des ministres compétents des trois Régions. « Gaia, c’est un interlocuteur qui pèse, même s’ils peuvent être dans l’excès, décrit Carlo Di Antonio. Ils ont des moyens et un niveau d’expertise parfois supérieur à ce qu’on peut proposer dans nos administrations. »
Pour obtenir ce qu’elle veut, Gaia n’hésite pas à exercer des pressions sur des fonctionnaires ou des politiques.
Ses dirigeants appellent par exemple des fonctionnaires de l’Unité du bien-être animal sur leur GSM pour pousser à la saisie d’animaux lorsque Gaia considère qu’ils ne sont pas bien traités. S’ils échouent, Gaia se tourne vers le ou la ministre pour enjoindre à l’administration d’agir, sans toujours connaître la situation sur le terrain. Un fonctionnaire raconte : « Céline Tellier (ministre du Bien-Être animal de 2019 à 2024, NDLR) a demandé, sur injonction de Gaia, de faire une série de contrôles chez les éleveurs d’oies pour la production de foie gras. Il n’y avait aucune plainte mais on l’a fait. Il n’y avait pas d’irrégularité. Alors, on nous a demandé de contrôler à nouveau. Il y avait pourtant d’autres priorités. » Au cabinet de Céline Tellier, on reconnaît que la deuxième série de contrôles a été réalisée « suite à une vidéo choc de Gaia. Le rapport de l’Unité du bien-être animal concluait que la législation était respectée ».
La bataille de l’expérimentation animale
En 2023, la Commission bruxelloise sur l’expérimentation animale avait concocté, avec l’accord du ministre Bernard Clerfayt (Défi) et sous l’égide de Bruxelles-Environnement, une petite vidéo pédagogique au sujet de l’expérimentation animale pour expliquer dans quels cas, et selon quel cadre éthique, des tests sur les animaux devaient encore être conduits. Diffusée sur YouTube, la vidéo suscite la colère immédiate de Gaia. Dans un e-mail adressé au Conseil bruxellois du bien-être animal, organe de conseil du ministre, Ann De Greef dénonce une « manipulation éhontée ». La vidéo est retirée illico. Pour Bruxelles-Environnement, ce retrait « n’a aucun lien avec une quelconque pression de Gaia ». La vidéo aurait été diffusée sans le feu vert final du cabinet. Mais des chercheurs impliqués dans le processus voient dans cet escamotage l’ingérence de l’association animaliste.
De nombreux scientifiques estiment que le combat de Gaia contre l’expérimentation animale exerce une influence majeure sur le politique. « Leurs idées se retrouvent systématiquement dans les nouveaux codes de l’expérimentation animale et leurs représentants siègent dans les commissions d’avis », pointe Eric Muraille, biologiste et chercheur au FNRS. Depuis des années, des scientifiques et Gaia se livrent une bataille sans merci à coups de cartes blanches pour les premiers et de campagnes de communication pour les deuxièmes. Dans une campagne d’affichage « subtilement » intitulée « Not all horror is fiction » diffusée en octobre 2023, Gaia n’hésite pas à dépeindre les scientifiques comme des sadiques, jubilant des tortures infligées à des animaux innocents. On y voit un homme en blouse blanche aux allures maléfiques, les yeux blancs et le rictus cruel, maniant des fioles au-dessus d’un parterre de rats sanguinolents.
Ce que les chercheurs dénoncent, ce n’est pas le questionnement éthique, mais la « désinformation » pratiquée par Gaia. Préférer l’image choc du laborantin sadique à la complexité du réel. Ils rappellent que dans les labos, c’est la règle des 3 R – remplacement, réduction, raffinement – qui prévaut. Autrement dit, à chaque fois qu’une alternative à l’expérimentation animale existe, elle doit être utilisée. Toute expérimentation doit être avalisée par un comité d’éthique et viser à la diminution de la souffrance animale (c’est ce qu’on appelle le « raffinement »). Les chercheurs redoutent, par-dessus tout, un nouveau durcissement de l’accès à l’expérimentation animale qui constituerait un obstacle aux progrès médicaux. Cette inquiétude est exprimée par Alban de Kerchove d’Exaerde, directeur de recherches au FNRS et chercheur au sein du laboratoire de neurophysiologie de l’ULB : « À terme, on parviendra peut-être à se passer des animaux, mais, dans l’état actuel des choses, ce n’est pas possible. Sans les expériences sur les animaux, on n’aurait pas de vaccin contre le Covid et on ne pourrait pas avancer aussi efficacement contre le cancer. » À chacune de ses sorties publiques, le chercheur fait face à des protestations de militants. Parfois des menaces. Parmi celles-ci, un prospectus de Gaia, avec une inscription manuscrite le qualifiant de « criminel de guerre. Nazi ».
Ambiance parano
Chez Gaia, la fin justifie les moyens… y compris en interne ? C’est ce dont témoignent d’anciens salariés. Travailler pour Gaia, ce n’est pas travailler pour n’importe qui. Alors quand on s’échine pour l’élite de la cause animale, on peut bien consentir à l’un ou l’autre sacrifice. « Chez Gaia, on vit un peu le syndrome de Stockholm. Il faut vivre Gaia, penser Gaia tout le temps, explique Corinne Pochet, ancienne responsable éducation du mouvement. Il faut être à la hauteur, car, pour Ann et Michel, c’est un honneur que Gaia fait à ses employés en les embauchant », raconte un ancien salarié.
Un honneur qui justifie des horaires à rallonge, de subir sans broncher des coups de colère et de travailler dans « une ambiance parano ». Celle-ci s’expliquerait, selon des anciens, par les pressions subies dans le passé (menaces de mort, intimidations physiques et une alerte à la bombe) par Michel Vandenbosch et Ann De Greef. « Avant de jeter les ordinateurs, il fallait les détruire à la foreuse », poursuit un ancien salarié qui travailla chez Gaia dans la seconde moitié des années 2010. Plusieurs témoins confirment que les conditions de travail étaient extrêmement éprouvantes et pointent le manque de confiance avec la direction. Pour Gaia, contactée par Médor, les « propos anonymes » que nous avons récoltés visent à « nuire » à l’association. En 2005, De Morgen avait pourtant déjà documenté les conditions de travail « épouvantables » chez Gaia, faites d’heures à rallonge, de colères incontrôlables et de surveillance. Quant à nos témoins, ils insistent pour préserver leur anonymat par crainte des représailles judiciaires : leurs contrats de travail sont remplis de clauses de confidentialité, qui s’étendent « à tout ce qui a trait au travail » et « à toutes les relations avec des personnes extérieures ». Pour un ancien salarié, l’affaire est entendue : à force de défendre les animaux, « les dirigeants de Gaia sont devenus misanthropes ».
Avec le soutien du Fonds pour le journalisme en Fédération Wallonie-Bruxelles