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Intelligence artisanale

Edito Médor 35

Une petite note se trouve en fin de notre enquête sur le harcèlement sexuel au Parlement européen. Elle signale que l’article a été relu intégralement, avant publication, par deux personnes citées, l’une en tant que victime et l’autre en tant que fondatrice d’un collectif qui combat l’omerta sur les violences sexistes et sexuelles dans les institutions européennes. La journaliste a en effet estimé nécessaire que ces deux personnes, qui dénoncent des faits graves à visage découvert, puissent vérifier l’exactitude des éléments décrits et marquer leur accord avec la façon dont leur témoignage a été retranscrit.

Cette petite note est, pour nous, capitale. Parce qu’elle signale une exception à une règle, que nous avons énoncée, ou rappelée, en décembre dernier, dans notre « Appel pour un journalisme robuste » : Médor refuse toute relecture complète d’un article par l’une des personnes citées, mais accepte éventuellement les relectures de citations ou d’interviews. Nous ajoutions : « Les exceptions sont possibles, mais devront être justifiées (par la protection particulière d’une source, par exemple) et exposées dans l’article. Médor s’engage à mieux communiquer sur cette question, envers ses journalistes et le lectorat. » Nous y voilà.

Cette petite note, c’est une porte ouverte à plus de transparence et à plus de confiance. Et à la nuance. En tant que lecteur ou lectrice, vous savez désormais que, sauf mention contraire, les personnes citées dans nos pages n’ont pas pu relire les articles qui les concerne – et encore moins participer à leur rédaction. Seule la relecture de citations isolées ou d’interviews peut être tolérée, si le journaliste estime cela utile, par exemple pour vérifier des éléments techniques ou préciser des propos.

Dans ce numéro, vous lirez, par exemple, un portrait de Muriel Dacq, qui a connu son heure de gloire dans les années 1980 avec le tube Tropique pour se retrouver, au cours de son parcours de vie, à basculer du côté du doute, jusqu’à rejoindre ceux qu’on appelle aujourd’hui les « complotistes ». Muriel Dacq aurait-elle aimé relire l’article, pouvoir réécrire certaines phrases, suggérer qu’on n’utilise pas le terme « complotiste » à son égard ? Probablement. Elle a d’ailleurs échangé de nombreux messages avec la journaliste pour préciser sa pensée. Mais lui laisser un « droit de regard » sur son portrait aurait ouvert la porte à un risque d’ingérence. Notre indépendance en aurait pris un coup.

Vous découvrirez également un article sur Zoute People. Le rédacteur de ce magazine, John-Alexandre Bogaerts, a lui aussi fini par accepter de ne pas pouvoir relire les passages dans lesquels il a été cité, tout en n’ayant aucune garantie que le contenu de l’article lui plaise (nos magazines ne fréquentent pas forcément les mêmes plages).

Ces sources acceptent de nous parler et d’ensuite nous laisser faire notre travail, malgré nos éventuelles divergences de vues.

Mais ces demandes de relecture, nous les refusons aussi aux personnes ou organisations qui s’estiment proches de nous. Tellement collées-serrées qu’elles écriraient bien l’article à nos côtés.

Non. Elles non plus ne relisent pas, ne coécrivent pas. Au moment de faire un article, nous n’avons ni amis ni ennemis. Et, en fin de compte, la seule personne qui porte la responsabilité - immense - du contenu, c’est celle qui signe le texte.

Un peintre en lettres

Dans un autre registre, celui qui a porté la responsabilité de réaliser notre couverture (et de ne pas la casser) s’appelle Kevin Cocquio - « peintre en lettres » de profession. Il a débarqué avec son chevalet et ses pinceaux, dans les bureaux de Médor. Pendant deux jours, il a littéralement peint les lettres de nos titres sur une plaque de verre passée préalablement au blanc de Meudon (en positif, avec de la peinture, ou en négatif, en grattant le fond). Cet artisanat avait progressivement disparu des vitrines de nos bars ou magasins, remplacé par du lettrage au vinyle industriel. Kevin et quelques-uns ont ressuscité la pratique. S’il y avait un doute sur la question, notre couverture n’a donc pas été faite par une intelligence artificielle ou un logiciel de chipotage photo. Et voilà qu’à l’heure où, chez nous, ça sent le déménagement, nous nous retrouvons dans ces lettres de bassesse, celles des rez-de-chaussée des commerces, des musées ou des cafés. Celles qui tâtent du terrain, collent au bitume, croisent les passants. L’intelligence artisanale, c’est pas mal non plus.

  1. https://medor.coop/appel/

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