Schuman Blues
L’Union Européenne désincarnée
Quelle image nous renvoient les institutions européennes ? Depuis 2021, le photographe Jan Staiger porte une réflexion sur la machine de com européenne.
Depuis leur création, les institutions européennes bataillent ferme pour exister auprès des 448 millions d’habitants de l’Union. Le budget communication se chiffre à 1,5 milliard d’euros en 2022, répartis entre Commission, Parlement et Conseil. Une armée de contractants externes (42 rien que pour la Commission) est engagée pour « rapprocher l’Europe de ses citoyens ». Mais, malgré les moyens déployés, l’image de l’UE est comme son drapeau, flottant.
Étudiant en photo au KASK (Académie royale des beaux-arts de Gand), Jan Staiger interroge ce paradoxe dans le contexte électoral de 2024. « Mon intérêt pour la politique vient de mes parents journalistes. À l’époque, je m’intéressais à la manière dont les décideurs se présentaient au public. » Cet intérêt s’est mué en objet d’étude photographique : Jan scrute les représentations du pouvoir, et ces variations sur les canaux médiatiques toujours plus nombreux. « Comment se traduit une idéologie politique dans un espace physique, visuel ? » Depuis 2021, le photographe, originaire de Bavière, arpente les couloirs de verre du quartier européen. Il y photographie des visites guidées du parlement, des discussions bilatérales : « J’essaye de montrer les stratégies de communication, tout en étant attentif aux lieux, aux événements qui sont rarement couverts par les médias. »
Sa démarche puise dans la pauvreté visuelle de la campagne électorale européenne. « Nous voyons toujours les mêmes images », déplore Jan Staiger. Cette récurrence de clichés de conférences de presse sur fond bleu, de photos officielles dans des décors répétitifs fige les institutions et le personnel politique en objets désincarnés. L’Europe y est dépeinte avec une convivialité toute relative, aussi chaleureuse et attrayante qu’une cabine électrique en Sibérie. « Cela m’a amené à essayer de repenser la façon dont nous travaillons visuellement autour du domaine politique. »
Loin de vouloir révéler des choses cachées, Jan Staiger s’est laissé porter par le quotidien du rond-point Schuman : animé, mais creux. Au-delà de la forme, c’est le fond du message qui lui pose problème : technocrate et apolitique, il refléterait le sentiment de supériorité des édiles européens. Selon Staiger, ce déficit démocratique au sein des institutions fait peser des risques considérables sur la confiance des citoyens. Pas sûr que cette nouvelle élection change la donne.